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le style maniériste

cycle du noeud
phase du noeud - paradoxe 3
l'art renaissance (XVème siècle)
 
 
relié / détaché
 
 
 
 
Fonctionnement de la société dans laquelle est plongé l'artiste

Dans un autre texte on a pris pour point de départ un réseau cristallin d'atomes entourés d'atomes semblables revoir l'image caractéristique dans une autre fenêtre]. Dans un autre texte encore on a expliqué que ce type de situation d'empilement, les unes contre les autres, d'unités semblables, pouvait être considéré non seulement au départ mais aussi au bouclage final d'un cycle complet de 16 étapes de complexification progressive du mouvement. Le voyage dans la société occidentale depuis la Renaissance nous amène donc à l'époque contemporaine sur une situation qui présente des similitudes avec celle de la Renaissance, sauf que l'on a changé d'échelle, et que c'est maintenant la situation de l'humanité dans sa globalité qu'il faut considérer et non plus seulement la société italienne du XVème siècle. En effet, on peut maintenant considérer que l'atome à la fois isolé et pris dans un réseau qui le relie à ses semblables a pour équivalent l'internaute isolé dernière son ordinateur et connecté au "réseau des réseaux", ou bien la personne qui se branche aux autres par son téléphone cellulaire portatif que des satellites qui tissent leur toile tout autour du globe raccordent instantanément à l'ensemble de la planète.
On a vu, dans le texte rappelé plus haut, que le caractère paradoxal d’un réseau d’atomes qui s'appuient tous les uns sur les autres est que de chacun on peut dire qu'il est au centre des autres et qu'il fait simultanément partie de la périphérie des autres. Ce qui est au centre est donc en même temps à la périphérie, et c'est pourquoi on a dit que cette situation relevait du paradoxe du "centre à la périphérie".
 
 

Nature du paradoxe que l'artiste cherche à maîtriser

L'artiste, comme tous les membres de sa société qui participent à ce fonctionnement, est donc "pris", "englué" dans le paradoxe du "centre à la périphérie".
Mais il est trop "pris", trop "englué" dans ce paradoxe pour pouvoir le regarder en face. Il est "dépassé" par ce paradoxe qui domine inconsciemment son comportement. Ce paradoxe est trop omniprésent dans les rouages de sa société et à toutes les échelles et sous tous les aspects de son fonctionnement, pour qu'il puisse l'appréhender avec un quelconque recul. Il est lui même une partie de ce paradoxe, puisque ce paradoxe est celui qui a trait à la relation entre la société dans son entier et chaque membre de cette société.

À défaut de pouvoir y faire face, et dans le but de prendre le recul qui lui manque pour saisir complètement ce qui se passe en lui, il peut apprivoiser une forme moins virulente de ce paradoxe, une forme que l'acquis de la société a déjà permis d'intégrer à la complexité du fonctionnement interne de chacun, une forme que pour cette raison il pourra dominer, dont il pourra appréhender tous les aspects, saisir toutes les relations internes impliquées par son fonctionnement. Cette forme atténuée du paradoxe du "centre à la périphérie", on peut penser que c'est le paradoxe "relié / détaché" puisque c'est lui qui a dominé l'étape précédente de l'évolution du fonctionnement de la société.
On explique maintenant pour quelle raison le recours à ce fonctionnement paradoxal est effectivement impérieux pour une personne "prise" dans le paradoxe du "centre à la périphérie" afin de l'aider à tenir dans une telle situation.
 
 
 
Pertinence du paradoxe "relié / détaché"
 
Quand la société n’apparaît plus structurée par des pôles de repères dominants mais seulement formée d’un lacis d’individualités semblables uniformément reliées les unes aux autres, il importe d’être capable de bien ressentir comment on peut être à la fois complètement et de multiples façons relié aux autres, tout en conservant la notion que notre personnalité est distinctement détachée des autres et qu’elle forme à elle seule un pôle bien autonome et bien indépendant des autres.

 
 
Les deux procédés du paradoxe "relié / détaché"
 
Comme à toute époque revoir l'explication dans une autre fenêtre], nous trouvons deux procédés pour exprimer ce paradoxe : le procédé analytique, et le procédé synthétique.
Ce procédé analytique consiste à faire en sorte que l'architecture présente certains éléments complètement reliés entre eux, tandis que d'autres éléments de cette architecture se détachent au contraire très nettement, faisant une brusque saillie qui les isole et les coupe de toute continuité avec ce qui les environne. Ce procédé consiste donc à réellement mettre en présence les termes contradictoires du paradoxe, termes qui normalement s'excluent. Mais par sa réussite même, ce procédé tue ce qu'il y a de vraiment paradoxal, c'est-à-dire d'insoluble dans le paradoxe qu'il illustre.
Le procédé synthétique consiste, par des conflits dans notre perception, à nous faire ressentir le trouble exact qui s'installe en nous lorsque l'on cherche à percevoir que les espaces ou les éléments de l'espace sont en même temps parfaitement reliés entre eux et complètement détachés les uns des autres. Ce procédé permet cette fois de garder vivante l'impression d'impossible cohabitation des deux termes du paradoxe, mais en échange il se doit d'être moins exigeant sur ce qu'il fait réellement. Il garde vivante l'impression d'incompatibilité entre le relié et le détaché, mais en revanche il doit s'abstenir d'utiliser des éléments complètement reliés opposés à des éléments complètement isolés.
 
 

Le "relié / détaché" aux deux bouts du cycle du noeud
 
Nous aurions pû faire l'analyse d'architectures contemporaines qui fonctionnent de façon "reliée /détachée", mais nous avons préféré analyser des exemples de l'architecture Renaissance qui relève du même fonctionnement à l'autre extrémité du cycle du noeud. Signalons cependant que le "relié /détaché" contemporain et le "relié /détaché" de la Renaissance ne sont pas identiques, cela pour deux raisons :
      - les trois paradoxes combinés avec ce paradoxe dominant ne sont pas les mêmes. Dans l'architecture Renaissance, ce sont les paradoxes du "centre à la périphérie", de "l'entraîné / retenu" et du "mouvement d'ensemble / autonomie". Dans l'architecture contemporaine ce sont les paradoxes du "un / multiple", du "regroupement réussi / raté" et du "fait / défait".
      - en supplément à cette combinaison de trois paradoxes dit "d'état" présentation de cette notion dans une autre fenêtre] pour faire du relié / détaché, il existe les paradoxes dit de "transformation" présentation de cette notion dans une autre fenêtre] qui se renouvellent à toutes les étapes. Pour des raisons de simplification, ces paradoxes ne sont pas envisagés dans les analyses suivantes, mais il importe au moins de savoir que ces paradoxes ne sont pas du tout analogues à l'étape de la Renaissance et à l'étape contemporaine, de telle sorte que la période contemportaine ne peut certainement pas être envisagée que comme un simple retour à la période de la Renaissance.
 
 
 
 
La façade du Palais Pitti à Florence
 

      vue de la partie centrale initiale de la façade   (dans une autre fenêtre)

On ne sait trop quel architecte a conçu le palais Pitti de Florence, dans la seconde moitié du XVème siècle. Certains ont évoqué le nom de Brunelleschi, à d'autres cela semble très douteux. Peu importe.
Au départ, la façade ne comportait en largeur que sept fenêtres. Un siècle plus tard, l'architecte Bartolomeo Ammannati l'a fortement allongée à la demande de Cosme 1er. Aujourd'hui, dans des circonstances équivalentes, un architecte s'acharnerait à faire une extension qui se démarque le plus possible du style initial pour affirmer à la face du monde l'originalité de sa personnalité. À cette époque ce genre d'attitude n'était pas de mise, et Ammannati prolongea la façade dans le style exact où les premières travées avaient été construites un siècle plus tôt.
C'est ce style initial que nous allons interroger, qui consiste à souligner le découpage de chaque pierre en creusant un joint profond sur toute la périmétrie de son contour.
 
Les joints forment un réseau qui relie toutes les pierres de la surface de la façade et en même temps les coupe complètement l'une de l'autre. Les pierres sont toutes reliées mais aussi toutes détachées les unes des autres, toutes complètement détachées parce que toutes complètement reliées. Il s'agit d'une expression analytique du paradoxe, car le lien généralisé est réellement présent de même que la coupure complète. Ce mode d'expression qui réalise réellement les deux termes contradictoires du paradoxe tue effectivement ce que leur confrontation a de véritablement paradoxal, puisque le fait de relier les pierres de cette façon les détache inévitablement l'une de l'autre : si la conséquence est logique, elle ne peut être paradoxale.
 

 
expression analytique du relié / détaché : toutes les pierres sont reliées par le réseau des joints creux,
mais ce creux qui les cerne les détache complètement l'une de l'autre
 
Les balustrades horizontales produisent un effet similaire : elles relient toute la façade dans le sens horizontal, mais elles détachent des étages bien séparés dans le sens vertical.
 
 
expression analytique du relié / détaché : les balustrades relient toute la façade dans le sens de la longueur,
mais détache les étages dans le sens vertical
 
L'expression synthétique utilise elle le contraste entre le réseau orthogonal des pierres, et les perturbations qu'y introduisent les ouvertures en plein ceintre. Les claveaux concentriques qui enveloppent le dessus des baies sont intégrés dans le réseau des pierres cernées de joints profonds qui recouvre toute la façade, mais en même temps ils en détachent des zones qui chacune est ressentie comme centrée sur un point isolé dans un réseau régulier de centres semblables côte à côte et les uns au dessus des autres.
Ces claveaux concentriques sont reliés par leurs joints au reste de la façade, ils s'en détachent par leur géométrie chaque fois concentrique.
 
 
expression synthétique du relié / détaché : par un aspect les joints creux des claveaux rayonnants se fondent dans le réseau des joints
qui recouvre uniformément la façade, et relient ainsi les pierres des ouvertures au reste de la façade.
Mais par un autre aspect ils font apparaître des figures concentriques qui se détachent dans notre vision
 
 
 
 
 
Brunelleschi : la nef de Santo Spirito à Florence
 
      vue de l'intérieur de la nef   (dans une autre fenêtre)

Filippo Brunelleschi vécut de 1377 à 1466. Il est la première grande figure d'architecte de la Renaissance. Il doit une grande part de sa renommée, d'avoir réussi à couvrir d'une coupole l'énorme tambour qui surmonte le coeur de la Cathédrale de Florence. Les florentins lui doivent ainsi la face sauve, car beaucoup craignaient que le tambour ne fut trop grand pour recevoir une couverture qui ne s'effondre. Brunelleschi trouva la solution.
Si l'attribution à Brunelleschi du Palais Pitti est douteuse, certaine en revanche est celle de l'église de Santo Spirito qu'il construisit à Florence en 1436.
 
Les chapiteaux de la nef de San Spirito sont curieux. Ils sont décomposés en plusieurs parties qui se superposent, nettement séparées les unes des autres.
La partie inférieure est un chapiteau corinthien, qui est la part que Brunelleschi emprunte à l'antiquité Gréco-Romaine. S'appuyant sur ce témoignage du passé, le dessus est la part d'invention de Brunelleschi. Ce dessus commence par une succession de ressauts en reliefs les uns sur les autres, brusquement cette succession s'arrête, puis plus haut, après une très grande coupure et alors qu'on pouvait le croire fini, le chapiteau reprend par un nouveau ressaut, plus prononcé encore que les précédents.
Le tailloir isolé qui se forme ainsi est perçu comme un élément autonome, un élément détaché du chapiteau et encastré dans les arcs du dessus. Mais en même temps il est perçu comme tout à fait intégré au chapiteau, puisqu'il participe à la suite des débords successifs qui s'enchaînent depuis le bas.
Ressaut complètement détaché des autres, en même temps que ressaut visuellement relié à ceux du dessous dont il poursuit la cascade des débords, voilà une expression analytique du paradoxe relié / détaché. Analytique, parce que chacun des deux aspects paradoxaux se sert d'un effet visuel différent pour s'affirmer.
 

 
expression analytique du relié / détaché : le tailloir est visuellement relié à la partie basse du chapiteau
puisqu'il continue sa cascade de décrochements, mais il s'en détache par la séparation d'un grand vide
 
Considérons maintenant la façon dont tous les tailloirs sont reliés entre eux.
L'écart important qui sépare le tailloir de chaque chapiteau des ressauts du dessous, attire l'attention sur l'alignement que font ensemble tous les tailloirs d'une même file de colonnes. S'ils avaient été posés sans décalage sur les chapiteaux, on verrait une série d'arcades arrondies qui régulièrement rebondissent sur des chapiteaux qui scandent ce rebond. Du fait de cette coupure, l'encastrement inattendu du tailloir dans les arcades devient un élément visuel prédominant qui force à lire les colonnes d'une façon particulière : on voit que chaque tailloir est détaché de sa colonne, et en même temps on voit que ce tailloir détaché s'aligne avec des tailloirs semblables situés sur les autres colonnes.
L'effet qui détache chaque tailloir de son fût est le même que celui qui le relie en file continue avec les autres tailloirs. Sous cet aspect, il s'agit donc d'une expression synthétique du paradoxe, puisque c'est le même effet visuel qui prend en charge les deux aspects contradictoires.
 
 
expression synthétique du relié / détaché : l'écart important qui détache chaque tailloir de son chapiteau,
se voit simultanément sur toute la file des tailloirs.
Cela fait surgir visuellement l'alignement qui relie tous les tailloirs de la même travée
 
Cette expression synthétique est étroitement mêlée avec une autre expression, cette fois analytique : les tailloirs coupent les arches, en détachent la partie basse pour l'incorporer au milieu des chapiteaux, mais la continuité des courbes qui rebondissent d'un chapiteau à l'autre reste bien visible malgré cette coupure, les arcades continuent donc à relier les chapiteaux.
 
 
expression analytique du relié / détaché : les arcades forment une frise qui relie tous les chapiteaux. La continuité de cette frise se perçoit bien, cela malgré la traversée qu'elle doit faire des tailloirs qui la coupent, car instinctivement nous cherchons à ressentir que les arcades s'appuient sur les chapiteaux qui les soutiennent. Mais par ailleurs, on perçoit que les tailloirs coupent vraiment la frise au moment de ses rebonds, ce qui en détache les parties basses qui reposent sur les chapiteaux
 
 

 
 
Autres artistes de la Renaissance qui font du relié / détaché
 
On peut citer par exemple :
- Léon Battista Alberti (1404 - 1472), auteur notamment du Palais Rucellai à Florence
- Luciano Laurana (vers 1420/1425 - 1479), auteur notamment du Palais ducal d'Urbino
- Lorenzo Ghiberti (1378 -1455) qui sculpta la Porte du Paradis du baptistère de Florence
 
 
Travaux pratiques

Dans un autre texte il est expliqué que, au cycle du noeud qui fonctionne en organisation, chaque paradoxe dominant utilise trois autres paradoxes dominés qu'il combine pour se faire valoir.
Il peut être un bon exercice d'entraînement de rechercher comment le paradoxe dominant "relié / détaché" utilise dans les exemples que l'on a donné les paradoxes :
               le centre à la périphérie (que l'on trouve dans le style maniériste)
               entraîné / retenu (que l'on trouve dans le style baroque et dans le style classique)
               mouvement d'ensemble / autonomie (que l'on trouve dans le style rococo)
 
Pour être complet, il convient de rechercher chaque fois l'expression analytique et l'expression synthétique de chacun de ces paradoxes.
 
  dernière mise à jour de cette page : 21 octobre 2007


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