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le style de la Renaissance
 
 
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tableau complet
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les styles baroque et classique

 cycle du noeud
phase du point - paradoxe 0
le style dit maniériste en art (XVIème siècle)
 
 
le centre à la périphérie
 
 
 
 
remarque : 
Pour des raisons de "logique paradoxale", il est conseillé de ne pas commencer par le style de la Renaissance, mais de l'aborder seulement en 16ème et dernière étape. Si pour des raisons de "logique logique" vous souhaitez "commencer par le début", vous pouvez utiliser le lien en haut de cette page pour vous rendre à l'étape de la Renaissance. 
 
Les historiens ont l'habitude d'appeler "maniérisme" le style qui occupe pour l'essentiel le XVIème siècle italien, et qui forme transition entre l'art renaissant du XVème siècle et l'art baroque du XVIIème.
Il y a du péjoratif dans cette expression. Pourtant, les artistes de cette époque n'ont rien de secondaire. En architecture, les principaux représentants du maniérisme sont Jules Romain, Vignole, mais surtout Michel-Ange et Palladio. En peinture, on peut citer le Tintoret et Véronèse, et encore une fois Michel-Ange. Que l'on peut tout aussi bien citer pour la sculpture.
 
 
 
Fonctionnement de la société dans laquelle est plongé l'artiste

Dans un autre texte on a expliqué que chaque personne de cette société se trouve en situation similaire à celle d'un atome qui s'agite sur place, fuyant sans cesse la position que lui assigne le réseau auquel il appartient, et toujours ramené à la même place par l'effet de la régularité sur tous les côtés de l'attirance et de la répulsion qu'exercent sur lui ses voisins [ F revoir l'image caractéristique dans une autre fenêtre].
On y a vu aussi que le caractère paradoxal de cette situation provient de ce que chacun est à la fois entraîné sans cesse à quitter sa place, et retenu sans cesse à la même place. Pour cette raison on a appelé ce paradoxe : "entraîné / retenu".
 
 

Nature du paradoxe que l'artiste cherche à maîtriser

L'artiste, comme tous les membres de sa société, est donc "pris", "englué" dans le paradoxe "entraîné / retenu".
Mais il est trop "pris", trop "englué" dans ce paradoxe pour pouvoir le regarder en face. Il est "dépassé" par ce paradoxe qui domine inconsciemment son comportement. Ce paradoxe est trop omniprésent dans les rouages de sa société et à toutes les échelles et sous tous les aspects de son fonctionnement, pour qu'il puisse l'appréhender avec un quelconque recul. Il est lui même une partie de ce paradoxe, puisque ce paradoxe est celui qui a trait à la relation entre la société dans son entier et chaque membre de cette société.

À défaut de pouvoir y faire face, et dans le but de prendre le recul qui lui manque pour saisir complètement ce qui se passe en lui, il peut apprivoiser une forme moins virulente de ce paradoxe, une forme que l'acquis antérieur de la société a permis d'intégrer à la complexité du fonctionnement interne de chacun, une forme que pour cette raison il pourra dominer, dont il pourra appréhender tous les aspects, saisir toutes les relations internes impliquées par son fonctionnement. Cette forme atténuée du paradoxe "entraîné / retenu", on peut penser que c'est le paradoxe du "centre à la périphérie" puisque c'est lui qui a dominé le fonctionnement de la société au siècle précédent, celui de la Renaissance.
On explique maintenant pour quelle raison le recours à ce fonctionnement paradoxal est effectivement impérieux pour une personne "prise" dans le paradoxe "entraîné / retenu" afin de l'aider à tenir dans une telle situation.
 
 
 
Pertinence du paradoxe du "centre à la périphérie"
 
L'atome qui s'agite sur place est prisonnier de ce comportement à cause de la régularité du rebond qu'il effectue sur tous les atomes semblables qui l'entourent. Dans une telle situation, mais transposée cette fois à la société humaine, une personnalité trouve donc son sens et son équilibre grâce à la régularité de son rebond sur la personnalité des membres de sa société. Il y a bien un paradoxe dans cette situation, car le centre de son équilibre se trouve bien sûr au centre d'elle-même, mais en même temps, et même principalement peut-on dire, les autres - qui l'entourent - sont la source de cet équilibre. L'équilibre vient de la régularité qui règne sur la périphérie de chacun, et l'équilibre au centre est seulement le produit de la régularité des rebonds sur ce qui entoure. Dans cette dynamique, on ne positionne pas les autres à partir de soi comme centre de référence, mais on projette au contraire sur les autres l'origine de notre perception, et c'est depuis ces centres que l'on perçoit extérieurs à soi que l'on apprécie l'équilibre propre de notre personnalité.
C'est une bien curieuse situation, où le centre de notre équilibre, et donc le centre de notre personnalité, se retrouve comme à la périphérie de nous, décomposé en centres répartis sur toute notre périphérie. Car par définition un centre est au centre, et il est unique, il ne peut pas être à la périphérie, et il ne peut y avoir plusieurs centres en même temps.
 
 
 
Les deux procédés du paradoxe du "centre à la périphérie"
 
Comme à toute époque [ F revoir l'explication dans une autre fenêtre], nous trouvons deux procédés pour exprimer le paradoxe du centre à la périphérie : le procédé analytique, et le procédé synthétique.
Le procédé analytique consiste à faire que l'architecture que nous avons devant nous soit réellement munie d'un centre au centre et de centres en périphérie. Certaines parties du bâtiment exprimeront la centralité au centre, d'autres proposeront de lire le centre réparti sur toute la périphérie. Ce procédé consiste donc à réellement mettre en présence les termes contradictoires du paradoxe, termes qui normalement s'excluent. Mais par sa réussite même, ce procédé tue ce qu'il y a de vraiment paradoxal, c'est-à-dire d'insoluble dans le paradoxe qu'il illustre.
Le procédé synthétique consiste, par des conflits dans notre perception, à nous faire ressentir le trouble exact qui s'installe en nous lorsque l'on cherche à percevoir notre centre comme s'il était réellement extérieur à nous-même. Ce procédé permet cette fois de garder vivante l'impression d'impossible cohabitation des deux termes du paradoxe, mais en échange il se doit d'être moins exigeant sur ce qu'il fait réellement. Il garde vivante l'impression d'incompatibilité d'un centre au centre et de centres à la périphérie, mais il doit s'abstenir de matérialiser réellement cette situation.
 
 
 
Michel-Ange : le pavage du Capitole de Rome
 
      perspective   (dans une autre fenêtre)
      plan du pavage   (dans une autre fenêtre)
 
Avec les travaux de Saint-Pierre, Paul III confiait à Michel-Ange le coeur religieux de Rome. Grande était sa confiance en cet artiste, puisqu'il lui confia en même temps le coeur civique de Rome : la construction du Campidoglio, qu'on appelle aujourd'hui le Capitole.
Michel-Ange (1475-1564) ne vit que le début de la construction des bâtiments du Capitole, et quant au pavage, dont il fit le dessin, il ne fut réalisé qu'en 1940, soit quatre siècles après sa conception.
Ce pavage est inscrit dans un grand ovale qui occupe toute la place. Pour qu'il soit bien visible, même pour un piéton, cet ovale est bombé : son pourtour s'enfonce dans le sol par quelques emmarchements, et le centre est surélevé.
Tout au centre justement, une statue de Marc-Aurèle. Depuis cette statue, partent les multiples branches d'une étoile. En retour, les pointes de ces branches reçoivent la frêle extrémité de tracés qui partent en bouquets croisés depuis toute la périphérie de l'ovale.
Ce subtil équilibre tient sur des pointes, comme une danseuse tient - fragile - sur la pointe de ses pieds. Il doit tout à la régularité et aux interférences savamment croisées des ondes qui partent depuis toute la périphérie. Le centre de la place est le lieu qui reçoit ces ondes. Pour les recevoir, vers elles il lance ses pointes en étoile.

Dans cet effet se mélangent les deux procédés paradoxaux.
Dans l'opposition entre l'aspect centré bien symétrique de la figure, et sa construction à partir de centres répartis sur toute la périphérie, on trouve le procédé analytique : un centre au centre en conflit d'influence visuelle avec des centres périphériques.
 

 
expression analytique du "centre à la périphérie" : un équilibre central et des centres sur toute la périphérie
 
Dans les façades des bâtiments maniéristes, souvent cet effet se traduit par un corps de bâtiment axial (le centre au centre) qui dispute l'influence visuelle dominante avec des corps de bâtiments latéraux qui ne sont pas que des ailes mais se présentent eux aussi avec un fronton qui leur donne un axe propre (des centres de symétrie sur les côtés, c'est-à-dire des centres à la périphérie). Parmi les bâtiments célèbres qui relèvent de ce principe et dont chacun pourra aisément se procurer une reproduction, on peut citer :
- avec 1 centre au centre et 2 axes/centres latéraux : la villa Barbaro à Maser de Palladio
- avec 1 centre au centre et 4 axes/centres latéraux : la villa Rotonda à Vicence de Palladio
- avec 1 massif centré au centre et 5 massifs centrés latéraux : le palais Farnèse à Caprarola de Vignole
 
façade schématique de la villa Barbaro
plan schématique de la villa Rotonda
plan schématique du palais Farnèse
 
      croquis de ces constructions   (dans une autre fenêtre)
 
 
Le procédé synthétique utilise de façon plus dynamique la lecture du pavage : quand depuis la statue on lit la forme en étoile qui part de tous ses côtés (c'est-à-dire lorsque l'on cherche à se ressentir au centre et à percevoir comment le monde s'ordonne de tous côtés autour de nous), aussitôt nous submerge la lecture des pointes qui de tous côtés reviennent vers nous. Elles nous font nous ressentir comme le point où converge le monde extérieur, non pas le point d'où s'ordonne le monde extérieur. Quand nous voulons nous lire au centre du monde, nous lisons que nous sommes au contraire à son extrémité, et cela de quelque côté que l'on se tourne. Le centre du monde est par conséquent réparti tout autour de nous.
 
 
expression synthétique du "centre à la périphérie" : conflit entre perception depuis le centre et perception depuis toute la périphérie
 

 
Palladio : la façade de San Francesco della Vigna à Venise
 
      vue de la façade   (dans une autre fenêtre)
 
Ce second exemple est donné pour expliquer un procédé synthétique spécialement important du fait de son utilisation fréquente dans l'architecture maniériste. Il est plus délicat à manier.
Il a été emprunté par les architectes italiens à leur antiquité de l'époque romaine impériale où il fut très utilisé,  notamment dans les arcs de triomphes. Cette résurgence n'est pas un hasard, puisque le paradoxe du centre à la périphérie a également été en jeu dans la seconde partie de l'antiquité romaine.

Ressentir que notre centre n'est pas seulement à notre centre mais aussi sur l'ensemble de notre périphérie, cela implique que, lorsque nous cherchons à ressentir en nous-même un point de départ pour orienter l'ensemble du monde extérieur par rapport à nous, ce point central se dérobe chaque fois que nous l'atteignons, puisqu'il doit être vécu comme périphérique et non pas au centre. La dérobade du point de départ de la perception, la dérobade du point d'appui de soi au centre de soi, est par conséquent le fonctionnement spécifique du paradoxe du centre qui n'est pas au centre mais à la périphérie.
Quand on observe un bâtiment qui se dresse sur le sol comme nous nous dressons sur nos pieds, le point d'appui au sol est ce qui fait fonction de départ pour la perception. C'est à partir de cet appui que nous déchiffrons la façade qui se dresse de bas en haut devant nous.
Dérober le point de départ de la perception, c'est donc dérober l'appui au sol du bâtiment. C'est aussi faire manquer la perception de l'autre extrémité du bâtiment, son sommet, puisque si notre perception est décalée au départ de la lecture du bâtiment, elle ne peut qu'être décalée à son arrivée. Dérober le point d'appui et le point d'arrivée du bâtiment, voilà comment l'architecture maniériste, à l'exemple comme on l'a dit plus haut des arcs de triomphe impériaux, va suggérer l'instabilité insoluble que génère le paradoxe du centre à la périphérie.
 

 
 expression synthétique du "centre à la périphérie" : ressentir que le centre d'équilibre est au centre de soi mais aussi à l'extérieur de soi,
implique de réussir / rater le point d'appui central de la perception de soi et de ce qui nous entoure. Par analogie,
un bâtiment qui se dresse debout comme nous sur nos jambes, a son appui au sol qui est réussi/raté
 
 
On doit à l'architecte Jacopo Tatti, dit Sansovino, l'église San Francesco della Vigna de Venise, sauf sa façade qui fut elle réalisée par Palladio (vers 1570 ?).
On a dit que lorsqu'on cherche à percevoir l'appui du bâtiment sur le sol, on s'attend à ce qu'il s'appuie sur le sol comme nous nous appuyons sur nos pieds. Ici, on perçoit de façon évidente que le socle de l'édifice refuse d'être son point de départ et d'appui au sol. Ou plus exactement, il l'est "et" il ne l'est pas. Il l'est, si l'on considère l'encadrement de la porte qui commence au sol, et le socle général en relief près du sol. Il ne l'est pas, car un autre pied au bâtiment s'affirme décalé, à bonne hauteur du sol. Toutes les colonnes démarrent sur cet appui décalé, et quand on regarde ces colonnes, le bas du bâtiment ne nous apparaît pas confondu avec sa partie la plus basse. Le bâtiment dérobe ainsi son appui au sol, le décale brusquement en hauteur.
Depuis ce départ artificiel élevé, on cherche cette fois à percevoir où s'arrête le haut du bâtiment. Si l'on suit la partie centrale et les parties externes dont les colonnes sont de même échelle, le fronton commence assez vite, à mi-hauteur du bâtiment environ. Si maintenant l'on suit les parties intermédiaires de la façade, cette fois on doit constater que le fronton est décidément plus haut. De la même façon que nous hésitons toujours sur la position réelle de l'appui du bâtiment, et alors que nous espérions que son arrivée nous renseignerait mieux, chaque fois nous sommes déçus de constater que le toit non plus n'est jamais tout le toit, le vrai toit, le bon toit, c'est à dire celui qui vraiment clôt le bâtiment en hauteur. Partant de la même ligne d'appui en bas des colonnes, plusieurs "hauts" se font concurrence et se portent candidats pour en être chacun l'extrémité supérieure.
Le bas n'est pas en bas, et le haut n'est pas non plus au sommet.
Ce dispositif est particulièrement représentatif d'un procédé de type synthétique : sa lecture fait fonctionner à fond le déport du point d'appui qu'implique de renoncer à se repérer depuis le centre de nous même, mais en échange il ne propose rien qui ressemble à un vrai centre à la périphérie.

On profite de cette image pour souligner le procédé analytique expliqué à la fin de l'étude du pavage du Capitole : le bâtiment possède un axe central, mais chaque petit côté possède aussi un axe de symétrie jusqu'au niveau de son entablement, marqué par deux colonnes qui entourent un cadre rectangulaire qui marque le centre de leur figure. Le massif central et principal lui aussi est une figure avec un axe de symétrie central, mais les paires de colonnes qu'il contient de chaque côté forment également chacune une figure symétrique dont l'axe est souligné par deux rectangles dont l'un contient même une statue dans son axe.
Contrairement au procédé synthétique, le procédé analytique propose bien un vrai centre à la périphérie, mais sa lecture ne suggère pas la même instabilité de perception que celle produite par l'incertitude permanente sur la position réelle de l'appui du bâtiment.
 
 
 
Travaux pratiques

Dans un autre texte il est expliqué que, au cycle du noeud qui fonctionne en organisation, chaque paradoxe dominant utilise trois autres paradoxes dominés qu'il combine pour se faire valoir.
Il peut être un bon exercice d'entraînement de rechercher comment le paradoxe dominant du centre à la périphérie utilise dans le pavage du Capitole et dans la façade de San Francesco della Vigna les paradoxes :
               relié / détaché (que l'on trouve dans le style renaissance)
               entraîné / retenu (que l'on trouve dans le style baroque et dans le style classique)
               mouvement d'ensemble / autonomie (que l'on trouve dans le style rococo)
 
Pour être complet, il convient de rechercher chaque fois l'expression analytique et l'expression synthétique de chacun de ces paradoxes.
 


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