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Christo et Bofill

cycle du noeud
phase de l'organisation - paradoxe 2
l'art moderne -4- (milieu du XXème siècle)
 
 
même / différent
 
 
 
 
Fonctionnement de la société dans laquelle est plongé l'artiste

Dans un autre texte, on a expliqué que l'étape dynamique qui suit l'appariement des tourbillons en groupes de tourbillons semblables est le moment où se construit une hiérarchie de tourbillons, les petits tournant en sens inverses dans de plus grands tourbillons qui les englobent sur une échelle au dessus. revoir l'image caractéristique dans une autre fenêtre].
Vers le milieu du XXème siècle, le fonctionnement de la société occidentale atteint un stade d'organisation équivalent, mais l'accélération de la transformation de la société est telle que ce passage s'accomplit avant même que son stade précédent n'ait eu le temps de se généraliser à toute la société et à l'ensemble de ses rouages. Pour cette raison ces deux fonctionnements vont cohabiter un moment, en même temps d'ailleurs qu'ils cohabiteront partiellement avec l'étape suivante du fonctionnement de la société.
Mais, pour le moment, nous nous intéressons aux artistes que la vie a affrontés à une société qui fonctionne comme une organisation hiérarchique de tourbillons qui s'engrènent mutuellement sur plusieurs échelles, les plus petits tournoyant dans les plus grands.
On a vu, dans le texte rappelé plus haut, que le caractère paradoxal de ce type de fonctionnement provient de ce que chacun des grands tourbillons qui en contient de plus petits est muni d'un intérieur qui est clairement et fermement délimité par une frontière, mais que cet intérieur est complètement envahi par l'extérieur qui le pénètre et qui le traverse totalement. Cette situation  nous a fait désigner ce paradoxe : "intérieur / extérieur".
 
 

Nature du paradoxe que l'artiste cherche à maîtriser

L'artiste, comme tous les membres de sa société qui participent à ce fonctionnement, est donc "pris", "englué" dans le paradoxe "intérieur / extérieur".
Mais il est trop "pris", trop "englué" dans ce paradoxe pour pouvoir le regarder en face. Il est "dépassé" par ce paradoxe qui domine inconsciemment son comportement. Ce paradoxe est trop omniprésent dans les rouages de sa société et à toutes les échelles et sous tous les aspects de son fonctionnement, pour qu'il puisse l'appréhender avec un quelconque recul. Il est lui-même une partie de ce paradoxe, puisque ce paradoxe est celui qui a trait à la relation entre la société dans son entier et chaque membre de cette société.

À défaut de pouvoir y faire face, et dans le but de prendre le recul qui lui manque pour saisir complètement ce qui se passe en lui, il peut apprivoiser une forme moins virulente de ce paradoxe, une forme que l'acquis de la société a déjà permis d'intégrer à la complexité du fonctionnement interne de chacun, une forme que pour cette raison il pourra dominer, dont il pourra appréhender tous les aspects, saisir toutes les relations internes impliquées par son fonctionnement. Cette forme atténuée du paradoxe "intérieur / extérieur", on peut penser que c'est le paradoxe "même / différent" puisque c'est lui qui a dominé l'étape précédente de l'évolution du fonctionnement de la société.
On explique maintenant pour quelle raison le recours à ce fonctionnement paradoxal est effectivement impérieux pour une personne "prise" dans le paradoxe "intérieur / extérieur" afin de l'aider à tenir dans une telle situation.
 
 
 
Pertinence du paradoxe "même / différent"
 
Quand la société atteint cet état d'une immense machinerie de tourbillons hiérarchiques qui s'engrènent mutuellement sur plusieurs échelles de fonctionnement, afin de comprendre notre place dans cette machinerie, il importe de bien comprendre cette structure hiérarchique et de comprendre comment les mêmes mécanismes d'organisation peuvent correspondre, malgré les apparences, à des échelons différents de fonctionnement. Nous devons, par conséquent, bien maîtriser le "complètement différent bien qu'apparemment même".
 
 
 
Les deux procédés du paradoxe "même / différent"
 
Comme à toute époque revoir l'explication dans une autre fenêtre], nous trouvons deux procédés pour exprimer ce paradoxe : le procédé analytique, et le procédé synthétique.
Ce procédé analytique consiste à faire en sorte que l'architecture présente certains éléments parfaitement identiques entre eux qui feront qu'il y a du "même", tandis que d'autres éléments de cette architecture se montrent cette fois complètement différents entre eux. Ce procédé consiste donc à réellement mettre en présence les termes contradictoires du paradoxe, termes qui normalement s'excluent. Mais par sa réussite même, ce procédé tue ce qu'il y a de vraiment paradoxal, c'est-à-dire d'insoluble dans le paradoxe qu'il illustre.
Le procédé synthétique consiste, par des conflits dans notre perception, à nous faire ressentir le trouble exact qui s'installe en nous lorsque l'on cherche à percevoir que les espaces ou les éléments de l'espace sont simultanément parfaitement identiques et complètement différents les uns des autres. Ce procédé permet cette fois de garder vivante l'impression d'impossible cohabitation des deux termes du paradoxe, mais en échange il se doit d'être moins exigeant sur ce qu'il fait réellement. Il garde vivante l'impression d'incompatibilité entre l'identité absolue et la différence absolue, mais en revanche il doit s'abstenir d'utiliser des éléments réellement identiques opposés à des éléments réellement différents entre eux.
 
 
 
 
 
 
Moshe Safdie : "Habitat 67" à Montréal
 
      vue de l'extérieur de l'immeuble   (dans une autre fenêtre)
 
 
Le bloc d'habitation "Habitat 67" que Moshe Safdie a construit à l'occasion de l'exposition universelle de Montréal de 1967, a eu un impact important sur bon nombre d'architectes de sa génération. Il doit cet impact à ce qu'il matérialise clairement une idée "philosophique" sous-jacente : un logement est fait pour abriter une famille, or toutes les familles sont différentes, cela doit donc se voir dans l'architecture.
 
On doit voir que chaque famille est bien distincte des autres (au sens de séparée des autres), et pour cela on fait ressortir son logis par un volume saillant ou par un creux de terrasse qui lui est particulier. La solution de la terrasse est particulièrement intéressante à cet égard, car elle est toujours pensée comme un bout de nature et elle permet d'imaginer que chaque famille dispose ainsi d'un rapport individuel au ciel et à la végétation.
Mais la répétition pour toutes les familles d'un "même", décrochement de terrasse risque de laisser dominer la notion de "même" et de noyer les différences que l'on voulait marquer. Pour éviter cela, il faut que chaque famille n'apparaisse pas dans une configuration semblable à celle des autres, et il convient donc que les jeux de volumes ou les décrochements de terrasse qui la distinguent soient les plus variés possibles d'un logement à l'autre.
La solution d'une terrasse systématique pour chaque appartement mais en des situations variées, est par conséquent la solution qui permet de montrer que l'on est bien tous les mêmes : on est tous différents.
 
 

expression analytique du même / différent : chaque appartement se distingue de la même façon par une terrasse,
mais toutes les terrasses sont différentes par leur position et leur orientation
 
 
 
Dans cet effet, la "même forme" de terrasse individuelle, située en "position ou en orientation différente", correspond à l'expression analytique du paradoxe.
Son expression synthétique est apportée par la texture d'ensemble qui résulte d'une telle accumulation de terrasses à l'allure aléatoire : remarquer ce que cette texture a d'uniforme, c'est aussi remarquer qu'elle se déforme en tous sens et qu'elle se révèle donc partout différente.
 
 
 
expression synthétique du même / différent : la texture uniforme (partout du même) s'obtient par l'imbrication aléatoire
de formes qui s'affirment différemment et partent dans des directions différentes

 
 
 

 
Hasegawa : Musée du Fruit à Yamanashi
 
      vue d'ensemble de l'extérieur du musée   (dans une autre fenêtre)
 
 
Dans aucun de nos développements nous n'avons eu besoin d'évoquer les quelques détails anatomiques qui différencient les hommes des femmes (ou leurs conséquences hormonales) pour expliquer le besoin de créer des formes et le mécanisme de cette création. Par conséquent, nous n'avons trouvé aucune raison pour que la création artistique soit spécialement une affaire masculine, ni aucune raison pour que l'architecture faite par une femme fonctionne d'une façon particulière.
Dans la période récente, des femmes telles que l'irakienne Zaha Hadid et la japonaise Itsuko Hasegawa (née en 1941) se sont chargées d'illustrer ces remarques de façon spectaculaire et talentueuse. Notre périple dans l'architecture contemporaine s'arrêtera avant d'aborder l'étape que représente Hadid, mais puisque Hasegawa fait du "même / différent", nous en étudions une oeuvre.

Le musée du fruit à Yamanashi (construit entre 1993 et 1995) se décompose en trois formes qui :
- par un aspect sont du même type : même enveloppe en résille, même bourgeonnement arrondi s'extrayant du sol ;
- par un autre aspect sont différentes : l'une est presque complètement aplatie, l'autre est moyennement sortie de terre, et la dernière se hisse suffisamment de terre pour changer le sens de sa courbure et s'étrangler à sa base.
"Mêmes" par un aspect et "différentes" par un autre, c'est donc là une expression analytique du paradoxe.
 
 

 
expression analytique du même / différent : les trois volumes ont le même aspect en résille formant un bourgeonnement qui s'extrait du sol,
mais ils ont des formes les plus dissemblables possibles
 
 
 
Le changement continuel de courbure de la dernière forme citée correspond à son expression synthétique : toujours la même courbe, mais toujours différente.
 
 
 
expression synthétique du même / différent : c'est toujours la même courbe,
mais elle est complètement différente d'un endroit à l'autre de son parcours
 

L'ensemble du groupement correspond aussi à l'expression synthétique : un même musée est fait de différentes formes assemblées. La réunion visuelle de ces différents volumes dans un même ensemble est facilitée par la transparence de leurs enveloppes en résille.
 

 
expression synthétique du même / différent : c'est toujours le même bâtiment, mais il est fait de différents bâtiments complètement séparés.
La réunion visuelle de ces différents volume dans un même ensemble est facilitée par la transparence de leurs enveloppes en résille
 
La transparence de leur résille aide aussi à ce que l'espace soit continu entre l'intérieur et l'extérieur, à ce qu'il forme toujours le même espace. Ce même espace possède selon les endroits des propriétés différentes : intériorité exacerbée par la forme très enveloppante, ou extériorité très affirmée par la vue bien dégagée sur le lointain.
 
 
 
expression synthétique du même / différent : c'est toujours le même espace continu,
mais il est différent d'un endroit à l'autre, parfois très intériorisé, parfois très extériorisé

 
 
 
Travaux pratiques

Dans un autre texte il est expliqué que, au cycle du noeud qui fonctionne en organisation, chaque paradoxe dominant utilise trois autres paradoxes dominés qu'il combine pour se faire valoir.
Il peut être un bon exercice d'entraînement de rechercher comment le paradoxe dominant "même / différent" utilise dans le projet de Moshe Safdie présenté ci-dessus les paradoxes :
                 synchronisé / incommensurable (que l'on trouve chez Wright et Aalto)
                 continu / coupé (que l'on trouve chez Eeri Saarinen et Mies Van der Rohe)
                 lié / indépendant (que l'on trouve chez Le Corbusier et Niemeyer)
 
Pour être complet, il convient de rechercher chaque fois l'expression analytique et l'expression synthétique de chacun de ces paradoxes.
Cette décomposition a été faite dans l'analyse de la Vénus des Arts d'Arman dans la [brève histoire de l'art]
 

dernière mise à jour de ce texte : 22 août 2007


 

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