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pour en finir avec les "Arts Premiers"
 
 
 
 
 
 

C'est bien connu, il n'y a plus de chômeurs, seulement des demandeurs d'emplois, et il n'y a plus de vieux, seulement des personnes du 3ème âge.
De la même façon il n'y a plus d'art primitif. Cela était trop visiblement condescendant et l'expression requise est maintenant celle d'arts premiers.

Le musée prévu pour le quai Branly a jusqu'ici échappé à cette absurde appellation de "musée des arts premiers", et l'on pouvait croire que les responsables culturels ne s'étaient pas laissés aller à l'effet de mode, puisque l'exposition des nouvelles sculptures du Louvre s'intitule plus sobrement et plus intelligemment : "Afrique, Asie, Océanie, Amériques".
Hélas, ce n'était qu'une apparence trompeuse : le catalogue de cette exposition, publié par la Réunion des Musées Nationaux, arbore en manchette bien voyante "Les arts premiers au Louvre", et le Directeur scientifique du catalogue commence ainsi son texte de présentation : Le temps du mépris est révolu. L'«art primitif» vient d'entrer au Louvre.
Bref on en est toujours au même point, et si vous ne souhaitez pas avoir à mettre de guillemets à "art primitif" vous n'avez qu'à employer l'expression qui fait aujourd'hui consensus : art premier. Et comme vous êtes respectueux des spécificités locales des indigènes, vous mettrez l'expression au pluriel.

Mais sur le fond cela ne fait aucune différence, que l'on parle de société primitive et d'art primitif, ou de sociétés premières et d'arts premiers.
Dans les deux cas le sens est le même et sans équivoque : on parle de la société et de l'art du début, et ce début que l'on évoque ne peut être que celui de l'humanité.
 
 
 

L'humain taille des outils depuis plus de 2 000 000 d'années.
Les oeuvres d'art les plus anciennes ont jusqu'ici été trouvées en Tanzanie et en Namibie, et elles auraient environ 35 000 ans. En Europe, les oeuvres les plus anciennes datent de l'époque dite "aurignacienne", vers 32 000 à 28 000 avant J.C. Si l'on en croit les nouvelles méthodes de datation avec la méthode U-Th (calibration à l'Uranium-Thorium), ces oeuvres seraient plus anciennes encore de quelques milliers d'années.
Si l'on parle d'art primitif ou d'art premier, on parle forcément des arts de cette époque là. Pourquoi mélanger sous la même appellation ces productions artistiques d'il y a 30 000 à 40 000 ans, avec par exemple l'art Baoulé du début du 20e siècle ?

On présente comme de l'art premier/primitif des terres cuites Maya du 7e/8e siècle après J.C., ou du Nigéria du 12e/14e siècle après J.C., ou bien encore des bronzes du Bénin du 16e siècle après J.C.
Mais depuis quand la maîtrise de la poterie ou bien celle de la métallurgie du bronze font-elle partie des activités "premières" de l'humanité ? Ce sont des inventions toutes récentes à l'échelle de l'histoire de l'humanité.
Ni la civilisation Maya ni celle du Bénin ne sont analogues à celle de nos ancêtres de l'âge de pierre.
Pourquoi donc une poterie du Nigéria du 13e siècle après J.C. serait-elle classée dans les arts premiers lorsqu'une poterie grecque du 5e avant J.C. (1 millénaire 1/2 au moins plus "primitive") est classée poterie "de l'époque classique" ? Alors que les historiens de l'art sont capables d'âpres et savantes discussions pour dater sans erreur à 10 ans près telle ou telle production "classique" ou pour établir sans ambiguité sa filiation exacte, pourquoi cette absence complète de discernement quand il s'agit d'arts non européens ?
 
 
 

D'ailleurs, qu'ont-ils en commun ces arts là -- à part précisément d'être le fruit de sociétés non européennes -- pour qu'on les désigne ainsi en bloc et d'un même qualificatif ?
On ne mélange dans un même mot les arts de l'Asie orientale (Chine, Inde, Japon, Kmer, etc.) avec les arts "africains", ni même les arts musulmans de l'Afrique du nord avec les arts du reste de l'Afrique : alors pourquoi mélanger de cette façon les arts de l'Amérique centrale avec les arts de l'Afrique noire ? Cela est d'autant plus absurde que l'on envisage alors l'Amérique centrale d'avant le 16e siècle, c'est-à-dire avant même que l'Europe et l'Afrique ne connaissent l'existence de l'Amérique, ce qui implique qu'il n'a pu y avoir aucune influence des unes sur les autres, rien pour homogénéiser quelque peu ces civilisations et permettre qu'elles relèvent d'une même aire culturelle ou d'une même filiation culturelle.

En fait, ce ne sont pas les arts premiers qui entrent au Louvre, ce sont les arts des peuples et des pays colonisés qui rejoignent enfin les arts des civilisations esclavagistes (l'Egypte pharaonique et la Grèce Classique) et les arts de leurs anciens colonisateurs.
 
 
 

Cela fait déjà pas mal de temps que la valeur culturelle de l'art des sociétés préhistoriques a été reconnue, et gageons que si cela avait été techniquement possible la grotte de Lascaux serait déjà au Louvre.
Les arts de civilisations non européennes entrent au Louvre à leur tour, au moins pour quelque temps. Nous pouvons nous réjouir si le temps du mépris est effectivement révolu, mais ne gâchons pas tout en insultant ces civilisations en qualifiant leurs productions "d'arts premiers".
Réservons ce qualificatif à l'art des humains préhistoriques d'il y a 35 000 ans ou plus, en attendant que l'on ne trouve peut-être des arts encore plus anciens, et éradiquons complètement ce terme de notre vocabulaire dès lors que l'on parle de l'art des humains (colorés) d'il y a quelques siècles, voir d'il y a un siècle seulement.
 

Christian RICORDEAU, le 22 avril 2000
 
 
 
 
 
 
 
Si vous partagez ma consternation concernant le consensus actuel sur le qualificatif "d'arts premiers", n'hésitez pas à transmettre l'adresse de cette page aux personnes que ce texte pourrait intéresser : 
         http://pro.wanadoo.fr/quatuor/polemique_art_01.htm
 


 

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