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Sommaire Art
tableau historique
 
tableau des 16 paradoxes
avant :  
transformation des fenêtres
suite :  
la flèche de SENLIS

 la transformation des chapiteaux et du triforium
en gothique rayonnant
 
 
 
 
 

Pour aller aux autres exemples de gothique rayonnant analysés :
 
     à la transformation des fenêtres, de gothique classique en rayonnant
     à la flèche de la cathédrale de SENLIS
     à la rose du croisillon nord de Notre-Dame de PARIS
     à la façade de la cathédrale de WELLS
 
   le tableau qui résume l'évolution de la musique et de l'architecture pendant le moyen-âge
   les généralités sur les effets paradoxaux que l'on trouve dans l'architecture gothique rayonnante
 
 
 
 

la transformation des chapiteaux
 
 

À l'occasion de l'analyse du gothique classique il a été examiné la disposition des chapiteaux à colonnettes de LAON d'un stade encore balbutiant du gothique, puis il a été examiné la nef de la cathédrale de CHARTRES dans laquelle on trouve les chapiteaux classiques sous leur forme "canonique".
On renvoie à ces deux textes directement accessibles par les liens ci-dessus, et on analyse maintenant la façon dont les chapiteaux se sont transformés à l'époque rayonnante.
Les chapiteaux de la dernière partie de nef réalisée dans la cathédrale de REIMS (ceux les plus proches de la façade occidentale) relèvent de ce style. Cette partie de nef a été réalisée après 1255, à l'époque où le maître d'oeuvre de la cathédrale était Bernard de Soissons.
Pour ne pas négliger cependant le gothique qui s'est créé hors de France, nous allons plutôt examiner les chapiteaux de la nef centrale de l'église Sainte-Elisabeth de MARBOURG en Allemagne, église dont la construction commença vers 1235.
À la différence de REIMS et de la plupart des cathédrales françaises, les chapiteaux de MARBOURG n'étaient pas placés en position basse, mais ils étaient directement au pied des voûtes, très en hauteur. Pour ce qui concerne la forme même des chapiteaux, ceux de MARBOURG sont très semblables à ceux de REIMS, sauf qu'ils n'ont que deux rangées superposées de feuillages sculptés, alors qu'à REIMS il y en a six.
 

Pour charger l'image de l'exemple analysé :   un des chapiteaux de la nef centrale de l'église Sainte-Elisabeth de MARBOURG (Allemagne) - après 1235  (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)

Source de l'image utilisée :
 "Le gothique" dans la collection "l'Architecture en Europe" chez HACHETTE - 1965
 
 


Le  1er paradoxe : intérieur / extérieur

Les creux très profonds sculptés entre les feuilles, forment une zone d'ombre située à l'extérieur de la surface du chapiteau, mais à l'intérieur même de son volume, puisque derrière son feuillage.
On peut aisément voir la différence entre cette disposition de creux profond sous le feuillage, et celle des chapiteaux du gothique classique où les feuilles se contentaient de faire émerger en cadence leurs pointes en surface, sans générer simultanément un volume creux qui soit lisible.
Il s'agit là d'une expression synthétique, puisque le creux derrière les feuilles est indémêlablement intérieur et extérieur au volume du chapiteau.
 

 
expression synthétique du paradoxe intérieur / extérieur :
le creux derrière les feuilles est à l'intérieur du volume du chapiteau, mais aussi à sa surface, donc à son extérieur
 

On perçoit la paroi cylindrique externe du gros pilier central, et on perçoit que ce pilier est prisonnier à l'intérieur de la cage que forment les petites colonnes externes. L'extérieur du pilier est donc à l'intérieur de la couronne des colonnes qui l'entourent.
C'est une expression analytique : les deux termes du paradoxe sont parfaitement réalisés, mais cette disposition n'a en elle-même rien de paradoxal.
 

 
expression analytique du paradoxe intérieur / extérieur :
la paroi externe du gros pilier central est à l'intérieur de la cage que forment les petites colonnes
 
 


Le 2ème paradoxe :  un / multiple

La frise de feuillage est uniforme, unitaire, et pour cela elle est faite de multiples feuilles en quantité innombrable.
C'est une expression analytique.
 

 
expression analytique du paradoxe un / multiple :
la frise de feuillages est uniforme (unitaire). Elle est faite de multiples feuilles
 

On peut nettement ressentir qu'il n'y a qu'un seul chapiteau à feuillage d'allure très horizontale pour coiffer l'ensemble des fûts cylindriques, celui du pilier central et celui des colonnes périphériques.
Mais dans cette couronne de feuilles on peut également repérer distinctement la protubérance qui correspond à chacune des colonnes externes, de telle sorte qu'on lit alors le chapiteau décomposé comme les fûts qu'il surmonte : un grand chapiteau au centre et de petits chapiteaux périphériques accolés.
Ces deux perceptions sont instables et se remettent en cause l'une par l'autre, il s'agit donc d'une expression synthétique.
 

 
expression synthétique du paradoxe un / multiple :
on peut lire un seul chapiteau horizontal continu (à gauche), mais on peut aussi le décomposer en autant de chapiteaux qu'il n'y a de colonnes en dessous
 
 
 


Le 3ème paradoxe : regroupement réussi / raté

La tranche horizontale que forme le chapiteau à feuilles réussit à fusionner, à regrouper dans un même volume uniforme et indifférencié, le cylindre du pilier central et ceux des colonnes externes.
Mais cette lecture horizontale n'est pas assez forte pour faire oublier que l'on peut aussi lire chaque portion de chapiteau dans la continuité verticale du fût cylindrique qu'elle surmonte. Dans cette lecture l'unité du chapiteau se défait, les feuilles ne se lisent plus regroupées en deux frises horizontales superposées, elles se lisent séparées en paquets, chacun surmontant une colonne distincte.
Il s'agit d'une expression analytique.
 

 
expression analytique du paradoxe regroupement réussi / raté :
dans le sens horizontal la frise de feuillages rassemble en continu tout le chapiteau (croquis de gauche). Ce rassemblement disparaît si on lit verticalement chaque chapiteau avec la colonne qui le porte
 

Toutes les feuilles sculptées sont regroupées dans une frise uniforme.
Mais l'uniformité de la frise n'empêche pas de repérer la dissymétrie entre l'arrondi du bord inférieur de la frise et la découpe anguleuse de son bord supérieur. Puisque la rangée du bas accompagne un arrondi et que celle du haut borde une découpe anguleuse aux reliefs plus prononcés, il reste une part d'indépendance entre ces deux rangées qui ne sont donc pas parfaitement regroupées de façon uniforme.
Surtout, la rangée du haut est déformée par la présence d'un décrochement supplémentaire qui vient faire comme un grumeau, une verrue, un accident qui se marque à la surface du chapiteau et qui contrarie l'homogénéité de la frise de feuillages.
Il s'agit dans les deux cas d'une expression synthétique.
 

 
deux expressions synthétiques du paradoxe regroupement réussi / raté :
croquis de gauche : l'uniformité de la frise de feuillages rassemble tout le chapiteau, mais elle ne suffit pas à gommer la profonde dissymétrie de ses bords qui restent étrangers l'un de l'autre
croquis de droite : les décrochements surnuméraires du bord supérieur marquent des verrues qui ne s'intègrent pas à l'uniformité de la frise qui rassemble les feuillages
 
 


Le 4ème paradoxe : fait / défait

Sur la hauteur des fûts cylindriques, une hiérarchie entre leurs tailles respectives est bien établie : il y a au centre un gros pilier cylindrique, et il y a sur ses flancs des colonnes de même forme cylindrique mais de taille beaucoup plus petite.
Cette hiérarchie ce défait dans le chapiteau qui fusionne ces volumes dans une même frise indifférenciée. La distinction même entre ces différents volumes se défait, car leur claire lecture se brouille dans le mélange qu'opère la frise uniforme des feuilles.
Il s'agit d'une expression analytique.
Une autre expression analytique utilise un jeu de formes très différent : le contraste entre les tracés bien nets (bien faits) des moulures qui bordent le chapiteau en haut et en bas, et le désordre que forme le papillotement des feuilles, faites de découpes irrégulières et difficiles à suivre dans le détail.
 

 
deux expressions analytiques du paradoxe fait / défait :
la nette hiérarchie de tailles entre les colonnes se défait au niveau du chapiteau qui les mélangent toutes uniformément
 
 
les tracés bien faits des bords, s'opposent au papillotement irrégulier des feuilles
 

La frise de feuillages se présente donc comme un papillotement de formes qui se dispersent en tous sens, de façon irrégulière et quelque peu brouillonne. Mais de façon inséparable, on lit très bien la régularité des rangées horizontales de feuilles, la régularité de l'espacement des feuilles entre elles, et la régularité de leur forme qui est toujours semblable.
Cette frise se présente donc inséparablement comme un motif à la régularité bien faite, et un motif à la régularité défaite par son papillotement irrégulier. Il s'agit donc là d'une expression synthétique du paradoxe fait / défait.
 

 
expression synthétique du paradoxe fait / défait :
la frise de feuillages est un motif à la régularité de position bien faite, mais cette notion de régularité est défaite par l'irrégularité du papillotement des formes
 
 
 
 
 
 
la transformation du triforium en claire-voie
 
 

Dans l'analyse de la nef de la cathédrale de CHARTRES, nous avons vu que le triforium y marquait une profonde coupure horizontale dans le mouvement vertical des jets de colonnes et d'ogives.
Le continu / coupé disparaît dans le gothique rayonnant, et tout naturellement le triforium qui jouait un rôle essentiel dans cet effet subit une profonde mutation, au point même de changer de nom et de devenir "claire-voie".
Pour cela, il gagne en hauteur et en profondeur, afin de devenir un volume à part entière et non plus seulement une saignée dans le mur. Surtout, il s'éclaire en se munissant de vitraux comme les grandes verrières qui le surmontent. Dernière mutation : au lieu de se découper sur un mur nu qui tranche avec les faisceaux de colonnes qui montent du sol à la voûte, un réseau de fines colonnes verticales et de bandeaux horizontaux le recouvre maintenant pour mieux l'intégrer au réseau général des colonnes de la nef.

L'exemple que nous allons analyser est celui du croisillon nord de l'abbatiale de Saint-Denis, remanié entre 1231 et 1241 en même temps que le choeur de l'église.
À l'occasion de l'analyse de l'évolution des fenêtres, nous avons déjà vu ce croisillon, réalisé précisément à l'époque d'émergence du style rayonnant.
Parmi les autres claires-voies de même disposition, on peut citer le choeur de la cathédrale de Cologne en Allemagne (construit à partir de 1248), ou encore le choeur de la cathédrale d'Amiens en France (1258 / 1269).
 
 
Pour charger l'image de l'exemple analysé :   le croisillon nord de l'église abbatiale de SAINT-DENIS (France) - 1231 à 1241  (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)

Source de l'image utilisée :
"le gothique rayonnant" dans la collection "Architecture Mondiale" chez TASCHEN
 
 
 


Le  1er paradoxe : intérieur / extérieur

Grâce à l'agrandissement de son volume par rapport à celui de l'ancien triforium, la claire-voie prend une ampleur suffisante pour participer au volume interne de la nef et n'est plus seulement une zone d'ombre derrière des arcades. Cet effet est renforcé par la présence des vitraux qui font suite aux vitraux de la grande verrière au-dessus, de telle sorte que l'on ressent bien que la claire-voie est à l'intérieur de la paroi externe du volume de l'église.
Mais ce volume est en retrait, et ses vitraux sont en retrait de ceux des grandes fenêtres, de telle sorte que l'on peut négliger sa présence et ressentir que la paroi externe de la nef ne suit pas le décalage des vitraux et laisse à son dehors le volume de la claire-voie.
Selon la perception que l'on a de la position de la paroi externe, la claire-voie est donc considérée à l'intérieur ou à l'extérieur du volume de la nef.
Il s'agit d'une expression analytique.
 

 
expression analytique du paradoxe intérieur / extérieur :
la position en retrait de la claire-voie nous permet de la ressentir soit comme un volume intérieur à celui de la nef, soit comme un volume extérieur autonome
 

La présence de vitraux en paroi extérieure de la claire-voie implique un effet plus subtil encore :
 - elle en fait un lieu en relation directe avec l'extérieur de l'église, puisqu'il baigne dans la lumière du soleil et change d'apparence au moindre nuage qui passe ;
 - pourtant, par contraste avec l'immensité de la nef, cette paroi lumineuse n'empêche pas la claire-voie d'être ressentie comme un lieu confiné, un lieu qui exprime la notion d'intimité close, par sa proportion et par la proximité des parois qui l'entourent.
En résumé, la claire-voie est un lieu privilégié de l'ambiguïté : dedans / en rapport avec le dehors, espace refermé en interne / espace lié à l'externe, elle est donc un lieu privilégié du paradoxe intérieur / extérieur.
L'ambiguïté de cet effet, implique qu'il corresponde ici à l'expression synthétique de ce paradoxe.
 

 
expression synthétique du paradoxe intérieur / extérieur :
la claire-voie est un lieu refermé sur son intimité intérieure, et simultanément en relation privilégiée directe avec l'extérieur, grâce à la présence de vitraux que traverse la lumière du soleil
 
 


Le 2ème paradoxe :  un / multiple

À l'intérieur de la nef unique, on trouve donc comme de petites nefs en miniature, des parties de la nef qui sont semblables à son tout.
Il s'agit d'un effet synthétique, qui permet de retrouver l'unité de l'ensemble dans les morceaux qui le divisent.
 

 
expression synthétique du paradoxe un / multiple :
les claire-voies sont des parties de la nef qui sont semblables au tout qui les contient. Les multiples parties sont donc équivalentes à l'unité qui les contient
 

L'ensemble de la claire-voie forme une galerie unique continue que l'on voit filer derrière les faisceaux de piliers.
Mais ces faisceaux de piliers, précisément, la découpe en tronçons multiples.
Il s'agit d'une expression analytique, et si l'on considère individuellement chacun de ces tronçons, on retrouve à plus petite échelle cette même expression : chaque travée est faite de quatre ogives, et les colonnes de ces ogives divisent la claire-voie sans nuire à l'unité du volume que l'on devine derrière elles.
 

 
deux expressions analytique du paradoxe un / multiple :
croquis de gauche : l'unique galerie continue de la claire-voie est divisée par les faisceaux de piliers qui passent au devant
croquis de droite : chaque unité de travée de la claire-voie se divise elle-même en quatre ogives
 
 
 


Le 3ème paradoxe : regroupement réussi / raté

La nef regroupe l'ensemble de son volume de façon unitaire à l'intérieur de la paroi qui monte jusqu'aux grandes fenêtres. La claire-voie échappe à ce volume, elle refuse que son volume soit amalgamé au volume principal de la nef, qui échoue donc à regrouper tout le volume de l'église.
C'est une expression synthétique.
 

 
expression synthétique du paradoxe regroupement réussi / raté :
la nef regroupe l'ensemble du volume, mais la claire-voie échappe à l'amalgame, et reste un volume séparé
 

Par différence avec les triforiums du gothique classique dont les ogives trouent un mur massif nu, ici un réseau de nervures et bandeaux recouvre la surface du mur pour regrouper dans le même type de texture l'ensemble de la surface murale de la nef.
Mais les arcs des ogives se démarquent de ce réseau orthogonal, réseau qui ne parvient donc pas à regrouper tous les tracés en relief de la paroi.
C'est une expression analytique.
 

 
expression analytique du paradoxe regroupement réussi / raté :
le réseau orthogonal des nervures et des bandeaux regroupe l'ensemble de la surface murale dans la même texture (croquis de gauche),
mais les arcs des ogives se démarquent de ce réseau orthogonal
 
 


Le 4ème paradoxe : fait / défait

Comme dans les grandes verrières des fenêtres hautes, la partie haute des baies de la claire-voie articule un contraste de formes en arcade bien différenciées les unes des autres et bien hiérarchisées, alors que la partie basse défait cette organisation pour ne proposer qu'une morne uniformité de colonnes de tailles semblables et dont le profil reste le même sur toute la hauteur de la colonne.
C'est une expression analytique.
 

 
expression analytique du paradoxe fait / défait :
les ogives et trilobes du haut de la claire-voie articulent des contrastes de formes différenciées et hiérarchisées en tailles,
les colonnes défont cette complexité pour ne proposer que la morne uniformité de verticales à l'épaisseur régulière et au trajet régulier
 

En sens inverse, on peut lire la trame des colonnes verticales et des moulures horizontales comme une trame "bien faite", parce que facilement visualisable en tant que thème continu unifiant la surface, tandis que par comparaison les arceaux des ogives proposent des courbes de toutes tailles et qui partent dans tous les sens. Ces arcs provoquent un effet de perturbation visuelle qui contrarie la lecture purement orthogonale des autres reliefs, ils défont par leur désordre cette lecture qui se voulait simple et limpide.
 

 
expression synthétique du paradoxe fait / défait :
la claire lecture de la trame orthogonale est défaite par la perturbation des ogives et des trilobes aux formes comparativement confuses et peu nettes
 
 

 

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