accueil
Sommaire Art
tableau historique
 
tableau des 16 paradoxes
avant :  
généralités sur le gothique au 14ème siècle
suite :  
une verrière à Amiens

 bouquet de roses gothiques
 
 
 
 
 
 
Il n'est pas indispensable de passer par cette page pour la compréhension de l'architecture gothique du 14ème siècle, et vous pouvez aller directement à l'analyse de la fenêtre d'Amiens du 14ème siècle, à la cathédrale d'Exeter, ou à la cathédrale de Strasbourg
 
 
Par contre, si vous souhaitez creuser la notion d'évolution de la complexité, la compréhension de cette page me semble essentielle et permet de prendre un peu de recul par rapport à "ce qui se passe au 14ème siècle". Des vues des roses analysées sont intégrées au texte, pour en facilier l'examen en cas d'impression papier.  

Ce texte ayant un caractère clef, afin de faciliter la consultation d'autres textes sans le quitter, la plupart des textes cités s'ouvrent en principe dans une même seconde fenêtre, et les images dans une même troisième fenêtre. 
Si vous souhaitez le quitter pour aborder une autre période médiévale, utilisez le tableau qui regroupe l'ensemble des analyses sur l'évolution parallèle de l'architecture et de la musique pendant cette période.

 
 
 
Pour charger ou recharger à tout moment les images des 5 roses [dans une autre fenêtre] :

     rose du début du 13ème siècle à LAON
     rose du milieu du 13ème siècle à Notre-Dame de PARIS
     rose de la seconde moitié du 14ème siècle à AMIENS
     rose de la seconde moitié du 15ème siècle à la SAINTE-CHAPELLE de PARIS
     rose du 16ème siècle à AMIENS
 
 
 
Ce site cherche à montrer comment les oeuvres d'art reflètent  les progrès de la complexité progressive de la société humaine.
Pour l'analyse de l'évolution de cette complexité, il se trouve que le passage du gothique rayonnant de la fin du 13ème siècle au gothique du siècle suivant est spécialement révélateur, car il se situe exactement au basculement entre deux de ses grands cycles, celui de l'organisation et celui du noeud [accès dans une autre fenêtre au texte qui présente ces notions - il est conseillé de consulter ou de revoir ce texte pour comprendre le sens donné ici à la notion d'organisation et à la notion d'organisation nouée].

Autant la rose rayonnante de Notre-Dame de PARIS [revoir son analyse,  ou  revoir seulement sa reproduction dans une autre fenêtre] peut être considérée comme l'emblème du stade final du cycle de l'organisation de la complexité, autant la verrière d'AMIENS du 14ème siècle qui sera analysée dans le prochain texte, est elle emblématique de l'émergence du cycle du noeud qui lui succède.
C'est ce qu'on va s'efforcer de montrer maintenant, faisant en outre quelques digressions avant et après ces deux étapes clefs, pour mieux en saisir la portée.
 

 
 
 

Complexité de la figure formée par
la rose en style rayonnant de Notre-Dame de PARIS
 
 
 
Rappel de la complexité atteinte juste avant la période du gothique rayonnant :
 
En introduction à l'analyse de la rose de Laon, on avait fait un point rapide sur l'évolution de la complexité de la société, entre l'époque de la Grèce classique et l'époque du gothique classique. On renvoie à ce texte pour le détail [4ème paragraphe à partir du début de la présentation], on reprend seulement ici sa conclusion :

- le Parthénon classe ses "colonnes / organisations locales" simultanément de deux façons : selon leur position dans la largeur, et selon leur position dans la longueur du bâtiment. En clair, chaque colonne se distingue des autres colonnes semblables selon qu'elle est côté fronton ou côté latéral, et selon sa position proche ou éloignée de nous sur l'un ou sur l'autre de ces deux classements.

- la rose de Laon classe ses "arcs / organisations locales" de façon plus complexe, puisqu'elle les classe simultanément de "deux fois deux façons" :
     - 1er double classement simultané : il y les arcs qui sont près du centre et ceux qui sont en périphérie, et ceux près du centre sont aussi beaucoup plus refermés sur eux mêmes que ceux de la périphérie ;
     - 2ème double classement simultané, et simultané au 1er double classement : il y a les petits arcs (ceux qui, dans le premier double classement, sont au centre et très refermés sur eux mêmes) et il y a les grands arcs (ceux qui sont en périphérie et très ouverts), et les petits arcs ont aussi leur courbure tournée vers la périphérie, tandis que les grands arcs sont tournés en sens inverse.
 
 
On rappelle [revoir l'explication dans une autre fenêtre] qu'un double classement simultané correspond à une organisation, ce qui implique donc que dans la Grèce classique les organisations locales sont engagées à grande échelle dans une organisation d'ensemble, tandis que le gothique classique montre deux organisations globales simultanées des organisations locales.
 
 
 
 
L'étape supplémentaire qui correspond au gothique rayonnant :
 
Dans un sens, la figure formée par la rose de Notre-Dame de Paris n'est pas plus complexe que celle proposée par la rose de Laon : il s'agit toujours d'un double/double classement simultané.
Ce qui fait ici fonction d'organisation locale s'organisant avec d'autres organisations locales similaires, cette fois c'est la forme d'une ogive. La base et le sommet d'une ogive se différencient en effet simultanément de deux manières : la base est par définition en bas de la forme (ici clairement tournée vers le centre de la Rose), et la tête contient un trilobe dont ne dispose pas le pied. Tournée vers le centre / tournée vers la périphérie, et sans trilobe / avec trilobe, ces deux caractères différencient donc systématiquement et de façon simultanée les trois parties de chaque ogive : sa base, sa tête, et son milieu qui se différencie des extrémités du fait qu'il ne possède aucun de ces caractères.
Si l'on analyse la façon dont se différencient l'une de l'autre ces organisations locales qui ont toutes la même forme d'ogive, voici ce que l'on observe :
     - 1er double classement simultané : il y les ogives qui sont en couronne près du centre et celles qui sont en couronne à la périphérie de la rosace, et celles près du centre sont aussi celles qui sont accolées régulièrement "une par une" alors que celles de la périphérie sont agglomérées par trois ;
     - 2ème double classement simultané, et simultané au 1er double classement : il y a les petites ogives (celles qui, dans le premier double classement, sont au centre et accolées une par une) et il y a les grandes (celles qui sont en périphérie et qui se groupent par trois grâce à l'absorption par chacune des grandes de deux ogives plus petites), et les petites du centre sont trapues et possèdent en tête un trilobe très ouvert, tandis que les grandes sont de proportion plus élancée et possèdent en tête un trilobe complètement refermé en fleur à trois pétales.
 
 
On en est donc toujours au double/double classement simultané (donc à la double organisation d'ensemble simultanée), mais la complexité a cependant fait un pas de plus entre Laon et Paris, en ce sens que toutes les ogives de Paris sont orientées de la même façon à partir du point central de la rosace, tandis qu'à Laon la moitié des arcs se groupaient autour du centre alors que l'autre moitié lui tournaient le dos et semblaient fuir les premiers, seulement retenus par les colonnes rayonnantes qui amarrent les fuyards à l'anneau des arcs centraux.
Cette différence entre les deux rosaces, c'est très précisément ce qu'on appelle "le nouage" de l'organisation, et la figure de la rosace de Paris est très explicite à cet égard : toutes les ogives sont ficelées en bouquet au rond central, et ce ficelage forme un noeud unique qui sert de référence commune, non ambiguë et inamovible, pour repérer et percevoir la totalité des ogives.
Très naturellement donc (du moins dans le cadre de la théorie que l'on propose pour expliquer l'évolution de l'art), à l'étape de la double organisation d'ensemble et simultanée des organisations locales, succède l'étape ultime du nouage à partir d'un même point de cette double organisation, nouage destiné à supprimer toute alternative possible dans les classements qui produisent ces organisations, et à leur permettre ainsi de ne pas se défaire lorsqu'elles vont s'engager dans un nouveau cycle de complexité.
Après ce nouage, la complexité atteinte sera devenue irréversible.
 
 
 
 
Retour sur l'étape d'avant le gothique classique :

Puisqu'on en est à faire le point sur l'évolution de la complexité, il peut être intéressant de remonter d'un cran avant l'étape du gothique classique, pour voir comment s'était préparée cette seconde double organisation qui a complété la première qui était déjà acquise à l'époque de la Grèce classique.
L'étape d'avant le gothique classique, c'est l'époque romane.
Je n'ai pas connaissance de "rose romane" qui pourrait servir de comparaison avec les roses gothiques, mais le chevet de Notre-Dame du Port de Clermont-Ferrant [voir l'image dans une autre fenêtre] que nous avons analysé peut nous être utile ici [voir l'analyse dans une autre fenêtre]. Il se présente en effet avec une forme d'ensemble qui déploie radialement ses pétales, comme se déploient radialement les pétales des roses gothiques.
Les corps de bâtiment ronds, sont ici les organisations locales qui s'organisent sur l'ensemble du chevet, chacun ayant un "côté toit" qui se différencie clairement de son "côté base".
Analysons donc les classements simultanés que forment entre eux ces corps de bâtiment ronds :

     - 1er double classement simultané : il y a le massif arrondi du choeur en position centrale et il y a les chapelles arrondies en position périphérique, et en plus d'être au centre le massif du coeur possède une taille nettement supérieure à celle des petites chapelles, ce qui le distingue d'elles d'une seconde manière [croquis ci-dessous, à gauche] ;
 

 
     - 2ème double classement simultané mais non simultané au 1er double classement : parmi les petites chapelles il y a celles qui sont de hauteur "moyenne" et celles qui sont de hauteur encore plus petite, et ces dernières sont aussi celles qui s'appuient contre le transept tandis que celles de hauteur moyenne s'appuient contre le massif du choeur et rayonnent autour de lui.
Cette différenciation entre elles des chapelles périphériques (celles en position rayonnante et les deux autres) forme bien une organisation, puisqu'elles se différencient deux fois les unes des autres, mais ce qui empêche d'en être au même stade de complexité que dans le gothique classique, c'est que ce double classement n'est pas simultané avec le premier puisqu'il ne concerne pas le massif du choeur. D'ailleurs, si l'on prête attention au massif du choeur, il ne fait que brouiller ce double classement des chapelles, puisque comme les deux toutes petites chapelles il est accolé au transept, mais à l'inverse d'elles il est plus haut que les chapelles rayonnantes [croquis ci-dessus, à droite].
 
 
 

Les noeuds vont suivre le même chemin que les organisations :
 
Revenons au gothique rayonnant de la rose de Notre-Dame de PARIS, pour maintenant jeter un coup d'oeil d'ensemble sur l'évolution qui va venir après elle.
Comme on l'a donc vu, elle réalise clairement le nouage autour d'un centre unique de la double organisation simultanée des ogives.
À plusieurs reprises on a dit que chaque niveau de complexité commence à se construire en prenant comme point de départ les organisations qui se sont nouées à la fin du niveau de complexité précédent. Cette double organisation, maintenant qu'elle est donc nouée, va par conséquent être au point de départ d'un nouveau cycle.
Cela va cependant mûrir très différemment selon les échelles. La double organisation était jusqu'à présent à la fois dans "le tout" de la société et dans chacune de ses parties, grâce à la propriété d'auto-similarité d'échelle qu'elle avait acquise au cours de son évolution. À grande échelle, rien ne sera bousculé pour le moment, mais à petite échelle, les noeuds locaux vont suivre le même chemin que celui précédemment suivi par les organisations locales :
    - ils vont d'abord "se déficeler les uns des autres" pour acquérir progressivement les propriétés qu'il faut pour vivre de façon autonomes les uns à côté des autres ;
    - puis cette autonomie acquise, ils vont progressivement se classer et s'organiser avec d'autres noeuds locaux similaires ;
    - ensuite ils vont progressivement se classer et s'organiser simultanément d'une seconde façon ;
    - et enfin cette double organisation simultanée de noeuds n'aura plus qu'à passer à son tour par une phase de nouage qui la rendra irréversible.
Ce "grand noeud de noeuds" se substituera cette fois sur toutes les échelles à la double organisation issue du cycle précédent, et il régulera désormais le fonctionnement aussi bien "du tout" que de chacune des parties de la société. Bien entendu, il sera à son tour le point de départ d'un nouveau grand cycle de complexité pour la société humaine.

Après le gothique rayonnant, il faudra encore 16 étapes (= 4 x 4) et quelques étapes supplémentaires d'intercycle et d'interphase, pour que l'architecture montre ce bouclage "final". Cela nous mènera du 14ème siècle à la période contemporaine, qui est celle qui voit l'étape ultime du cycle du noeud et qui voit également les premières étapes du grand cycle qui lui succède.
Parmi les exemples d'architecture analysés dans le site, sur le chemin qui mène au nouage du grand noeud on peut spécialement citer la cathédrale de BRASILIA conçue par Niemeyer [revoir son analyse,  ou  revoir seulement sa reproduction dans une autre fenêtre]. Elle est en effet pour le cycle du noeud, l'équivalent de ce qu'était la rose de LAON pour le cycle de l'organisation : le grand noeud en arches de béton se fait devant nous, mais après s'être rassemblé il continue à se défaire en se dispersant par le haut. Comme les arcs périphériques de la rose de LAON qui lui tournaient le dos et cherchaient à s'enfuir, les arches de la cathédrale se dispersent après s'être bloquées ensembles : à ce stade, il reste encore à atteindre l'étape du "bouclage du bouclage", nécessaire pour rendre le bouclage indéfaisable.
 

 
 
 
 
 
Complexité de la figure formée par
la rose d'AMIENS du 14ème siècle
 

Pour le moment on n'en est pas à analyser la fin et la suite du cycle du noeud, on en est encore à l'autre bout, c'est-à-dire à l'analyse de son émergence, à celle de sa première manifestation.
Cette confuse émergence des noeuds, côte à côte et sans aucune organisation encore entre eux, c'est très exactement ce que nous montre la verrière d'AMIENS du 14ème siècle [Source de l'image :  François Cali - l'Ordre Flamboyant - Arthaud].
 

 
Les unités de base de cette fenêtre, ce sont les figures de trèfle à quatre feuilles qui se buttent par leurs pointes les unes contre les autres.
Ces figures élémentaires de trèfle, elles ne possèdent plus la complexité interne que présentaient les ogives gothiques ou les colonnes grecques : elles n'ont pas deux extrémités clairement et doublement différenciées (un pied et une tête, et simultanément un pied sans chapiteau et une tête à chapiteau, ou un pied sans ogive et une tête en ogive). Les trèfles ne proposent que des pincements, qui amorcent sans les refermer quatre alvéoles équivalentes et non différenciées entre elles.
À grande échelle la même chose s'observe : tous ces pincements qui émergent groupés par quatre, ces noeuds qui s'esquissent mais qui n'osent pas encore se resserrer trop fort pour se diviser en alvéoles distinctes, se répartissent sans aucune hiérarchie entre eux sur la surface de la verrière. Ils sont seulement côte à côte les uns des autres, un peu zigzagant en orientation les uns par rapport aux autres, et tous absolument équivalents entre eux.
C'est qu'ils en sont très précisément au stade des noeuds qui émergent comme autant de points équivalents, les uns à côté des autres, et sans aucune différenciation ou classement les uns par rapport aux autres. Et c'est bien à cela que l'on devait s'attendre, puisqu'ils sont aux prémisses du cycle du noeud, au moment où les noeuds émergent de la façon la plus ponctuelle possible, la moins organisées possible, c'est-à-dire en se distinguant le moins possible les uns des autres.

Avant d'analyser les effets plastiques paradoxaux de cette figure, ce qui sera fait dans le texte suivant, il est intéressant de jeter un rapide coup d'oeil sur l'évolution de la complexité dans les étapes ultérieures, ce que nous allons faire en utilisant deux nouvelles roses gothiques. Elles seront analysées en détail à l'occasion de l'évolution du gothique au 15ème puis au 16ème siècle, mais pour le moment on n'analyse que ce qu'elles révèlent sur l'évolution de la complexité.
 
 
 
 

Complexité de la figure formée par 
la rosace de la Sainte-Chapelle de PARIS du 15ème siècle
 

Cette rose est sur la façade Ouest de la Sainte-Chapelle. Elle date de 1485 [Source de l'image :  François Cali - l'Ordre Flamboyant - Arthaud].
L'unité de base n'est plus un trèfle à quatre feuilles, c'est une espèce de cosse, formée d'un ovale qui se termine en pointe à ses deux bouts. Comme les trèfles d'Amiens, ces cosses n'ont pas d'organisation interne, puisque leurs deux extrémités en pointe sont interchangeables. On peut également envisager que les unités de base ne soient pas les creux que nous avons appelés "cosses", mais les points de contact entre deux cosses voisines à l'endroit de leur ventre : les deux traits se rejoignent un moment, puis ils s'écartent, esquissant une attache entre eux, esquissant une amorce de noeud.
Contrairement à la rose d'Amiens du 14ème siècle, se lit ici à grande échelle une structure nettement orientée à partir du centre : six grands pétales s'écartent du rond central, et dans l'autre sens de grandes cosses à une seule pointe dirigée vers le centre de la rose, se déforment pour s'intercaler entre ces pétales. Ces formes de grande échelle disposent bien d'une organisation, puisqu'elles ont un départ et une fin, et que par ailleurs le départ et la fin sont d'aspect clairement distinct : la base est enflée, la fin est en pointe.
 

 
On peut dire que cette rose aurait pu être la suite "logique" de la rose de Notre-Dame de PARIS, puisque :
     - elle en a l'organisation centralisée : c'est la reprise de l'acquis de grande échelle ;
     - autour de ce centre ce ne sont plus des doubles organisations qui sont nouées ensemble, mais les noeuds ponctuels et interchangeables que sont les points de contact des "ventres" des cosses de petite échelle : c'est l'amorce du nouveau cycle du noeud, qui se manifeste par l'émergence à petite échelle de noeuds indifférenciés répandus sur toute la surface et sans aucune organisation entre eux, et cela à l'intérieur de la structure organisée à grande échelle héritée du cycle précédent.
Effectivement, c'est au 15ème siècle que démarre vraiment le cycle du noeud, et c'est d'ailleurs en tant que 1ère étape de ce cycle que la Renaissance italienne du 15ème siècle a été analysée dans une autre partie de ce site.
De fait, le 14ème siècle correspond à une étape spéciale, une étape qui s'intercale entre le cycle de l'organisation qui se termine avec le 13ème siècle et le cycle du noeud qui démarre au 15ème. C'est une étape que, dans notre tableau général de l'évolution, pour cette raison nous avons qualifiée "d'intercycle".
Une étape d'intercycle n'est pas vraiment intercalée entre deux cycles, c'est plutôt une étape dont on peut dire qu'elle a un pied dans chacun : du cycle nouveau elle a déjà en effet le niveau de complexité interne, mais elle n'en a pas encore acquis le type de fonctionnement qui reste pour une dernière étape celui de l'ancien cycle.
Ainsi, comme nous le montre la fenêtre d'AMIENS du 14ème siècle, les noeuds individuels ont déjà émergés et ils se sont déjà répandus sur toute la surface, mais la double organisation d'ensemble est comme débordée par ce qui se passe à l'échelle locale et elle n'est plus capable de montrer en même temps l'acquis de la double organisation qui s'était nouée à grande échelle : c'est que cette double organisation fonctionne encore comme au cycle précédent, c'est-à-dire "en classement", et ce n'est qu'à l'issue de cette étape d'intercycle qu'elle aura acquis la maîtrise du fonctionnement "en organisation", et qu'elle pourra alors montrer, comme à la rose de la Sainte-Chapelle, qu'elle reste présente à grande échelle malgré l'émergence de noeuds inorganisés qui envahit toute sa surface.

Lorsque l'on analysera en détail les effets plastiques de cette rose de la Sainte-Chapelle, on verra comment ce changement de fonctionnement se manifeste : on verra que les effets paradoxaux en jeux sont les mêmes que ceux de la verrière d'AMIENS du 14ème siècle, mais tandis qu'à AMIENS les quatre effets paradoxaux sont à égalités (ce qui est un aspect du fonctionnement "en classement"), à la Sainte-Chapelle l'effet "relié / détaché" sera devenu un effet dominant qui enrôle les trois autres à son service (ce qui cette fois est un aspect du fonctionnement "en organisation").
Simultanément à l'évolution gothique, la même évolution se manifeste aussi dans la Renaissance italienne du 15ème siècle, ainsi que cela est analysé dans une autre partie du site.
 
 
 
 

Complexité de la figure formée par 
la rose Sud d'AMIENS, du 16ème siècle
 
 
 
 
L'évolution entre cette rose du 16ème et celle du 15ème de la Sainte-Chapelle est remarquable [Source de l'image :  François Cali - l'Ordre Flamboyant - Arthaud] :
    - à grande échelle elle manifeste toujours l'existence d'un noeud central qui ficelle toute la figure, puisque toutes les nervures du réseau y passent ou y repassent. Mais contrairement à la Sainte-Chapelle ce centre n'est plus hégémonique, et le cercle périphérique de la rose attire tout autant notre attention. La perception du centre est d'ailleurs instable, et il est très difficile d'y maintenir le regard qui ne demande qu'à fuir aussitôt qu'on l'y porte, suivant l'une des nervures radiales qui précisément entraîne notre regard vers la périphérie. Cette organisation à grande échelle, dont l'effet d'ensemble est précisément celui "du centre à la périphérie", c'est-à-dire du centre qui est au centre mais simultanément réparti sur toute la périphérie, est l'équivalent très évident "en style gothique" de l'organisation "en style maniériste" que Michel Ange a donnée au pavage du Capitole de ROME [revoir son analyse,  ou  revoir seulement sa reproduction dans une autre fenêtre].
    - à petite échelle, les "cosses" que l'on retrouve comme à la Sainte-Chapelle, ont maintenant leurs deux extrémités doublement différenciées : il y a l'extrémité tournée vers le centre et celle tournée vers la périphérie, et celle tournée vers le centre est une simple pointe vide tandis que l'autre est encombrée d'une forme trilobée (ou d'une nervure qui se tortille si l'on considère les cosses de plus grande échelle).
[renvoi au texte qui analyse cette rose en détail]
 
Par rapport à la Sainte-Chapelle, on voit donc que les noeuds qui émergent ont commencé à grande échelle à montrer un premier classement d'ensemble "centre / périphérie", et on voit que cela les amène à simultanément exhiber leur organisation interne.
 
 
 
 
 
À grand pas après le 16ème siècle
 
 
 
Si l'on veut poursuivre l'aventure du nouage après le 16ème siècle, on ne peut plus utiliser de roses gothiques puisque ce style s'éteint, mais si l'on veut utiliser des exemples analysés par ailleurs dans le site, on peut par exemple évoquer au 17ème siècle l'un des projets du Bernin pour le Louvre [revoir sa reproduction dans une autre fenêtre, ou l'analyse générale sur Le Bernin]. Comme bien des architectures baroques il enfiche l'un sur l'autre un "noeud creux" et un "noeud plein", ce qui représente l'étape suivant celle de la rose Sud d'AMIENS, puisque les noeuds qui émergent sont ici classés deux fois simultanément :
    - il y a le noeud étroit qui s'enroule près de nous, et il y a le noeud large qui s'enroule derrière le premier, en partie caché par lui ;
    - et simultanément ces deux noeuds se différencient entre eux d'une seconde manière, puisque le proche est un noeud convexe tandis que celui du second plan est un noeud concave.
L'alternance qui nous fait toujours hésiter entre la lecture concave et la lecture convexe de cette architecture, est précisément ce qui lui donne son effet dominant "entraîné / retenu" :
     - on est entraîné à lire concave à cause du grand creux qui se présente, et notre perception se prépare en conséquence à ressentir un effet d'enveloppement de notre corps par ce grand creux ;
     - mais on est retenu d'aller jusqu'au bout de cette impression, car ce creux nous apparaît déjà encombré par un bâtiment convexe. L'attente de l'impression que notre perception avait préparée est brutalement déçue, et au lieu de nous sentir au plus profond du creux du bâtiment comme on s'y attendait, nous devons réorganiser complètement notre perception pour être maintenant radicalement face à face à un corps de bâtiment fermé auquel nous sommes tout à fait extérieurs.
 
 
 
Si l'on veut faire encore un pas dans l'évolution de la complexité de la société, on se retrouve au début du 18ème siècle avec le style dit Rococo.
On peut revenir par exemple sur l'extérieur de l'église bénédictine de Zwiefalten que l'on doit à l'architecte Fischer [revoir son analyse,  ou  revoir seulement sa reproduction dans une autre fenêtre].
Comme dans le projet du Bernin pour le Louvre, le bâtiment est fait d'un grand creux, du moins dans sa partie basse, encombré d'une bosse centrale. Mais ici le creux n'est pas seulement présent par des concavités latérales : il réussit à ressurgir au centre, séparant en deux la bosse convexe à colonnes et fronton, et il réussit ainsi à nouer "par un creux" l'ensemble de la figure. Le creux est devenu capable de traverser le plein sans se défaire, et de façon très expressive à tenir écartées les deux moitiés du plein, l'empêchant de se refermer en une unique bosse centrale.
Le creux est désormais au centre et à la périphérie, et avec cette étape, l'émergence du noeud (ici du noeud creux) manifeste qu'elle est nouée à partir d'un noeud (creux) central.
 
 
 
Avec ces quatre étapes, depuis la rose de la Sainte-Chapelle jusqu'à l'église de Zwiefalten, on a donc vu "l'émergence des noeuds" d'abord apparaître (Sainte-Chapelle), puis se différencier d'une première façon (centre / périphérie à AMIENS), puis se différencier simultanément d'une seconde façon (avant plan étroit / arrière plan large, et convexe / concave avec Le Bernin), puis enfin cette double différenciation simultanée se nouer (le creux noué étant capable, à Zwiefalten, de franchir le plein sans se défaire).
Il faut attirer l'attention sur le fait que ce qui est alors noué, ce ne sont pas encore des organisations de noeuds, mais seulement "l'émergence des noeuds", ce qui veut dire que ces noeuds locaux se sont libérés du grand noeud général qui s'était formé à l'issue du cycle précédent, et qu'ils ont acquis suffisamment d'autonomie pour maintenant s'engager individuellement dans divers classements et organisations sans risquer de se faire reprendre par ce grand noeud.
Il faudra encore quatre étapes pour que ces noeuds qui forment maintenant des organisations locales irréversibles, se classent de deux façons simultanées pour former une première organisation d'ensemble.
Pour l'histoire de l'architecture, cela représente l'évolution qui va depuis le style de l'époque révolutionnaire de la fin du 18ème siècle, jusqu'au style d'un Frank Lloyd Wright. Dans la Darwin D. Martin House que l'on a analysée [revoir son analyse,  ou  revoir seulement sa reproduction dans une autre fenêtre], la décomposition en horizontales et en verticales qui s'encastrent les unes dans les autres, correspond à ce nouage doté d'un premier double classement d'ensemble.
 
 
 
Il faudra encore quatre étapes pour que ces noeuds s'organisent simultanément d'une seconde façon, ce qui mènera jusqu'au style que l'on a qualifié de "même / différent", avant d'atteindre aussitôt après une interphase correspondant au style "intérieur / extérieur".
Le Reichstag Empaqueté par Christo & Jeanne-Claude [revoir son analyse,  ou  revoir seulement sa reproduction dans une autre fenêtre] illustre cette étape où l'ensemble de l'organisation extérieure du bâtiment noué de tissus et de cordages, réussit à ressortir et à se faire voir à l'extérieur malgré son enfermement complet à l'intérieur du gigantesque noeud qui l'empaquette complètement.
À la fin des quatre étapes d'émergence de ce cycle du noeud, on avait vu à Zwiefalten le creux réussir à traverser le plein sans se défaire. À l'issue des quatre étapes suivantes on avait vu avec Wright les horizontales réussir à rester croisées avec les verticales malgré les vides continus qui s'engouffrent entre elles et déchiquettent le volume. À l'issue des quatre étapes suivantes puis d'une cinquième servant d'interphase, on voit donc avec Christo la double organisation du nouage capable de ne pas se défaire même quand on la retourne comme un gant.
 
 
 
Pour atteindre le stade où la double organisation ne peut vraiment plus se défaire dans aucune situation, et quelle que soit la déformation qu'on lui impose, il reste encore quatre étapes après celle de l'interphase intérieur / extérieur, qui verront pour finir les organisations de noeuds se nouer dans un grand noeud final.
Il n'a pas été donné d'exemple de cette étape finale du cycle du noeud, mais l'étape précédente à été examinée, celle où ce grand noeud en est à la phase de pulsation qui le fait / défait sans arrêt [revoir cette analyse].
 

 

 accueil 

 
 
Art
 

 haut 

suite :    une verrière de 1373 à Amiens
 
auteur