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Mouvement brownien dans un liquide
Société à l'époque Révolutionnaire
 
 
 
         Un être humain n'est pas un atome, et une société humaine ne peut être identifiée à un groupe d'atomes.
         Nous avons utilisé l'image du réseau d'atomes que l'on chauffe, mais il ne s'agissait que de montrer comment certains états de la société humaine possèdent une dynamique que l'on peut faire correspondre à la dynamique de certains états de la matière. Pourtant, même dans cet aspect limité la comparaison n'est pas exacte.
         Nous avons considéré en effet que les quatre états successifs de la société humaine sont aussi stables les uns que les autres, or les états correspondant de la matière ne possèdent pas cette propriété. Le premier état envisagé, celui du réseau cristallin dont tous les atomes sont absolument fixes, n'est qu'un modèle théorique è [rappel dans une autre fenêtre]. Pour que les atomes soient dans cet état de fixité complète, il faudrait qu'ils soient à la température du zéro absolu, température que nous ne savons pas atteindre. L'état suivant, celui où tous les atomes s'agitent autour de leur position moyenne, est le seul véritable état de stabilité d'un réseau cristallin è [rappel dans une autre fenêtre]. L'état encore suivant, celui où des lacunes se forment juste avant la fusion du matériau, n'est pour la matière qu'un fugitif état transitoire è [rappel dans une autre fenêtre]. Le dernier état, celui de fluide, à nouveau constitue un état stable è [rappel dans une autre fenêtre].
 
         Certains états de la matière sont donc instables et fugitifs, à la différence des états de la société humaine qui tous semblent capables d'une même stabilité.
         Cette stabilité uniforme peut s'expliquer par l'inertie que provoque le mélange des générations. Les adultes qui sont en état de faire les lois, de les modifier, ou d'influencer efficacement sur la morale commune, ont leur personnalité mature qui s'est formée dans un certain état de la société. Ils ont normalement tendance à faire perdurer cet état qui les a moulés, cherchant à l'adapter toujours plus finement aux rapports sociaux qui leur conviennent le mieux. Dans la matière, les atomes sont sans âge. Ils sont tous matures de même façon et peuvent ainsi s'adapter de façon identique et immédiate au changement d'état imposé par le changement de température.
 
         Il existe une autre différence entre une collectivité d'atomes et une collectivité humaine : le comportement d'un atome ne peut valablement illustrer le comportement d'une personnalité que dans un nombre limité de sociétés. Dans tous les nouveaux cas que nous allons aborder en nous rapprochant progressivement de l'époque contemporaine, la comparaison avec un atome sera sans aucune pertinence.
         Cela ne veut pas dire que les phénomènes qui se passent dans la matière ne seront plus utiles pour illustrer ce qui se passe dans la société lorsque ses rapports sociaux s'accélèrent. Au contraire, jusqu'au bout nous allons utiliser ce type d'illustration, nous servant des images d'un liquide qui s'emporte de plus en plus puis forme des tourbillons de plus en plus impétueux. Mais cela veut dire qu'à partir de maintenant le sort de chaque atome ou de chaque molécule en particulier n'est plus représentatif de ce qui se passe dans le liquide, et dès lors le comportement d'un atome en particulier ne peut plus servir à illustrer ce qui arrive de remarquable à une personnalité humaine quand sa société s'accélère au delà d'un certain seuil.
         Que se passe t'il en effet pour un atome ou pour une molécule lorsque son matériau est chauffé jusqu'à l'état liquide ? On l'a vu, il se déplace librement, et les physiciens appellent ce type de  mouvement totalement aléatoire, un "mouvement brownien", du nom du botaniste anglais Robert Brown qui avait observé en 1827 le mouvement perpétuel irrégulier de grains de pollen en suspension dans un liquide.
 
 
le mouvement brownien d'une particule microscopique en suspension dans l'eau
[d'après un dessin de Jean Perrin - document de la revue Pour la Science]

         Le dessin ci-dessus représente le mouvement d'une particule microscopique en suspension dans l'eau. Il a été dessiné d'après les observations faites en 1912 par le physicien Jean Perrin. À cette époque, l'existence des atomes n'était pas encore établie de façon certaine par les scientifiques, et l'observation et l'étude de ce mouvement brownien ont été décisifs pour prouver la nature atomique de la matière.
         On a tendance aujourd'hui à l'oublier, mais quand Albert Einstein a débuté sa carrière l'existence des atomes était encore en question, et ses premiers travaux ont précisément consisté à conforter la théorie atomique de Jean Perrin en calculant, d'après les particularités du mouvement brownien, la masse des atomes et des molécules, et la valeur du nombre d'Avogado qui est le nombre de molécules contenues dans une unité standard de matière.
         C'est dire combien le mouvement brownien est important en physique.
         Mais voilà, une fois que les atomes d'un liquide se sont mis à errer ainsi au hasard, plus rien d'autre d'intéressant ne leur arrive. Tout ce que l'on peut remarquer, c'est que leur mouvement devient de plus en plus rapide au fur et à mesure que la température augmente. Mais c'est vraiment tout ce que l'on peut en dire, car quelque soit sa vitesse, il garde cette même allure erratique et aléatoire.

         Nous allons donc abandonner les atomes et les molécules qui nous avaient si bien aidé jusqu'ici, et nous allons chercher une autre manière de considérer le liquide dont la température augmente.
         Pour trouver cette nouvelle manière, il suffit en fait de se reculer un peu : au lieu d'avoir le nez collé sur chaque atome, regardons simplement le résultat d'ensemble du mouvement brownien incessant des atomes qui se mélangent.
         Que se passe t'il en effet quand on chauffe le liquide en un endroit, et que chacune des molécules s'agite frénétiquement en tous sens selon son mouvement brownien personnel ? Si on lui laisse suffisamment de temps il advient que la température de l'eau s'égalise dans tout le volume, et si on ne lui laisse pas le temps suffisant, l'eau se range cependant en permanence de telle sorte que l'on trouve toujours une progression régulière de température entre ses endroits les plus chauds et ses endroits les plus froids.
         Les physiciens appellent "diffusion" ce mouvement de mélange automatique et en progression régulière de la température dans un liquide. C'est exactement le même phénomène qui se produit si l'on met un colorant dans de l'eau : le colorant se répand régulièrement et uniformise progressivement la couleur du liquide.
         Dans le dessin reproduit è [autre fenêtre], est montré sur une courbe comment varie régulièrement la concentration des particules d'un colorant qui se répand par diffusion dans un liquide. On peut aussi bien considérer qu'il représente la répartition de la température quand un volume de liquide est chauffé à l'une de ses extrémités. Que l'on considère un colorant ou la température, le mouvement brownien des molécules mélange constamment le liquide, de telle sorte que sa couleur ou sa température varie toujours suivant ce même type de courbe régulière.
 
         Régularité ici, ne veut pas dire que la concentration du colorant ou la température baisse partout à la même vitesse. On voit au contraire que la variation est d'abord rapide, puis qu'elle ralentit de plus en plus lentement au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la source de colorant ou de la source de chaleur.
         Ce qui nous importe ici ce n'est pas l'allure de cette courbe, ou la formule mathématique qui sert à la décrire, mais beaucoup plus simplement le fait qu'il s'agisse d'une courbe régulière, sans à-coups, sans oscillations, sans bifurcations.
         Ce n'est pas l'allure du déplacement brownien de chaque molécule reproduit un peu plus haut. Lui, est complètement irrégulier et plein d'à-coups. Bien évidemment, c'est l'effet de la compensation statistique du mouvement des milliards de molécules du liquide qui produit cette égalisation, ce lissage perpétuel de la différence de température en tous points du liquide.
         Il est banal de constater ce lissage statistique, mais il n'en constitue pas moins un fait nouveau pour le liquide, un fait qui pour nous est remarquable.
         L'augmentation de température du réseau cristallin nous a fait abandonner un état initialement bien ordonné, elle nous a montré une agitation de plus en plus erratique s'en emparer, puis ses atomes finalement se sont dispersés en tous sens dans un mouvement le plus irrégulier et le plus imprévisible qui soit imaginable.
         Or, nous constatons maintenant que ce désordre le plus complet au niveau des atomes débouche, à un autre niveau d'observation, sur une nouvelle forme d'ordre. Il s'agit bien d'un type d'ordre tout différent, puisque ce n'est plus un ordre de position que l'on peut résumer en disant que toutes les positions sont fixes et régulièrement agencées entre elles, mais c'est un ordre qui cette fois concerne le rangement, le classement : il y a une progression régulière de température qui s'établit à tout moment et en tout endroit dans le liquide. Et jamais le liquide ne cesse de se mélanger et de se remélanger dans toutes ses parties pour parfaire cette progression, ou pour la rétablir si elle est dérangée par un phénomène extérieur.
         Ainsi, l'ordre le plus parfait résulte du désordre le plus absolu, et la stabilité du classement des vitesses ou du classement des concentrations dans le liquide est la résultante inévitable de la complète instabilité de position de chacune de ses parties.
         Maintenant que les atomes ne font plus qu'un mouvement aléatoire qui ne peut plus nous servir à décrire ce qui se passe de remarquable, nous tenons donc un nouvel "objet" à observer. Jusqu'ici, nous regardions chaque atome individuellement et nous observions sa position : est-il fixe ou en mouvement, en mouvement contraint ou en mouvement libre ? Maintenant ce ne sont plus des positions (des points) que nous allons observer, mais c'est l'état du rangement du liquide, la façon dont ses différentes parties se classent les unes par rapport aux autres : ce classement est-il continu ou contient-il des coupures brutales ? Est-il toujours graduel ou des zones qui en perturbent la régularité viennent-elles s'interposer ?
         À cette première étape de la phase du classement, on peut cependant faire valoir que le mouvement brownien qui la caractérise était déjà présent à l’étape précédente où les molécules, déjà, se dirigeaient en tous sens, selon qu’elles se faisaient très fugitivement et aléatoirement happer par tel ou tel réseau, puis par un autre. Cependant, nous ne regardions alors que ce qui survenait aux molécules prises individuellement, tandis que, maintenant, nous prenons du champ et nous considérons le divorce qui apparaît dans le fluide entre ce qui se produit à petite échelle (le désordre complet des vitesses) et ce qui se produit à grande échelle (l'uniformité statistique des vitesse).

         Abandonnons un moment notre liquide pour revenir à la société occidentale.
         À partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle, peut-on observer de la même façon un reclassement systématique s'y opérer  ?
         Si l'on considère que ce siècle a été appelé celui des lumières, que son enjeu a été de supprimer les privilèges dus au rang de naissance pour "remettre à plat" toutes les hiérarchies et déclarer que désormais tous les hommes naissent égaux en droit, alors oui, on peut bien dire que c'est un gigantesque reclassement entre tous les humains qui s'est cherché dans toute l'Europe, débouchant en France sur une révolution brutale et en d'autres pays sur des révolutions plus en douceur. Ce mouvement de remise en cause des privilèges de naissance revenait à déclarer que la société ne laissait pas à chacun sa juste place, qu'elle était donc "mal rangée", qu'il fallait donner d'avantage d'importance au classement et reclassement permanent selon le mérite et l'effort personnel, abandonner le classement immuable selon le seul rang hérité des ancêtres.
         Pour cette période, la philosophie des lumières et la période révolutionnaire jouent le même rôle révélateur que le mouvement de Réforme et Contre-réforme pour le XVIème siècle : la Réforme réclamait de débloquer l'autonomie de chacun face au corset des liens sociaux, la Révolution cette fois réclame de refaire complètement le classement entre personnes, certaines ayant une place privilégiée imméritée, d'autres une place injustement défavorisée.
 
 
 
Qu'y a t'il de paradoxal dans le mouvement brownien ?
 
         Puisque l'effet du mouvement brownien est de classer statistiquement le fluide de telle sorte que la vitesse (ou la température ce qui revient au même) de l'ensemble de ses molécules soit toujours rangée en ordre bien progressif, il permet que les molécules se suivent toujours en bon ordre de vitesse. Mais puisque ce classement statistique n'est obtenu que par le mélange hasardeux perpétuel, le dérangement perpétuel du classement des molécules entre elles qui ne cessent de se brasser, il implique donc aussi que les molécules ne se suivent jamais en bon ordre de vitesse. Dans cette situation donc, toujours ça se suit sans se suivre.
 
 
Traduction dans l'art et la musique du paradoxe "ça se suit sans se suivre"
 
         Pour une raison que nous expliquons ailleurs [ F voir cette explication] ce n'est qu'à l'étape suivante de l'évolution de la société que ce paradoxe sera le paradoxe caractéristique de l'architecture. Il correspond au fonctionnement de la société occidentale de l'époque révolutionnaire de la fin du XVIIIème siècle, mais il ne sera le paradoxe dominant dans l'architecture qu'au cours du XIXème siècle, dans le style que nous qualifierons pour simplifier et pour paraphraser Garnier l'architecte de l'opéra de Paris : le style Napoléon III.
 
         è architecture     deux exemples d'architecture du milieu du XIXème siècle :
                                                Garnier : l'escalier de l'Opéra de Paris
                                                Labrouste : la salle de lecture de la Bibliothèque Nationale à Paris
         è musique          les expressions caractéristiques de cet effet
 
 
 
Et l'architecture de l'époque révolutionnaire ?
 
         Comme indiqué au début du paragraphe précédent, le paradoxe en jeu dans l'architecture d'une époque est toujours en retard d'une étape sur l'évolution des paradoxes en jeu dans la dynamique même de la société.
         La dynamique en cours avant la période révolutionnaire de la fin du XVIIIème siècle est celle de la société du début du XVIIIème siècle, fondée sur le paradoxe "fermé / ouvert".
         On peut :
 
         è      aller voir l'explication de la cause de cette situation paradoxale
                   que l'on peut aussi appeler celle du "libre / prisonnier"
                   car on y est à la fois totalement libre de ses mouvements
                   et prisonnier en permanence de liens sociaux multiples
         è      voir directement des exemples d'architecture de l'époque révolutionnaire
                    (Boullée : projet d'opéra pour la place du Carrousel à Paris
                      et Soane : le Breakfast Parlour du musée Soane de Londres)
 
dernière mise à jour de ce texte : 18 octobre 2007


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