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Wright et Aalto

cycle du noeud
phase du classement - paradoxe 2
le style "Art Nouveau - 2 -" (autour de 1900)

rassembler / séparer




Fonctionnement de la société dans laquelle est plongé l'artiste

Dans un autre texte on a expliqué que, pour une partie de la société occidentale autour des années 1900, le stade des imbrications ponctuelles d'une couche sociale dans une autre n'est plus de mise. L'augmentation de plus en plus marquée des différences sociales a forcé une partie de la société à se trouver un mode d'imbrication qui s'accommode mieux de ces différence. Comme cela se passe pour un fluide qui doit concilier en son sein des différences de vitesse incompatibles avec des interpénétrations locales répétées, cette imbrication mutuelle des classes sociales prend la forme d'une grande et unique spirale qui enroule toutes les couches sociales les unes sur les autres. Ce type d'enroulement est dès lors compatible avec des écarts sociaux qui peuvent être infinis [ F revoir l'image caractéristique du phénomène physique correspondant dans une autre fenêtre].
On y a vu aussi que le caractère paradoxal de cette situation provient de la synchronisation étonnante que manifeste une organisation en spirale qui s'élargit ainsi avec une régularité impeccable, et l'absence de toute structure axiale, de tout centre commun, de toute continuité radiale. Cette synchronisation obtenue comme par miracle, sans aucun des repères communs habituels qui permettent d'organiser une telle régularité dans tous les sens et à toutes les échelles, nous l'avons dénommée le paradoxe "synchronisé / incommensurable".
 
 

Nature du paradoxe que l'artiste cherche à maîtriser

L'artiste, comme tous les membres de sa société qui participent à ce fonctionnement, est donc "pris", "englué" dans le paradoxe "synchronisé / incommensurable".
Mais il est trop "pris", trop "englué" dans ce paradoxe pour pouvoir le regarder en face. Il est "dépassé" par ce paradoxe qui domine inconsciemment son comportement. Ce paradoxe est trop omniprésent dans les rouages de sa société et à toutes les échelles et sous tous les aspects de son fonctionnement, pour qu'il puisse l'appréhender avec un quelconque recul. Il est lui même une partie de ce paradoxe, puisque ce paradoxe est celui qui a trait à la relation entre la société dans son entier et chaque membre de cette société.

À défaut de pouvoir y faire face, et dans le but de prendre le recul qui lui manque pour saisir complètement ce qui se passe en lui, il peut apprivoiser une forme moins virulente de ce paradoxe, une forme que l'acquis de la société a déjà permis d'intégrer à la complexité du fonctionnement interne de chacun, une forme que pour cette raison il pourra dominer, dont il pourra appréhender tous les aspects, saisir toutes les relations internes impliquées par son fonctionnement. Cette forme atténuée du paradoxe "synchronisé / incommensurable", on peut penser que c'est le paradoxe "rassembler / séparer" puisque c'est lui qui a dominé l'étape précédente de l'évolution du fonctionnement de la société.
On explique maintenant pour quelle raison le recours à ce fonctionnement paradoxal est effectivement impérieux pour une personne "prise" dans le paradoxe "synchronisé / incommensurable" afin de l'aider à tenir dans une telle situation.
 
 

Pertinence du paradoxe "rassembler / séparer"

Quand la société atteint cet état où ses classes s'enroulent l'une sur l'autre en spirale, l'absence de tout axe et de tout centre commun provoque une difficulté particulière à se représenter sa position personnelle par rapport aux autres. Les relations entre les personnes se modifient de tous côtés, et de plus elles ne se modifient pas au même rythme. Dans cette structure qui varie dans tous les sens, le seul repère fixe utilisable en tous points que l'on peut trouver est que :
- partout la société se rassemble (par le fait de son enroulement autour du départ de la spirale),
- partout elle se sépare (par le fait de sa stratification en couches qui s'empilent les unes sur les autres pour produire cet enroulement.
La maîtrise d'une situation rassemblée / séparée se révèle donc spécialement utile pour construire sa personnalité dans une société spiralante, et la recherche de cette maîtrise à travers le langage de l'art qui peut en traiter, va donc donner naissance aux formes de l'Art Nouveau -2-.
 
 

Les deux procédés du paradoxe "rassembler / séparer"

Comme à toute époque [ F revoir l'explication dans une autre fenêtre], nous trouvons deux procédés pour exprimer ce paradoxe : le procédé analytique, et le procédé synthétique.
Ce procédé analytique consiste à faire en sorte que l'architecture rassemble efficacement et complètement par la disposition de certains de ses aspect, tout en séparant par ailleurs complètement par d'autres de ses dispositions. Ce procédé consiste donc à réellement mettre en présence les termes contradictoires du paradoxe, termes qui normalement s'excluent. Mais par sa réussite même, ce procédé tue ce qu'il y a de vraiment paradoxal, c'est-à-dire d'insoluble dans le paradoxe qu'il illustre.
Le procédé synthétique consiste, par des conflits dans notre perception, à nous faire ressentir le trouble exact qui s'installe en nous lorsque l'on cherche à percevoir que les espaces ou les éléments de l'espace sont simultanément en train de se rassembler et en train de se séparer. Ce procédé permet cette fois de garder vivante l'impression d'impossible cohabitation des deux termes du paradoxe, mais en échange il se doit d'être moins exigeant sur ce qu'il fait réellement. Il garde vivante l'impression d'incompatibilité entre le rassemblement et la séparation, mais doit s'abstenir de matérialiser réellement l'une ou l'autre de ces situations.
 
 


Mackintosh : la salle de réception pour la "Maison d'un Amateur d'Art"

     dessin de l'intérieur de la pièce   (dans une autre fenêtre)

Ce dessin est extrait d'un portfolio publié à Darmstadt par l'architecte anglais Charles Rennie Mackintosh (1868-1928).
Son principe consiste à tout diviser en très étroites bandes verticales, le plus souvent en légère forme pyramidale, et terminées à leur pointe supérieure par un motif plus ou moins en boule.
Et tout y passe : les murs opaques, les baies, les sièges, la cheminée, la décoration murale, les luminaires qui pendent du plafond , les vases qui partent du sol . . .
L'effet de cette division à l'extrême est que l'ensemble de la pièce se trouve parfaitement unifié : tous ses murs, ses meubles et ses décorations, sont inséparablement rassemblés dans l'effet de résille verticale générale qu'ils forment ainsi.
C'est ici l'effet synthétique qui est mis à contribution : ce qui fait la division est aussi ce qui fait le rassemblement.

expression synthétique du rassembler / séparer :
la division qui décompose tout en fines verticales séparées, est en même temps ce qui sert à unifier l'esthétique de la pièce,
donc à rassembler toutes ses parties dans un même effet

     dessin d'ensemble de la Sagrada Familia de Gaudi   (dans une autre fenêtre)

C'est fondamentalement le même procédé que l'on trouve dans la silhouette d'ensemble prévue pour sa Sagrada Familia de Barcelone par Antonio Gaudi (1852-1926) :
- cette silhouette se hérisse systématiquement de formes en fuseaux ou de formes en pointes, ce qui rassemble toutes ses parties dans le même effet,
- ces formes en fuseau ou en pointe s'affirment chacune en s'isolant, en se séparant de la masse d'ensemble.

expression synthétique du rassembler / séparer  : la forme en fuseau qui rassemble et unifie,
provoque par son érection même la séparation de chaque clocher qui s'extrait ainsi de la masse d'ensemble

Les fuseaux allongés des clochers se terminent d'ailleurs tous à leur sommet par une forme qui se sépare bien distinctement d'eux. Et bien entendu, tous ces éclats séparés sont rassemblés dans un même éclatement d'ensemble.

                         

expression analytique du rassembler / séparer  : le haut du clocher se divise en parties bien séparées l'une de l'autre par leurs formes différentes
(pointe, brusque renflement, puis éclat en étoile), et les parties similaires de tous les clochers se rassemblent visuellement,
car elles éclatent de la même façon et dans la même partie du jet des fuseaux


Revenons à Mackintosh et aux longues chaises au dossier incroyablement allongé que l'on trouve dans son dessin de salle de réception.
Son procédé est le même que celui utilisé dans cette autre chaise toujours éditée par la marque "Cassina". Elle a été dessinée en 1897.

     vue de la chaise éditée par Cassina   (dans une autre fenêtre)

La longueur excessive du dossier de ces deux types de chaises sépare à l'évidence son bas de son haut. Elle exalte cette séparation en la poursuivant au delà de ce que nous ressentons la longueur de notre dos par rapport à la largeur de l'assise du siège. En retour, les groupes de formes en bas et en haut de la chaise paraissent d'autant plus tassées les unes contre les autres qu'elles paraissent poussées plus loin que requis vers l'extrémité du fait de la longueur anormale du dossier.

expression synthétique du rassembler / séparer  : les trop longs dossiers séparent expressivement le bas et le haut de la chaise,
tout en tassant leurs formes en extrémité, ce qui force leur rassemblement par compactage

Outre l'énergie propre de tassement (donc de rassemblement) qu'elles subissent, ces formes proposent par elles-mêmes des motifs qui rassemblent et séparent simultanément :
- l'ellipse du haut du dossier de la chaise éditée par Cassina est une forme qui rassemble dans une même figure, mais qui sépare cependant ses deux extrémités.

expression synthétique du rassembler / séparer  :
la forme du dossier en ellipse rassemble par son contour bouclé en continu, tout en se séparant en deux bouts

- le haut du dossier de la chaise de la Maison d'un Amateur d'Art se divise en lattes séparées horizontalement par des vides, et verticalement par le sens de leur pose. Les boules situées sur ces lattes de trouvent du même coup séparées, mais grâce à l'analogie de leur forme qui ressort bien, elles sont lues ensembles, donc rassemblées. C'est d'ailleurs ce même effet analytique qui, dans l'ensemble de la pièce, se combine avec l'effet synthétique de division systématique en verticales : toutes les formes en boule (décor des chaises, décor des lampes, roses des vases, etc) séparées par les verticales qui les portent, se rassemblent dans notre vision, quels que soient leur support et leur échelle.

expression analytique du rassembler / séparer  : les boules sont séparées les unes des autres par leurs supports,
mais grâce à la similitude de leur forme, elles sont rassemblées dans notre perception.
 


expression analytique du rassembler / séparer  : le même effet vaut pour l'ensemble de la pièce et pour toutes les formes en boule qui terminent
les divisions verticales séparées que notre perception regroupe dans un même ensemble,
celui des formes en boule (décor des chaises, décor des lampes, roses, etc.)

- le tabouret des deux types de chaise est semblable : il rassemble visuellement plusieurs étages de formes qui se répondent, car tous marient la rigueur du trait droit et l'arrondi d'un arc. Cet arc lui-même "rassemble et sépare" les quatre pieds.

expression analytique du rassembler / séparer  : rassemblement compact de formes,
qui se répartissent cependant en deux registres que l'on peut lire séparément (des droites et des arcs courbes)



 expression synthétique du rassembler / séparer  : l'arc des pieds les rassemble et les sépare à la fois




Olbrich : porte d'entrée de la maison Glückert à Darmstadt

     vue de la porte   (dans une autre fenêtre)

L'architecte viennois Joseph Maria Olbrich (1867-1908) construisit la maison Glückert en 1901.
On en analyse seulement ici la porte d'entrée.
Indiscutablement son grand arrondi rassemble l'ensemble de la menuiserie, tout en soulignant expressivement sa séparation d'avec la maçonnerie qui l'entoure. Cette séparation est d'ailleurs accusée par la coupure que l'on trouve en pied de l'arrondi, et qui rappelle les arcs en fer à cheval souvent utilisés dans l'architecture musulmane.

expression analytique du rassembler / séparer  : rassemblement compact de l'ouverture dans un rond, et séparation par l'effet même de trou,
mais aussi par la coupure en fer à cheval du bas de l'ouverture qui sépare son contour du sol et qui sépare le trou du mur

Indiscutablement les 3 montants verticaux de la porte la sépare complètement en ensembles isolés les uns des autres, mais cet effet produit simultanément la réunion du bas et du haut de l'ouverture.

expression synthétique du rassembler / séparer  : en rassemblant le bas et le haut de l'ouverture, les montant verticaux la sépare en parties

Ces montants verticaux coupent au passage la large traverse horizontale qui ondule, mais cela ne nous empêche pas de percevoir que cette traverse joint le côté gauche et le côté droit de l'ouverture dans un parcours qui est donc rassemblé dans une même ondulation, . . . ondulation qui se sépare en un centre en forme de bosse et des côtés en forme de creux.

expression synthétique du rassembler / séparer  : la traverse qui ondule est perçue comme formée d'un parcours rassemblé en trajet continu
malgré les coupures que lui infligent les traverses verticales, mais ce faisant elle se sépare en trois ondulations de sens contraire

Dans le dessin de la grille, les montants verticaux séparent également chaque motif en forme de fleur de sa tige et de ses feuilles. Malgré cela, on perçoit parfaitement que la fleur, la tige et les feuilles, sont rassemblées dans le dessin complet d'une seule et même plante. Mais en plus de cette expression analytique (fleur complète / fleur coupée), un autre effet synthétique est spécialement remarquable ici : la séparation concomitante de la fleur de droite et de la fleur de gauche de leurs tiges respectives, a pour effet simultané de permettre de rassembler dans notre vision ces deux fleurs qui sont pourtant situées sur des plantes distinctes.

expression synthétique du rassembler / séparer  : la séparation des deux fleurs de leur ttge les rassemble dans notre perception,
bien qu'elles appartiennent à des plantes distinctes


 
 

Travaux pratiques

Dans un autre texte il est expliqué que, au cycle du noeud qui fonctionne en organisation, chaque paradoxe dominant utilise trois autres paradoxes dominés qu'il combine pour se faire valoir.
Il peut être un bon exercice d'entraînement de rechercher comment le paradoxe dominant "rassembler / séparer" utilise dans les oeuvres présentées ci-dessus les paradoxes :
              fermé / ouvert (que l'on trouve dans le style de l'époque Révolutionnaire)
              ça se suit sans se suivre (que l'on trouve dans le style "Napoléon III")
              homogène / hétérogène (que l'on trouve dans l'Art Nouveau -1-)

Pour être complet, il convient de rechercher chaque fois l'expression analytique et l'expression synthétique de chacun de ces paradoxes.


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