Chapitre 17

 

NATURALISME

et

ANIMISME

 

 

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17.0.  Naturalisme et animisme – la 2e notion devient globale :

 

Après la phase totémique, l'une des deux notions est devenue globale. Puisque l'autre est toujours ressentie au cas par cas, pendant la phase suivante la situation est nécessairement dissymétrique : dans les civilisations d'ontologie naturaliste c'est la notion d'esprit qui est globale, du type 1/x, et la notion de matière y relève toujours du cas par cas, donc du type 1+1, et l'inverse est vrai pour les civilisations d'ontologie animisme. Très naturellement, cette phase suivante voit la deuxième notion acquérir à son tour un caractère global, celle de matière dans les civilisations naturalistes et celle d'esprit dans les civilisations animismes.

À la fin de cette nouvelle phase on se retrouvera par conséquent avec les deux notions globales, mais il y aura plusieurs façons d'envisager leur relation puisque, comme précédemment, elles pourront être perçues comme deux notions globales indépendantes s'ajoutant l'une à l'autre en 1+1 ou comme deux notions globales différenciées à l'intérieur d'un couple du type 1/x.

 

Dans les filières additives, les deux notions s'ajoutaient déjà en 1+1 à l'issue de la phase totémique, et l'on doit normalement s'attendre à ce même type de relation à l'issue de la phase naturaliste ou de la phase animisme. On rappelle que, dans les croquis qui résument la situation, la notion d'esprit est symbolisée par le blanc et celle de matière par le noir.

 

Ontologie matière/esprit du type « additif » au début puis à la fin de la phase naturaliste/animisme :

 

 

 

- naturalisme additif :

 




 

 

- animisme additif :




 

Dans ces croquis, on a donné une taille plus petite à la nouvelle unité créée pour la repérer, mais lors des phases suivantes une dissymétrie réelle se manifestera entre les deux notions. On peut supposer qu'elle résultera alors d'une différence née dans la phase que l'on est en train d'envisager, une différence résultant du fait que le caractère unitaire et compact de la notion globalisée en premier n'a pu que s'y renforcer.

Le cas du naturalisme additif sera traité avec l'évolution de l'art gréco-latin, celui de l'animisme additif avec la Méso-Amérique que l'on avait éludée lors de la phase totémique.

 

Le caractère couplé des ontologies couplées sera conservé à la fin de la phase. Par différence toutefois avec les situations additives qui donneront l'occasion aux notions globalisées en premier de se renforcer, ici la difficulté que vont rencontrer les notions encore au cas par cas pour affirmer leur unité propre malgré leur situation couplée va leur donner au contraire l'occasion de devenir la notion la plus compacte. Cela n'aura pas de conséquence immédiate mais, lors de la phase analogiste suivante, puisque l'une des deux notions devra renoncer à son type 1/x pour retomber dans le type 1+1, c'est la notion qui se sera érigée la première en notion globale et devenue la moins compacte qui devra subir cette transformation, ce qui vaudra notamment pour la filière naturaliste chinoise qui passera à l'animisme. Dans les croquis suivants, la notion qui acquièrent en second leur caractère global sont figurés par un demi-rond uniforme pour schématiser la force supérieure de leur unification.

 

Ontologie matière/esprit du type « couplé » au début puis à la fin de la phase naturaliste/animisme :

 

 

 

- naturalisme couplé :

 




 

 

- animisme couplé :




 

Pour les filières naturalistes couplées on analysera l'évolution de la civilisation de la Chine, toujours naturaliste pendant cette phase. Pour les filières animismes couplées on analysera l'évolution de l'Égypte et de la Mésopotamie.

Au total, nous examinerons donc toutes les quatre filières envisageables, contre trois seulement pour la phase totémique ([1]).

 

Comme dans la phase précédente, chaque étape se caractérise par trois effets plastiques de transformation ontologique, le troisième correspondant à la relation entre les deux notions. Il s'avère que, lors de cette nouvelle phase, la distinction entre le premier effet qui correspond à la notion de matière et le deuxième qui correspond à la notion d'esprit (voir chapitre 15.0) est particulièrement pertinente pour décrire l'évolution de l'art. À la différence de la phase précédente, on analysera donc distinctement chacun de ces effets. Pour ce qui concerne l'architecture gréco-latine, pour plus de fluidité on n'envisagera dans un premier temps que le troisième effet, mais, après avoir envisagé l'architecture chinoise « couplée », on reviendra sur quelques exemples d'architecture gréco-latine « additive » afin d'observer la différence entre ces deux types d'expression, ce qui impliquera de différencier alors ses deux premiers effets.

 

 

 

17.1.  La filière gréco-latine pendant la phase naturaliste :

 

 

Chronologie approximative de la filière gréco-latine du naturalisme :

         la première étape de cette phase correspond à une période qui va environ de 900 à 625 avant notre ère et qui couvre notamment, pendant ses deux premiers siècles, la période dite géométrique ;

         la deuxième étape couvre approximativement la période allant de 625 à 500 avant notre ère. Pour l'essentiel, elle correspond à la période de la Grèce dite archaïque ;

         la troisième étape correspond à la période dite classique de la Grèce et va approximativement de 500 à 400 avant notre ère ;

         la quatrième étape correspond en Grèce à la période allant approximativement de 420 à 300 avant notre ère ;

         la cinquième et dernière étape va approximativement de 300 avant notre ère jusqu'à environ 10 avant notre ère, soit pour la Grèce la période dite hellénistique, et pour Rome la période de la République et celle d'Auguste.

 

 

 

17.1.1.  Les cinq étapes de l'évolution de l'architecture dans l'ontologie naturaliste additive gréco-latine :

 

Dans la filière naturaliste, puisque c'est la notion de matière qui acquiert un caractère global au cours de la phase naturaliste, c'est sa transformation qui importe le plus, et puisque c'est dans l'architecture que l'on est plus spécialement du côté de la matière, on commence par l'architecture.

 

La première étape du naturalisme gréco-latin :

 

 




 

On rappelle schématiquement l'état des deux notions à la première étape et l'objectif qui devra être atteint à sa dernière. Comme on est dans la filière naturaliste c'est la notion d'esprit qui a déjà acquis son caractère global et celle de matière relève toujours du cas par cas. Ces deux notions sont en situation additive, elles le resteront pendant toute la phase, et à son issue les deux notions, désormais toutes deux globales, restent donc complètement autonomes l'une de l'autre. Pendant toute la phase naturaliste cette évolution implique que les aspects qui relèvent de la matière s'ajouteront toujours en 1+1, mais qu'ils s'efforceront de créer des liens entre eux afin de progressivement se rassembler dans une unité plus haute qui correspondra alors à la notion de matière.

 





 

De gauche à droite : Thermos, Grèce, plan du temple II (8e siècle avant notre ère) ; maquette d'édifice trouvée à l’Héraion d'Argos, Grèce (fin du 8e s. AEC) ; reconstitution hypothétique du temple de Pérachora, Grèce (8e s. AEC) ; maquette du temple de Véies, Étrurie (fin du 6e s. AEC)

Sources des images : Grèce, Taschen (1997), https://www.agefotostock.fr/age/fr/informations-photo/grec-civilisation-terre-cuite-modele-temple-engagement-hera-argos-700-avant-jesus-christ-athenes-ethniko-national-archeologie-musee/DAE-11162381  ; https://www.hojasdeacanto.com/post/los-origenes-de-la-arquitectura-griega-los-primeros-templos  et https://learning.hccs.edu/faculty/steven.cartwright/arts1303/the-etruscans

 

Il ne reste plus aucune architecture grecque des 9e et 8e siècles avant notre ère encore debout. Sur le site de Thermos, il a été retrouvé les fondations d'un temple du 8e siècle permettant d'en reconstituer le plan, lequel correspondait à un bâtiment rectangulaire assez allongé, entouré par une colonnade se terminant en abside arrondie à l'une de ses extrémités. On a aussi retrouvé quelques maquettes en terre cuite d'habitations ou de temples, telle celle trouvée sur le site de l’Héraion d'Argos qui date de la fin du 8e siècle comme le suggère le style géométrique de sa décoration. Cette fois, il s'agit d'un bâtiment rectangulaire fermé, avec une toiture à deux pentes et un auvent d'entrée soutenue par des colonnes. De la même époque, il existe aussi une maquette de bâtiment retrouvée à Pérachora, dans l'isthme de Corinthe, dont on suppose que la toiture à deux pentes se prolongeait au-dessus de l'auvent qui était soutenu par deux colonnes jumelées. Cette disposition, celle d'un bâtiment fermé se prolongeant par un porche très ouvert soutenu par des colonnes, c'est encore celle que l'on pouvait trouver à la fin du 6e siècle dans le temple étrusque de Véies, à proximité de Rome, ainsi que le montre la maquette qui en a été reconstituée. Le porche, dit pronaos, a toutefois pris ici davantage d'ampleur, à la fois en largeur et en profondeur puisqu'il est maintenant soutenu par deux rangées successives de quatre colonnes. À part cette différence d'ampleur, et peut-être aussi la surélévation de son socle impliquant un escalier pour y accéder, on ne décèle pas de différence fondamentale entre l'architecture grecque de la fin du 8e siècle AEC et l'architecture étrusque de la fin du 6e siècle AEC, ce décalage ne faisant que prolonger l'avance que l'on avait déjà remarquée pour la civilisation grecque à la fin de la phase totémique.

À la première étape, l'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est l'intérieur/extérieur. Il a une expression synthétique dans le temple de Thermos puisque l'extérieur de la matière des murs du temple est inévitablement perçu à l'intérieur d'une colonnade dont l'esprit devait suivre des yeux les lignes verticales, et par ailleurs la coursive périphérique abritée par cette colonnade, sous laquelle les être dotés d'un esprit pouvaient être à l'abri du soleil et de la pluie, est un espace intérieur matériellement continu avec l'espace extérieur. Dans le cas de l'édifice correspondant à la maquette de l’Héraion d'Argos, tout comme dans le cas du temple de Véies, il s'agit d'une expression analytique : on peut commodément séparer la partie du bâtiment qui correspond à un intérieur fermé s'affirmant par des surfaces matérielles closes, et la partie du bâtiment complètement ouverte sur l'extérieur qui forme un porche au moyen de colonnes dont notre esprit suit des yeux les trajets.

Dans tous les cas, le volume intérieur et le volume relié à l'extérieur sont fortement coupés l'un de l'autre et ils ne forment ensemble aucune unité globale perceptible, ils s'ajoutent donc en 1+1. À la première étape de la phase totémique, on avait vu que la notion en train d'acquérir son caractère global commençait par mettre isolément en valeur chacun de ses aspects et par exprimer l'existence d'un lien en train de se construire entre eux. Il en va de même dans cette nouvelle phase puisque ici, spécialement dans le cas des expressions analytiques, l'espace clos et l'espace ouvert sur l'extérieur s'affirment isolément l'un de l'autre tandis que le lien qui les relie a également une expression spécifique : dans l'édifice d'Argos, c'est le bandeau horizontal en relief qui cerne le bâtiment fermé et qui se prolonge en continuité dans la toiture du porche qu'il cerne de la même façon ; dans le cas du bâtiment de Pérachora, tout comme dans le cas du temple de Véies, c'est la toiture à deux pentes qui sert à relier en continuité la partie close et la partie en auvent du bâtiment.

L'architecture grecque au début de l'ontologie naturaliste et l'architecture égyptienne lors des deux premières étapes du totémisme relèvent de situations équivalentes puisque chaque fois on est au début d'une phase qui verra la notion de matière devenir globale, et cette équivalence rend leur différence d'autant plus significative. En Égypte, avec le temple funéraire de Mentouhotep II puis celui de la Reine Hatchepsout (voir chapitre 16.3.1), on avait affaire à des bâtiments qui se raccordaient longuement au sol et à la montagne voisine. Avec les constructions grecques, on a cette fois affaire à des bâtiments qui peuvent se concevoir séparément de leur environnement. C'est que l'Égypte correspondait à une situation couplée dans laquelle la matière naturelle formant le sol et la montagne était d'emblée pensée en couple avec la matière de l'architecture transformée par l'esprit, et par ailleurs l'esprit n'y fonctionnait encore que par 1+1 lectures, ce qui implique des constructions que l'on ne découvre que par étapes successives, les parcourant pas à pas pour découvrir progressivement ses différents aspects ou les différents décrochements de ses terrasses très écartées les unes des autres. En Grèce, par différence, tout comme l'esprit qui l'a conçue l'architecture s'affirme en +1 par rapport à la matérialité du sol et du paysage environnant, et qui plus est l'esprit y a déjà un caractère global lorsque commence la phase naturaliste, ce qui implique que l'esprit y est en mesure d'appréhender l'ensemble d'un bâtiment en un seul coup d'oeil. Ce qui vaut pour ces petits temples de la première étape, mais qui vaudra aussi pour l'essentiel des temples des étapes ultérieures qui seront très souvent perceptibles en tant que bâtiments isolés et indépendants, à l'exemple du Parthénon d'Athènes de la 3e étape. Bien entendu, cela ne veut pas dire que l'architecture de l'antiquité grecque n'est constituée que de bâtiments complètement isolés qui ne se préoccupent pas de leur relation visuelle et fonctionnelle avec leur environnement et avec les autres bâtiments de leur voisinage, mais seulement que l'esprit pourra toujours les isoler visuellement, à la différence de l'architecture égyptienne de la phase totémique qui devait avant tout être lue comme une suite continue d'évènements visuels s'enchaînant les uns à la suite des autres.

 

On a déjà considéré l'effet d'intérieur/extérieur. Pour ce qui concerne les autres effets plastiques, on les envisage pour l'édifice dont la maquette a été trouvée à l’Héraion d'Argos (2e exemple).

À la première étape l'effet qui apparaît d'emblée est le fait/défait : l'aspect clos, fermé et compact est fait pour la partie principale du bâtiment, il est complètement défait pour son porche largement ouvert de tous côtés. La forme se répand par un effet de relié/détaché : ses deux parties bien distinctes sont reliées l'une à l'autre au niveau de la terrasse du porche et par une poutraison qui relie chaque poteau du porche au bâtiment principal, elles sont aussi détachées l'une de l'autre puisque les poteaux qui portent le porche et constituent l'essentiel de sa structure sont franchement détachés à l'avant de la partie fermée du bâtiment. En principe, la forme doit s'organiser par un effet de centre/à la périphérie qui n'est pas flagrant ici. Il concernait peut-être la façon dont le bâtiment s'organisait avec les autres ou avec les dispositions situées autour de lui, à moins que l'on ne considère notre déstabilisation liée à l'incapacité dans laquelle on est de déterminer s'il s'agit d'un bâtiment compact fermé ou d'un bâtiment largement ouvert sur l'extérieur comme le suggère son porche. Pour sa part, le plan du temple de Thermos organise clairement un dialogue entre le bâtiment fermé situé au centre et la colonnade qui l'entoure sur toute sa périphérie. Ces effets sont résumés par celui d'entraîné/retenu : si nous nous laissons entraîner à considérer qu'il s'agit d'un bâtiment fermé, nous en sommes retenus par la présence du porche et des ouvertures par lesquelles sa partie fermée s'ouvre sur ce porche et sur sa terrasse. On peut aussi considérer que les poteaux du porche entraînent les limites du bâtiment au-delà de sa partie fermée tandis que sa terrasse l'y arrime fortement, c'est-à-dire le retient bien attaché à cette partie fermée.

 

 

 


Maison Carrée de Nîmes, France (temple romain construit probablement de10 avant notre ère à 4 après)

 

Source de l'image : https://www.nimes.fr/decouvrir/histoire-et-patrimoine/la-maison-carree.html

 

 

Il est instructif d'examiner dès maintenant ce que deviendra ce type d'architecture à la dernière étape de la phase naturaliste. Comme à sa première étape, l'effet qui porte la relation entre les deux notions est celui d'intérieur/extérieur. On y retrouve aussi celui de fait/défait, mais en situation plus importante puisqu'il est alors celui qui résume les autres. La Maison Carrée de Nîmes, temple dédié au culte impérial construit autour de l'an zéro, relève de cette dernière étape. Elle fait partie d'une série de temples similaires, tel celui de Fortuna Virilis à Rome construit à la fin du IIe siècle avant notre ère, des temples qui ont été très inspirés par les temples étrusques, en particulier par celui de Véies qui était un village très proche de Rome.  Outre sa division entre une partie très fermée et un large porche très ouvert sur l'extérieur, la Maison Carrée de Nîmes possède comme le temple de Véies un socle surélevé par lequel on accède par un escalier faisant face à l'entrée. Pour donner un aperçu de l'évolution intervenue entre la première et la dernière étape de la phase naturaliste, nous examinons ce qui différencie ces deux temples.

Pour ce qui concerne les effets plastiques, on ne décèle pas d'évolution pour l'un des aspects de l'effet d'intérieur/extérieur : dans les deux cas on a affaire à une confrontation entre un bloc qui enclot très fermement son intérieur et un porche très ouvert sur l'extérieur. Toutefois, à la dernière étape, cet effet s'enrichit d'une nouvelle expression : les colonnes de sa partie arrière sont à la fois engagées à l'intérieur du mur et en relief sur son extérieur. Ces colonnes engagées dans le mur donnent aussi à l'effet de fait/défait l'occasion de s'exprimer beaucoup plus fortement que dans l'architecture du temple de Véies : les colonnes sont bien faites, puisqu'on les voit, mais elles sont cassées, et donc défaites, puisqu'elles sont coupées en deux par la présence du mur. Inversement, on peut dire que la continuité plane de ce mur est faite puisqu'on la perçoit, mais qu'elle est défaite par les colonnes qui la coupent sans arrêt et qui y introduisent des reliefs contraires à l'aspect plan de la partie courante du mur.

Pour ce qui concerne l'évolution proprement ontologique, la différence est claire. Dans le temple de Véies de la première étape, la partie du temple en porche ouvert sur l'extérieur s'ajoute simplement en +1 à côté de la partie du temple au caractère clos. Ces deux parties sont simplement liées entre elles par une toiture continue qui correspond à la recherche de liens matériels, une recherche qui émerge dès cette étape pour relier les différentes parties matérielles s'ajoutant en 1+1. À la dernière étape, la colonnade ouverte du porche s'est maintenant répandue sur l'ensemble du bâtiment dont elle fait maintenant le tour, et la toiture semble désormais lui appartenir en propre puisqu'elle la couvre d'un bloc et sur sa totalité. Cette colonnade continue de s'ajouter en 1+1 à la partie fermée du bâtiment puisqu'elle en défait la surface et puisque la présence d'un mur continu et d'une colonnade continue sur un même emplacement sont incompatibles, mais cette superposition de la colonnade et du bâtiment fermé nous force à lire que ces deux parties sont emboîtées l'une dans l'autre, et donc qu'elles forment une unité globale divisible en deux parties distinctes, l'une correspondant à une boîte fermée, l'autre à une colonnade ouverte et couverte par une toiture à deux pentes. Avec la Maison Carrée de Nîmes, on a donc un parfait exemple de l'architecture que l'on trouvera à la dernière étape de la phase naturaliste : une architecture formée de parties matérielles qui s'ajoutent toujours les unes aux autres en 1+1, car on n'a toujours pas quitté cette phase où les aspects matériels s'ajoutent en 1+1, mais la maturité ontologique est désormais suffisante pour que l'on puisse lire que ces parties s'assemblent aussi dans le cadre d'une unité matérielle globale. Ici, cette unité globale est l'encastrement matériel, l'une dans l'autre, de deux parties bien distinctes : une colonnade ouverte portant une toiture, et un bâtiment parfaitement fermé.

 

 

La deuxième étape du naturalisme gréco-latin   (l'âge dit archaïque) :

 

Il est bien connu que l'architecture des temples grecs se divise en deux familles, dorique et ionique, la première d'origine continentale et du Péloponnèse, la seconde, comme son nom l'indique, originaire d'Ionie, sur la côte sud-ouest de la Turquie actuelle. La deuxième étape du naturalisme correspond à la période habituellement qualifiée « d'archaïque » de ces architectures.

Nous commençons par l'architecture dorique. Le plan du temple III de Thermos, dit d'Apollon et Mégara (image du centre), de la fin du VIIe siècle avant notre ère, correspond déjà au schéma type des temples doriques : une cella très allongée, entourée d'un portique périphérique réalisé au moyen d'une colonnade continue et régulière. Cette disposition reprend celle du temple II de Thermos envisagé à la première étape, sur son emplacement même, mais en supprimant la forme d'abside arrondie de l'une de ses extrémités.

En supprimant la dissymétrie horizontale de tous les exemples de la première étape, spécialement forte lorsque la colonnade n'existait que sur une extrémité, l'extérieur du bâtiment adopte de façon très claire l'allure d'une longue colonnade continue, portant un entablement et un toit, et s'interrompant de façon brusque à ses deux extrémités, c'est-à-dire se coupant brusquement à ses deux extrémités. Ce principe d'un déroulement continu se coupant brusquement correspond à un effet de continu/coupé qui se trouve être l'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions à la deuxième étape : la colonnade qui se continue tout autour du bâtiment capte l'intérêt de notre esprit qui en suit des yeux les trajets verticaux comme il suit la ligne horizontale de leur entablement, tandis que la masse matérielle de cet entablement et de la toiture qu'il supporte se coupe en brusque fronton à ses deux extrémités.

 




 

De gauche à droite : façade du 1er temple d'Héra, dit « la Basilique », à Paestum, Italie (environ 540 à 530 avant notre ère), plan du temple d'Apollon et Mégara de Thermos, Grèce (vers 640 à 610 avant notre ère), et reconstitution du temple d'Artémis de Corfou, Grèce (vers 580 avant notre ère)

Sources des images : Grèce (Taschen - 1997), https://atthalin.fr/louvre/histoire_art/grec/grec4.html  et https://diadrasis.gr/portfolio-item/arckerk/

 

Cet effet s'exprime de multiples autres façons dans un temple dorique : les murs extérieurs de la cella forment une continuité matérielle continue, par contraste avec les colonnades que notre esprit suit des yeux mais dont les trajets sont toujours coupés les uns des autres par les vides séparant les colonnes ; l'espace extérieur se poursuit en continuité à travers ces colonnades, mais il est brutalement coupé par la présence des murs de la cella ; comme le montre la photographie de la colonnade de la « Basilique » de Paestum, chaque pan d'une colonnade se présente comme une suite continue de colonnes coupées les unes des autres et de chapiteaux coupés les uns des autres ; comme le montre la reconstitution du temple d'Artémis de Corfou, la continuité horizontale lisse de l'entablement porté par le tailloir du chapiteau des colonnes s'oppose aux coupures incessantes qui fractionnent la ligne horizontale de ces tailloirs ; dans le haut de l'entablement, la frise dont la continuité est soulignée en partie basse par un fin réglet ininterrompu est constamment coupée par la présence des triglyphes verticaux qui forment une suite continue de reliefs coupés les uns des autres : chacun de ces triglyphes se continue par en dessous dans une forme qui reçoit des « gouttes » mais qui est coupée du triglyphe lui-même par le trait horizontal du réglet ; démarrant après une suite continue d'emmarchements coupés les uns des autres, le jet vertical continu de chaque colonne, qui n'est troublé par la présence d'aucune base, est brutalement coupé par la présence d'un chapiteau qui transforme la continuité verticale des colonnes en continuité horizontale d'architrave ; enfin, les cannelures des colonnes dessinent des continuités verticales qui contrastent avec les effets répétés de coupure de leur surface dans le sens horizontal, des coupures qui se répètent d'ailleurs en continuité régulière tout autour de chaque colonne.

 

On en vient aux autres effets caractéristiques de cette étape.

Celui qui apparaît d'emblée est l'effet d'ensemble/autonomie : de multiples colonnes autonomes font ensemble un effet d'alignement et un effet de soutien de l'architrave et de la toiture, et ces colonnades, leurs architraves, les frontons et les rampants du toit font ensemble un effet de bâtiment compact alors qu'ils correspondent à des formes très autonomes les unes des autres. La forme du bâtiment se répand par un effet d'ouvert/fermé qui correspond au contraste entre sa moitié haute très fermée et sa colonnade largement ouverte, et aussi au contraste entre les murs opaques de la cella intérieure et la colonnade périphérique. De cette colonnade, on peut également dire qu'elle forme globalement un rectangle fermé tout en étant très poreuse, et donc très ouverte. La forme s'organise par un effet de ça se suit/sans se suivre : les colonnes se suivent en alignements horizontaux, mais elles s'érigent verticalement et ne se suivent donc pas puisqu'elles sont parallèles entre elles, et par ailleurs l'entablement et la toiture succèdent verticalement aux colonnes mais ne les suivent pas puisque se dirigeant horizontalement quand les colonnes s'érigent verticalement. Quant au fronton, sa forme triangulaire poursuit le mouvement ascendant de la façade, mais il s'étale horizontalement, ce qui ne poursuit pas la dynamique verticale des colonnes.

Enfin, l'effet d'homogène/hétérogène résume les précédents : chaque colonne correspond visuelle-ment à une hétérogénéité, par elle-même mais aussi à l'intérieur d'elle-même si l'on considère le contraste entre son jet vertical et l'arrêt brutal que lui impose le chapiteau, et ces hétérogénéités en forme de colonne se répètent de façon homogène tout autour du bâtiment. Cela vaut aussi pour les triglyphes qui répètent de façon homogène les hétérogénéités que forment leurs cannelures, tandis que la continuité lisse homogène de la partie basse des architraves s'oppose à cette hétérogénéité de la frise qui les surmonte, tout comme aux hétérogénéités que constituent les colonnes en dessous. Globalement, le système de colonnade et d'architrave se poursuit en continuité parfaitement homogène sur toute la périphérie du bâtiment, en contraste avec la toiture dont les frontons triangulaires verticaux et les versants obliques sont des formes qui sont mutuellement hétérogènes.

 

 


 

Artémision d'Éphèse, Ionie (vers 560 avant notre ère) : reconstitution graphique et plan

Sources des images : https://jeanclaudegolvin.com/project/turquie/turquie-ephesus-ephese-temple-artemis-jc-golvin/ et Grèce (Taschen - 1997)



 

Maquette reconstituant le temple étrusque de Jupiter Capitolin construit au sommet du Capitolium, Rome (consacré en 509 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Temple_de_Jupiter_capitolin

 

 

Après le dorique, on en vient à l'ionique qui s'est développé dans les territoires grecs qui constituaient alors l'Ionie. Ce style s'est constitué à la même époque que le dorique, mais c'est plus rapidement qu'il a donné lieu à des bâtiments de grande taille. On donne comme exemple l'Artémision d'Éphèse qui date approximativement de 560 avant notre ère, mais on aurait pu aussi bien considérer l'Héraion construit sur l'île de Samos ou le temple d'Apollon à Didymes, tous les deux construits approximativement à la même époque et ayant la même allure.

Par différence avec les bâtiments doriques, tous ces exemples donnent une importance bien plus grande à la colonnade, laquelle n'est pas seulement périphérique mais génère une large galerie couverte à double rangée de colonnes, parfois trois rangées du côté de la façade principale. Sur cette façade les colonnades se prolongent d'ailleurs dans le vestibule (ou pronaos) d'entrée de la cella. Les colonnades ioniques adoptent aussi une proportion plus haute, plus gracile, générant des péristyles plus aérés, plus ouverts. Avec le dorique, vu depuis l'extérieur on avait affaire à une confrontation entre des surfaces continues d'architraves et des surfaces de colonnades constamment coupées par des vides. Avec l'ionique, c'est le parcours sous le bâtiment lui-même qui propose une expérience de la rencontre continue avec des colonnes dont la présence matérielle découpe l'espace en un quadrillage régulier, des colonnes qui s'érigent individuellement mais qui sont reliée les unes aux autres, d'un côté par le sol, de l'autre par la toiture.

Trapue, la colonne dorique s'érige dans un jet vertical continu qui se coupe brusquement à l'arrivée sur le chapiteau, ce qui est un effet synthétique puisqu'on ne peut pas éprouver cette coupure sans faire l'expérience de la continuité qui y mène. Par différence, la fine colonne ionique est formée d'un long trajet continu qui s'appuie sur une base sur laquelle se succèdent plusieurs moulures coupées les unes des autres, et qui se termine sous un chapiteau dont les deux spirales latérales sont coupées l'une de l'autre, une séparation des effets qui est cette fois analytique. Inversement, l'architrave dorique est très haute et se divise de façon analytique entre une partie basse à la surface lisse bien continue et une frise en partie haute constamment coupée par la présence de triglyphes, tandis que dans la fine architrave ionique c'est de façon synthétique que l'on fait l'expérience de sa continuité verticale plusieurs fois coupée par de légers décrochements de plans.

À côté de l'Artémision d'Éphèse, on donne la photographie d'une maquette reconstituant le temple de Jupiter Capitolin, construit dans le style étrusque de l'époque et par des bâtisseurs étrusques au sommet de la colline de Rome. Il fut consacré en 509 et donnera à cet endroit son nom de Capitole. Par l'importance de ses colonnades formant trois rangées successives à l'avant de la partie fermée du temple et enveloppant latéralement cette partie fermée, il a fondamentalement l'allure d'un vaste auvent quadrillé de colonnes assez espacées très comparable à l'allure d'un temple ionique, ce qui permet de considérer que la civilisation étrusque était, à la fin du VIe siècle avant notre ère, entrée dans la deuxième étape de l'ontologie naturaliste, et donc qu'elle avait déjà rattrapé une bonne partie du retard qu'elle accusait par rapport à la civilisation grecque à la fin de la phase totémique.

 

 




 

De gauche à droite : chapiteau éolique de Néandria (côte turque, vers 600 avant notre ère), chapiteau éolique d'Oropos (Grèce), chapiteau ionique de type archaïque de l'Artémision d'Éphèse, Ionie (vers 560 avant notre ère)

Sources des images : Art et archéologie de la Grèce, Ed. Könemann (1999), https://es.wikipedia.org/wiki/Orden_e%C3%B3lico  et  https://i.pinimg.com/originals/37/9b/e2/379be2d646cf029d2ebefcfce24b1ad3.jpg

 




 

Trois chapiteaux ioniques de l'époque classique sur l'Acropole d'Athènes. De gauche à droite : du temple d'Athéna Niké (vers 427 avant notre ère), des Propylées (après 437 avant notre ère) et de l'Érechthéion (421 à 406 avant notre ère)

Sources des images : https://www.gettyimages.fr/detail/photo/column-and-ionic-capital-temple-of-athena-nike-on-acropolis-photo/588935023 http://regardsculturels.blogspot.com/2011/03/les-restaurations-actuelles-pas-pas.html et https://www.wikiwand.com/fr/Ordre_ionique

 

Avant de passer à l'étape suivante, on analyse l'évolution du chapiteau ionique entre la première et la troisième étape de la phase naturaliste.

L'Éolie (ou Éolide) était une région de colonie grecque située immédiatement au-dessus de l'Ionie, et il paraît donc logique de considérer que les volutes latérales en spirale des chapiteaux typiques de cette région, dits chapiteaux éoliques, ont été à l'origine du chapiteau ionique. Le premier exemple que l'on donne (image du haut à gauche) est un chapiteau éolique datant d'environ 600 avant notre ère et retrouvé à Néandria, en Éolie. Ce chapiteau relève de la première étape du naturalisme, étape où l'effet qui porte la relation entre les deux notions est l'intérieur/extérieur : les deux spirales dont le déroulement capte l'intérêt de notre esprit sont extérieures l'une pour l'autre mais à l'intérieur de la masse matérielle d'un même chapiteau. L'effet de fait/défait y correspond au rassemblement compact des deux spirales en partie basse qui est défait en partie haute par leurs enroulements contraires, un éclatement des formes vers le haut et vers les côtés qui contraste aussi avec l'effet de compacité que fait la bague en relief à la base du chapiteau. L'effet de relié/détaché concerne également les spirales : reliées en partie basse et se détachant l'une de l'autre en partie haute. L'effet du centre/à la périphérie résulte du dialogue entre la forme de la palmette qui s'épanouit vers le haut, au centre du chapiteau, et d'autre part celle des deux spirales qui se terminent par des centres d'intérêt visuels très affirmés sur chaque côté du chapiteau, c'est-à-dire sur chaque côté de la périphérie de la palmette centrale. Enfin, l'effet d'entraîné/retenu résume les précédents : le dynamisme visuel du déroulé des spirales et de l'éclatement de la palmette du haut n'empêche pas que l'ensemble de ces forme reste retenu dans la fixité que lui impose son matériau en pierre.

On donne ensuite l'exemple d'un chapiteau éolique trouvé à Oropos, à proximité d'Athènes, qui montre l'évolution du précédent et son rapprochement du futur chapiteau ionique puisque la bague qui se trouvait précédemment sous les volutes s'encastre maintenant entre elles.

Le troisième exemple (image du haut à droite) est un chapiteau ionique caractéristique de la période archaïque, et donc de la deuxième étape. Le dessin donné est une reconstitution des chapiteaux de l'Artémision d'Éphèse dont on a envisagé plus haut l'architecture. Les deux volutes latérales sont désormais reliées en partie haute par un trait qui dessine en continu une spirale puis l'autre, mais elles restent coupées l'une de l'autre puisqu'elles sont séparées par le disque des oves formant ce qu'on appelle l'échine du chapiteau. Autrement dit, elles sont désormais à la fois continues l'une avec l'autre et coupées l'une de l'autre. Si l'on prend en compte les enroulements en spirale, le discret épanouissement des deux brins de chèvrefeuille qui s'y relient, l'enroulement horizontal circulaire de l'échine découpée en oves, au-dessous l'astragale circulaire plus finement divisé, et au-dessus l'abaque rectangulaire dont le profil oblique est également décoré de très fines oves, on a là un ensemble de formes très autonomes les unes des autres qui génèrent ensemble un même chapiteau, ce qui correspond à l'effet d'ensemble/autonomie qui apparaît d'emblée. La forme se répand par un effet d'ouvert/fermé : le tracé en spirale des volutes peut se suivre des yeux en continu, ce qui implique qu'il s'agit d'un tracé ouvert, notamment dans la partie haute du chapiteau que notre regard peut librement traverser, mais il vient buter sur l'extrémité des deux spirales, il est donc également fermé. L'effet de ça se suit/sans se suivre organise la forme : l'enroulement des deux spirales se suit en continu alors qu'elle s'enroulent vers des directions opposées, et ces spirales et l'échine des oves se suivent physiquement alors qu'elles se déroulent dans des plans perpendiculaires qui ne se suivent donc pas, vertical pour les unes, horizontal pour l'autre. Enfin, les trois effets précédents sont résumés dans celui d'homogène/hétérogène : les trois formes qui se déroulent horizontalement (l'abaque, l'échine et l'astragale) sont faites de la répétition homogène d'un motif d'oves qui sont autant d'hétérogénéités qui se succèdent les unes à côté des autres, et le trait qui dessine les volutes et les relie est homogène sur tout son parcours alors qu'il génère les formes très hétérogènes entre elles que sont des spirales et une droite, et alors que sur chaque spirale son enroulement est très hétérogène puisque très pincé au centre et très large en périphérie.

Dans le détail du chapiteau ionique archaïque, on retrouve donc tous les effets plastiques que l'on a observés dans la forme générale du temple dorique et que l'on aurait pu tout aussi bien constater dans la forme générale du temple ionique.

 

Les trois derniers exemples (images du bas) sont des chapiteaux ioniques que l'on trouve sur divers bâtiments de l'acropole d'Athènes à l'époque classique de l'art grec, c'est-à-dire à la troisième étape de la phase naturaliste que nous allons prochainement aborder. Ils vont être l'occasion d'envisager une première fois les effets plastiques propres à cette troisième étape.

Les deux premiers, du temple d'Athéna Niké et des Propylées, se différencient peu du chapiteau ionique archaïque que l'on vient d'envisager, mais leurs différences sont significatives. Pour partie, elles sont liées à la ligne légèrement affaissée qui sépare désormais la partie basse et la partie haute du chapiteau en reliant les deux spirales au-dessus des deux brins de chèvrefeuille. Désormais,  ceux-ci disposent d'une tranche horizontale qui leur est réservée au lieu de se développer par-dessus l'échine des oves, et cette échine forme désormais un disque horizontal complet au lieu de buter contre les volutes ainsi que le montre bien la vue du dessous du chapiteau des Propylées. Cette indépendance nouvelle des différentes parties, cependant toujours bien liées entre elles, correspond à l'effet de lié/indépendant qui rend compte de la relation entre les deux notions à la période classique. C'est ce même effet de formes autonomes, indépendantes mais liées ensemble, que l'on trouve dans les chapiteaux de l'Érechthéion (dernier exemple), davantage modifiés par rapport à la période archaïque. On y trouve la même affirmation de l'autonomie du groupe formé par les deux volutes, cette fois reliées entre elles par trois doubles lignes distinctes qui s'enroulent en spirale à leurs extrémités. On n'y trouve plus les deux brins de chèvrefeuille, un disque horizontal distinct s'interpose entre le motif des volutes et le disque de l'échine des oves, et une haute bague circulaire s'ajoute maintenant sous l'échine pour assurer la transition avec la colonne cannelée.

À la troisième étape, l'effet qui apparaît d'emblée est le rassemblé/séparé, lequel s'apparente ici fortement au lié/indépendant. La forme se développe par un effet de synchronisé/incommensurable qui correspond au fait que toutes les formes autonomes que l'on a décrites se synchronisent pour s'ajuster parfaitement alors qu'elles se développent selon des parcours totalement incommensurables entre eux, notamment pour ce qui concerne les spirales des volutes qui s'enroulent dans des plans verticaux et les différentes formes en disque qui s'enroulent horizontalement. La forme s'organise par des effets de continu/coupé qui ramènent aux particularités du chapiteau d'époque archaïque qui ont été conservées dans le chapiteau d'époque classique. Enfin, l'effet qui résume les trois précédents est le lié/indépendant, déjà envisagé.

 

 

La troisième étape du naturalisme gréco-latin   (l'âge dit classique) :

 

L'âge classique de la Grèce commence à partir de 500 environ avant notre ère. Comme on l'a vu avec l'évolution du chapiteau ionique, cette phase ne se caractérise pas par un renouvellement profond de l'architecture mais par une inflexion sensible de ses traits.

 


 

Un chapiteau et partie d'une colonnade du 1er temple d'Héra, dit « la Basilique », à Paestum, Italie (environ 540 à 530 avant notre ère)

 

Sources des images : Architecture de l'antiquité, Ed. Berger~Levrault (1980) et Monde grec, Ed. Office du Livre (1964)


 

L'évolution du temple dorique concerne surtout les colonnes et les chapiteaux. Pour illustrer l'étape précédente on avait donné l'exemple de la façade du 1er temple d'Héra à Paestum en Italie, datant approximativement de 540 à 530 avant notre ère. On donne une vue plus détaillée de l'un de ses chapiteaux et une vue de sa colonnade latérale. Sur cette dernière, on peut observer la forme très « molle » des colonnes, semblable à celle d'un cigare : leur parcours est clairement arrondi et se pince en arrivant sur le chapiteau. Cette forme de cigare disparaîtra complètement à l'époque classique dont les colonnes seront « raides droites », à ceci près qu'elles seront d'un diamètre un peu irrégulier à seule fin de compenser les illusions d'optique qui, en l'absence de cette irrégularité, donneraient l'impression que les colonnes s'amincissent dans leur partie centrale. En arrivant sur le chapiteau les colonnes archaïques marquent toujours une nette coupure, laquelle correspond dans le 1er temple d'Héra à une gorge nettement creusée qui provoque comme un manque soudain de matière entre le haut de la colonne et la base du chapiteau qui est lui-même très étalé et de forme molle.

 

 


Chapiteau du 2e temple d'Héra à Paestum (vers 440 avant)

 

Source de l'image : Grèce (Taschen - 1997)

 

 

Par comparaison, les chapiteaux du 2e temple d'Héra, toujours à Paestum mais cette fois en pleine période classique, vers 440 avant notre ère, proposent une transition beaucoup plus énergique entre le haut de la colonne et le chapiteau. À l'époque archaïque l'élan de la colonne semblait se ramollir à l'approche du chapiteau puis soudain s'effondrer par une brusque coupure juste sous le chapiteau, cette fois on ressent bien que la résistance à la pesanteur se transmet de la colonne au chapiteau, franchement conique et clair élargissement final de la colonne qu'il prolonge. Ce ne sont pas les deux groupes de fines rayures, l'une un peu avant la fin de la colonne et l'autre tout à la base du chapiteau, qui peuvent contrarier l'impression soutenue de continuité matérielle compacte entre la colonne et le chapiteau. À l'époque archaïque l'effet de coupure de l'élan entre la colonne et son chapiteau correspondait à un effet de continu/coupé. À l'époque classique, la mutation sans coupure entre l'énergie verticale de la colonne et l'énergie conique transmise par l'échine du chapiteau à son abaque carré, puis à l'entablement horizontal, correspond cette fois à une transition progressive entre une série de formes à la fois indépendantes les unes des autres et liées ensemble dans le même effort continu de résistance à la charge de la pesanteur, et donc à l'effet de lié/indépendant qui rend compte de la relation entre les deux notions : notre esprit est captivé par la façon dont la matière de la colonne soutient le poids de la masse matérielle de l'architrave qui lui est transmise par le chapiteau dont la courbe est tendue par son effort de soutien.

 

 

 


Reconstitution par A. Giuliano du Parthénon d'Athènes (447 à 432 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://discover.hubpages.com/education/Pericles-the-wonderful-Tyrant

 

 

Les colonnes d'un temple dorique de l'époque classique, tel celui du Parthénon d'Athènes construit de 447 à 432 avant notre ère, bien plus raides et plus élancées qu'à la période archaïque, bien isolées et séparées les unes des autres, donnent globalement l'impression de soutenir toutes ensemble le bloc compact et massif des parties hautes du bâtiment, ce qui relève là aussi d'un effet de lié/indépendant : leurs trajets verticaux bien indépendants sont lus par notre esprit, elles sont toutes matériellement liées à l'architrave continue qu'elles portent, et elles sont liées les unes aux autres par cet effort collectif de soutien de la masse matérielle du haut du bâtiment. Dans le cas du Parthénon, l'existence d'un vaste emmarchement conduisant au bâtiment et la vue oblique privilégiée de son accès amplifie cette vision de l'effort de soutien collectif produit par les colonnes.

Du point de vue de l'évolution ontologique on peut remarquer que cet effet de lié/indépendant implique un renforcement de l'affirmation de l'individualisation des différentes parties matérielles de l'architecture et un renforcement simultané de l'affirmation de leur rassemblement en une unité matérielle collective. Au Parthénon ces deux aspects se réalisent de façons encore autonomes l'une de l'autre : le premier s'exprime dans l'affirmation individuelle des colonnes en partie basse du bâtiment, le second, celui de l'affirmation de groupe, s'exprime dans le bloc unitaire que forment très visiblement ses parties hautes ([2]).

Plus que l'évolution du temple dorique, c'est toutefois l'assemblage des différents bâtiments d'un même site et l'assemblage des différents corps de bâtiments utilisant le style ionique qui révèlent le mieux l'évolution de la troisième étape.

Pour ce qui concerne d'abord l'assemblage entre eux de divers bâtiments, il n'est pas de meilleur exemple que les constructions réalisées à l'époque classique sur l'Acropole d'Athènes. Après la symétrie du porche des Propylées, les divers corps de bâtiments s'enchaînent en se déhanchant de façon très dissymétrique, à commencer par les bâtiments situés de part et d'autre de l'escalier d'accès : deux minces bâtiments du côté droit, un large bâtiment du côté gauche. Il est notamment remarquable que, en remplacement de l'ancien temple situé vers le milieu du plateau de l'acropole, les deux nouveaux, le Parthénon et l'Érechthéion, très dissemblables en tailles et en styles, ont été construits de part et d'autre de ce plateau afin d'en accuser la dissymétrie d'ensemble. Toutes les constructions qui s'agglomèrent sur ce site sont donc très indépendantes les unes des autres par leurs dimensions, leurs formes et leurs orientations, ce qui correspond bien sûr à un effet de lié/indépendant.

 



 

À gauche, vue d'ensemble de l'Acropole d'Athènes, en Grèce, à la fin du Ve siècle avant notre ère.  Ci-dessus, le temple funéraire d’Aménophis III à Thèbes, en Égypte (1386 à 1349 avant notre ère)

Sources des images : https://jeanclaudegolvin.com/project/grece/ et https://jeanclaudegolvin.com/project/egypte/

 

 

Il est particulièrement éclairant de constater que cet effet s'exprime différemment selon la filière de civilisation concernée. Ainsi, pour la phase totémique, on avait envisagé le temple funéraire d’Aménophis III qui correspondait à la même troisième étape d'une phase correspondant aussi à la construction progressive du caractère global des divers aspects matériels. À cette étape l'effet de lié/indépendant était également essentiel, et la plupart des autres effets plastiques étaient également les mêmes que ceux de l'architecture grecque de l'époque classique. Dans la phase totémique de l'Égypte, la notion d'esprit relevait encore du cas par cas et le caractère couplé de sa relation avec la notion de matière la cantonnait à accompagner celle-ci, ce qui, on l'a vu, correspondait aux différentes statues et étendards qui accompagnaient l'érection des masses matérielles des pylônes et le cheminement menant de l'un à l'autre. En Grèce, dans la phase naturaliste, la notion d'esprit a déjà acquis son caractère global et le caractère additif des deux notions implique davantage d'autonomie de l'une par rapport à l'autre, et pour cette raison la notion de matière peut et doit affirmer violemment sa différence avec la notion d'esprit qui dispose du type 1/x, c'est-à-dire qu'elle doit affirmer violemment qu'elle fonctionne toujours au cas par cas et que ses divers aspects ne s'ajoutent toujours qu'en 1+1, d'où l'indépendance exacerbée de l'aspect, de la dimension et de l'orientation des différents bâtiments de l'acropole afin qu'aucun caractère unitaire d'ensemble ne puisse apparaître sans cet ensemble matériel de constructions. Par différence, rien n'empêchait les divers pylônes se succédant en 1+1 dans le temple d’Aménophis III de se ressembler fortement, d'autant que cela permettait de suggérer qu'ils relevaient déjà presque du type 1/x obtenu à l'étape juste suivante, tandis qu'il en faudra encore deux en Grèce classique.

Ces observations montrent que si l'évolution des effets plastiques double toujours de façon significative celle des différentes étapes et des différentes phases ontologiques, c'est toujours ces dernières qui expliquent principalement l'allure des différentes expressions plastiques à une époque donnée et dans une filière de civilisation donnée.

 

 

 


Deux reconstitutions de l'Érechthéion de l'Acropole et photographie de ses Cariatides (421 à 406 avant notre ère)

 

Sources des images : https://quod.lib.umich.edu/h/hiaaic/x-BF98A/BF98A, http://www.erechtheion.co.uk/index.php/reconstruction/erechtheion-architecture et https://www.wikiwand.com/fr/Cariatide

 

 



 

Pour ce qui concerne maintenant la décomposition d'une même construction en différents corps de bâtiments à la fois bien liés les uns aux autres et clairement indépendants les uns des autres, l'Érechthéion de l'Acropole marque une rupture encore plus claire par rapport à l'architecture des étapes précédentes que ne le fait le Parthénon. En effet, on a ici un corps de bâtiment principal auquel sont étroitement liés, puisque collés à lui, quatre portiques très indépendants les uns des autres, à la fois du fait de leurs positions bien écartées et du fait de leurs différences de hauteur, de niveau d'assise et d'aspects. Ainsi, à l'extrémité arrière du bâtiment principal, un portique s'écarte quelque peu de ce corps de bâtiment tout en se reliant à lui par sa toiture, à l'autre extrémité un portique moins haut est directement collé à son pignon, un portique plus profond s'oriente lui dans une direction complètement perpendiculaire, et enfin une petite aile de cariatides sans toiture, franchement décalée en hauteur, s'accole sur son autre côté.

Comme pour la disposition d'ensemble des bâtiments sur l'Acropole, on retrouve ici la volonté presque forcenée des différentes parties du bâtiment de ne pas donner l'impression que leur rassemblement génère une masse matérielle globale à l'aspect unitaire, et de suggérer au contraire qu'il n'est que le résultat de l'addition de 1+1 corps de bâtiments autonomes les uns par rapport aux autres. Toutefois, comme il convient pour cette phase ontologique, on y a aussi la forte impression que si l'on a affaire à des masses matérielles qui affirment chacune leur présence individuelle, on y a simultanément affaire à des masses matérielles qui affirment qu'elles sont en train de se regrouper, de s'ériger en groupe. Les cariatides résument à elles seules ce processus : il s'agit de six représentations de femmes bien autonomes les unes des autres, puisque bien séparées les unes des autres, mais simultanément bien décidées à affirmer leur rôle de soutien collectif à la corniche qui les regroupe et qui les tient ensemble par le dessus. C'est exactement ce que l'on avait dit des colonnes du Parthénon, et aussi de la raison de la modification de forme intervenue entre la période archaïque et la période classique concernant le fût et le chapiteau des colonnes doriques.

De l'Érechthéion on envisage maintenant les effets plastiques autres que celui de lié/indépendant, des effets que l'on a déjà rencontrés lors de l'analyse de l'évolution des chapiteaux ioniques à l'époque classique, notamment ceux très innovants de l'Érechthéion.

L'effet qui apparaît d'emblée est le rassemblé/séparé : les différents portiques sont à la fois bien séparés les uns des autres et tous rassemblés en accolement sur le même bâtiment principal. La forme se répand par un effet de synchronisé/incommensurable qui correspond à la capacité des différents portiques à se synchroniser pour se raccorder avec les faces du bâtiment principal tandis qu'ils partent vers des directions complètement différentes, et donc incommensurables entre elles. La forme s'organise en continu/coupé : l'ensemble du bâtiment est fait d'une masse matérielle continue divisée en multiples corps de bâtiments coupés les uns des autres, soit par leur décollement pour ce qui concerne les portiques d'extrémité, soit par leurs directions différentes pour ce qui concerne les portiques latéraux. Enfin, l'effet de lié/indépendant, déjà envisagé, résume les trois précédents ([3]).

 

 

La quatrième étape du naturalisme gréco-latin :

 



 

De gauche à droite, proposition de reconstitution du monument des Néréides à Xanthos, Turquie (vers 390 à 380 avant notre ère), et deux reconstitutions hypothétiques du mausolée d'Halicarnasse à Bodrum, Turquie (vers 355 à 340 avant notre ère)


 

 

Sources des images : http://ancientrome.ru/art/artworken/img.htm?id=3339, Art et archéologie de la Grèce (Éditions Könemann, 1999), et https://wikivisually.com/wiki/Mausoleum_at_Halicarnassus

 

 

 

Pour l'avant-dernière étape du naturalisme grec, deux bâtiments situés sur l'actuelle côte turque, alors site de colonies grecques : le monument des Néréides de Xanthos (vers 390 à 380 avant notre ère) dont la partie haute a été remontée au British Museum de Londres, et le mausolée d'Halicarnasse à Bodrum (vers 355 à 350 avant notre ère), frappé par de multiples tremblements de terre et dont il ne reste presque plus rien mais qui était considéré comme l'une des Sept Merveilles du Monde. Il en existe plusieurs tentatives de reconstructions, parfois très différentes dans le détail, mais toutes semblables pour ce qui concerne les particularités sur lesquelles on va s'appuyer. Comme le mausolée d'Halicarnasse, le monument des néréides possédait de grandes sculptures de personnages dressées entre ses colonnes et qu'il faut donc imaginer pour compléter son dessin.

Une caractéristique remarquable de ces deux bâtiments est que s'y superposent une partie basse fermée, pleine, et une partie haute largement ouverte sur l'extérieur par une colonnade périphérique. Cette division en deux parties, l'une fermée, l'autre ouverte, n'est pas sans rappeler la disposition des temples grecs et étrusques de la première étape, la différence étant que ces deux parties aux aspects si différents qu'elles s'ajoutent en 1+1 ne sont plus juxtaposées horizontalement l'une à côté de l'autre, mais se superposent ici verticalement. Cela est essentiel, puisqu'il est maintenant possible de lire le bâtiment comme formant une unité globale réunissant une base pleine et un sommet ouvert, et donc que ses deux parties s'ajoutant en 1+1 peuvent aussi bien se lire comme les deux parties d'un même volume, et donc en 1/x. Cette double lecture possible pourrait faire croire que l'on est arrivé à la dernière étape, mais, comme on l'a vu avec la maison carrée de Nîmes évoquée lors de la première étape, la dernière ne se contentera pas d'accoler ses différentes parties d'aspects contradictoires, elle les forcera à s'enfoncer complètement l'une dans l'autre afin qu'elles relèvent plus pleinement encore du type 1/x en plus du type 1+1. Ici, leur superposition verticale permet que chacune des deux parties de la matière du bâtiment exhibe séparément son originalité, et donc sa présence, tandis que cette exacte superposition permet simultanément qu'elles suggèrent aussi le regroupement de leurs matières, ce qui correspond au couple d'effets que l'on retrouve à toutes les étapes de la phase naturaliste.

 

À la quatrième étape, l'effet qui prend en charge la relation entre les deux notions est le même/différent : chacun des bâtiments contient dans un même volume matériel vertical deux parties que notre esprit reconnaît comme différentes dès lors que l'une a un aspect très fermé et que l'autre un aspect très ouvert.

Cet effet de même/différent est aussi celui qui est le plus immédiatement perceptible. La forme se répand par un effet d'intérieur/extérieur : la colonnade permet à l'extérieur de pénétrer dans la masse du bâtiment, et ainsi de différencier la partie haute de la partie basse. Elle s'organise par un effet d'un/multiple qui correspond à la lecture en 1/x dont on a montré l'importance. L'effet qui résume les trois précédents est celui de regroupement réussi/raté : les deux parties de chaque bâtiment ont réussi à se regrouper dans une continuité verticale, laquelle est ratée dans le cas du mausolée d'Halicarnasse du fait des décalages de plans qui rythment sa partie inférieure, et laquelle est ratée dans les deux cas à cause de la présence de la toiture et des sculptures en haut-relief qui ne s'accorde pas avec cette volumétrie verticale continue.

 

 

 


Monument de Lysicrate à Athènes, Grèce (335 à 334 avant notre ère)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fi/Lysikrateen_muistomerkki

 

 

Très rapidement, on évoque une construction beaucoup plus discrète, le monument que le chorège Lysicrate fit construire près de l'Acropole d'Athènes en 335/334 avant notre ère. Lui aussi se différencie verticalement entre une partie basse absolument pleine et une partie haute ceinturée par une colonnade, même si celle-ci ne donne qu'une illusion d'ouverture puisqu'elle est plaquée par-dessus un noyau plein. Cette fois, la différence entre les deux parties n'est donc pas principalement accusée par le contraste entre une partie fermée et une partie ouverte, mais par le contraste entre une base cubique et une partie haute cylindrique.

 

 

La cinquième et dernière étape du naturalisme en Grèce et dans la Rome antique :

 


Le Grand Autel de Pergame, Grèce Éolide, actuelle Turquie (vers 180 avant notre ère), transporté et reconstruit dans un musée de Berlin

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Grand_autel_de_Pergame

 

 


Maquette du Grand Autel de Pergame

 

Source de l'image : https://www.pinterest.fr/pin/316166836309997100/

 

 

Le Grand Autel de Pergame, en Éolide, construit vers 180 avant notre ère, a été transporté et reconstruit dans un musée de Berlin, en Allemagne.

Fondamentalement, l'accès de ce bâtiment est constitué de l'imbrication d'un grand U creux et du plan continu en pente d'un grand escalier. Ce plan en biais ne peut être lu en même temps que le creux en U généré par l'étage à colonnade et par son socle garni d'une bande sculptée continue, de telle sorte que ces deux formes très différentes et aux lectures nécessairement autonomes s'ajoutent en 1+1. Leur raccordement sur le palier du haut de l'escalier, l'encerclement de tout le bâtiment par le bas de cet escalier ainsi que le caractère symétrique de l'ensemble, impliquent toutefois que la construction apparaît simultanément comme formant un grand bloc unitaire divisé en multiples parties : l'escalier, une bande formant socle, une frise sculptée surmontant ce socle, et une galerie à colonnades couronnant cette frise. La lecture en 1+1 se combine donc ici avec une lecture en 1/x.

À la cinquième et dernière étape, l'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est l'intérieur/extérieur : lorsqu'on est sur l'escalier d'accès on est encore à l'extérieur de la matière du bâtiment puisqu'on n'est pas encore parvenu jusqu'à son entrée, mais pour notre esprit on est à l'intérieur de son grand creux en forme de U, on y est donc simultanément à son extérieur et à son intérieur. Sa partie haute se sépare d'ailleurs en deux parties, cet U largement traversé par l'extérieur et une cour extérieure fermée à l'intériorité très affirmée. Sur tout l'étage, les colonnades dont notre esprit lit les tracés verticaux du bout des yeux génèrent des portiques qui laissent largement pénétrer l'extérieur à l'intérieur de la masse matérielle du bâtiment.

À l'étape précédente, on avait prévenu que la dernière étape se manifesterait par une imbrication des deux parties distinctes composant le bâtiment au lieu de leur simple addition côte à côte. Le remplacement de l'effet de même/différent par celui d'intérieur/extérieur illustre cette évolution, ici par l'imbrication de l'extérieur des emmarchements et de l'intérieur du U pour remplacer la simple superposition d'une partie pleine et d'une partie à colonnade de l'étape précédente.

Concernant l'autre effet important à cette étape, celui de fait/défait, on peut remarquer que l'escalier d'accès dissimule une bonne partie du volume des ailes du bâtiment, et défait donc leur visibilité tout en forçant à tronçonner leur frise sculptée, c'est-à-dire à la détruire localement.

 

 

 


Vue écorchée de l'Ara Pacis de Rome (13 à 9 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://diariodibordomarcovignaroli.com/ara-pacisdomenicalmuseo/

 

 

À la demande de l'empereur Auguste, l'Ara Pacis construit à Rome de 13 à 9 avant notre ère reprend en partie la disposition du Grand Autel de Pergame tout en y enrichissant l'effet d'intérieur/extérieur : la montée de l'escalier mène également jusqu'à l'intérieur d'un U, mais l'extérieur de cette construction est alors à l'intérieur d'une grande pièce carrée, un intérieur qui a d'ailleurs lui-même un caractère extérieur très prononcé puisqu'il ne dispose pas de toiture et qu'il est largement ouvert sur l'extérieur sur deux côtés. Une partie des murs a été omise sur la vue dessinée que l'on en donne afin que l'intérieur du bâtiment soit visible, mais dans la réalité la présence de ces murs est ce qui procure le puissant effet d'intériorité que l'on a décrit. Simultanément, ces murs défont la bonne visibilité de la disposition d'ensemble du bâtiment et de la continuité entre l'extérieur et son intérieur, ce qui relève donc aussi d'un effet de fait/défait.

 

 

 


Reconstitution graphique du temple d'Hercule Victorieux à Tivoli, Italie (vers 80 à 50 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://i.pinimg.com/originals/f4/74/59/f47459b1276b6655c316d1732e8b3f3c.jpg

 

 

Une disposition assez couramment utilisée dans la Rome antique consistait à pousser le volume d'un temple jusqu'à l'acculer contre une autre construction en forme de grand U, ou en forme de rectangle. Ainsi, dans le temple d'Hercule Victorieux construit à Tivoli vers 80 à 50 avant notre ère, l'arrière du temple vient buter contre le fond d'un grand U.

 

 


 

Reconstitution graphique et par maquette du Forum d'Auguste à Rome, Italie (2 AEC)

Sources des images : https://julioclaudiens.wordpress.com/forum-auguste/ et https://www.wikiwand.com/fr/Ara_Pacis


 

Pour finir, nous allons envisager le Forum d'Auguste à Rome, construit en l'an 2 avant notre ère, sachant qu'il côtoie le Forum de Jules César construit en 46 avant notre ère et celui de Nerva construit en 97 après notre ère, et que ces trois forums ont des dispositions très similaires. Ce temple se présente comme un volume rectangulaire entouré par une colonnade continue, laquelle s'avance longuement à l'intérieur d'une cour fermée également rectangulaire tandis que son arrière vient buter contre un très haut mur interrompant brutalement sa colonnade.

Pour percevoir ce lieu, il faut prendre en compte à la fois le creux que forment les bâtiments qui cernent la cour et le volume saillant du temple qui s'avance agressivement à son intérieur. Percevoir simultanément un creux et un plein n'est pas possible pour notre perception, d'autant plus lorsque ces formes contraires se superposent au même endroit, ce qui implique que, pour notre perception, elles ne peuvent que s'ajouter en 1+1 formes incompatibles. Dans le même temps cependant, il apparaît clairement que le temple rectangulaire à colonnades s'emboîte exactement à l'intérieur du volume rectangulaire creux qui l'entoure, et le caractère symétrique de l'ensemble s'ajoute à cet effet d'emboîtements réciproques pour qu'on lise inévitablement que la forme du temple et celle de sa cour constituent un couple de deux formes qui se répondent autant qu'elles se font contraste, et donc un couple de deux formes complémentaires, ce qui relève du type 1/x.

De façon très évidente, l'ensemble de cette disposition est dominé par l'effet d'intérieur/extérieur qui, à cette étape, prend en charge la relation entre les deux notions : notre esprit relève que l'extérieur de ce temple est matériellement à l'intérieur de l'enveloppement procuré par la cour rectangulaire qui le cerne, tandis que les colonnades dont notre esprit suit des yeux les trajets verticaux introduisent l'extérieur à l'intérieur de la masse matérielle du temple et des bâtiments qui cernent la cour.

L'effet qui apparaît d'emblée est aussi celui d'intérieur/extérieur : comme l'arrière du temple bute directement contre un côté du rectangle de la cour, le périmètre de ce rectangle creux ne fait que prolonger la colonnade et le soubassement du temple, de telle sorte que c'est la même surface verticale qui se déplie en continu et qui acquiert, selon l'endroit où on la considère, le caractère d'une paroi intérieure ou celui d'une paroi extérieure. La forme se répand par un effet d'un/multiple qui correspond à la lecture en 1/x que l'on a déjà envisagée. Elle s'organise en regroupement réussi/raté : le regroupement est celui de l'encastrement exactement symétrique du rectangle du temple dans le rectangle de la cour qui l'environne, un regroupement qui est raté puisque ces deux rectangles ont des dimensions différentes et des aspects différents, et aussi parce que l'un est convexe quand l'autre est concave. L'effet qui résume les trois précédents est celui de fait/défait : l'impression d'être à l'intérieur du creux fait par les bâtiments qui cernent la cour est défait par la présence du temple qui gêne la perception de ce creux et qui, de plus, nous oblige à nous ressentir face à un volume convexe et non l'intérieur d'un creux concave. Cet effet est d'autant plus présent que l'arrière du temple vient buter contre l'un des côtés de sa cour, ce qui, comme on l'a déjà dit, implique que c'est la même paroi continue qui défait à certains endroits l'effet de creux qu'elle participe à faire ailleurs.

 

On peut signaler que certains temples ont des configurations similaires sauf qu'ils ne butent pas à leur arrière sur l'un des côtés de leur cour, ce qui permet une lecture plus limpide des volumes mais affaiblit un peu la force des effets que l'on vient d'envisager. Ainsi, on peut citer le sanctuaire d'Asclépios, sur l'île de Kos (vers 300 à 250 avant notre ère, complété pour l'essentiel vers 200 à 150 avant notre ère), près de l'actuelle côte turque, dont le rectangle qui entoure le temple est découpé en deux tronçons pour s'adapter à la pente du terrain. On peut aussi citer le temple de Gabii, en Italie (vers 150 à 100 avant notre ère), dont la disposition d'ensemble rappelle beaucoup celle du temple d'Hercule Victorieux à Tivoli dont on a donné une représentation, à la différence que son temple ne vient pas buter à l'arrière sur le U qui l'entoure mais en est franchement dégagé.

On rappelle enfin que, à l'occasion de la première étape, on l'a donné l'exemple de la Maison Carrée de Nîmes qui correspond également à la dernière étape du naturalisme dans la filière gréco-latine. Elle-même se trouvait initialement à l'intérieur d'une cour rectangulaire cernée par un portique, et presque accolée à son arrière à l'un des petits côtés de cette cour qui avait dû être un peu creusé pour en décoller le temple.

 

> Suite du Chapitre 17


[1]Les étapes correspondant à la phase naturaliste/animisme sont repérées sur le site Quatuor de C0-21 à C0-30. On peut trouver les œuvres qui y correspondent à l'adresse http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0100.htm pour la filière occidentale, http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0500.htm pour la Chine, http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0400.htm pour l'Égypte,  http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0200.htm pour la Mésopotamie jusqu'à la Perse achéménide et http://www.quatuor.org/art_histoire_c00_0800.htm pour la Méso-Amérique

[2]Sur le site Quatuor, on trouvera une analyse complète des effets plastiques produits par le Parthénon d'Athènes, à l'adresse : http://www.quatuor.org/Init43cadrant.htm

[3]Sur le site Quatuor, à l'adresse http://www.quatuor.org/art_histoire_c23_0102c.htm, on trouvera une analyse plus complète des effets plastiques de l'Érechthéion, et une analyse de ceux du temple d'Athéna Niké à l'adresse http://www.quatuor.org/art_histoire_c23_0103c.htm