Chapitre 15

 

DU MAGDALÉNIEN FINAL

au

DÉBUT DU BRONZE

 

 

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15.0.  La phase de 2d confrontation au cas par cas du cycle matière/esprit :

 

Pendant la phase d'émergence (chapitre 14.0.1), les notions de matière et d'esprit se sont progressivement séparées, c'est-à-dire qu'il est finalement devenu clair pour les humains de l'époque qu'elles ne correspondaient pas aux mêmes choses et qu'il fallait les considérer séparément. Il n'était pas encore question de les penser comme des notions inverses et complémentaires, seulement d'estimer qu'il s'agissait de notions distinctes, séparées. Elles n'étaient pas encore pensées non plus comme des notions globales pouvant recevoir un nom, tel que « matière » pour l'une, « esprit » pour l'autre. Il s'agissait seulement de prendre en compte l'existence de différences constatées au cas par cas entre un aspect s'apparentant à de la matière et un aspect s'apparentant à l'esprit. Pour ne pas oublier que matière et esprit n'étaient pas encore ressentis ou pensés comme des notions globales, plutôt que de parler de notions, on dira plutôt qu'il s'agissait d'aspects matériels et d'aspects liés à l'esprit. L'absence de traces préhistoriques suffisantes ne nous a pas permis d'envisager l'évolution de cette phase d'émergence mais, si l'on suppose qu'elle a évolué de façon analogue à la phase d'émergence du cycle produit-fabriqué/intention, nous devons conclure qu'ont été éliminés à son issue les cas de figure dans lesquels la matière et l'esprit sont du même type, soit tous les deux du type 1+1, soit tous les deux du type 1/x, et que ne posaient encore problème que les cas de confrontation dans lesquelles l'aspect matériel et l'aspect lié à l'esprit étaient de types opposés.

Au début de la phase suivante, celle de 1re confrontation (chapitres 14.1 et 14.2), les aspects matériels et les aspects liés à l'esprit étaient d'emblée considérés comme des aspects distincts, séparés, et d'emblée il fallait décider de quelle façon les confronter : soit on posait qu'il s'agissait d'un couple d'aspects, soit on posait qu'il s'agissait d'un aspect qui s'ajoutait à un autre. Dans le premier cas, on considérait que l'on avait affaire à une relation en 1/x de deux aspects couplés, dans le second cas à une addition en 1+1 des deux notions, c'est-à-dire à une relation de nature additive.

Au chapitre 14.1 la sculpture nous a montré l'évolution des aspects couplés pendant la phase de 1re confrontation. Puisqu'ils étaient en couple, ils étaient nécessairement en relation l'un avec l'autre dès le début de cette phase, et leur évolution a consisté à les distinguer de plus en plus fortement à l'intérieur de ce couple, à faire sortir de plus en plus fortement leurs différences. Pour sa part, au chapitre 14.2, la peinture pariétale nous a montré l'évolution des aspects en situation additive. N'étant pas en couple mais seulement additionnés l'un à l'autre, il y avait une difficulté inhérente à cette situation pour les mettre en relation, c'est-à-dire pour les faire réagir l'un avec l'autre. Le but de la phase de 1re confrontation a précisément consisté à réussir à lire également en 1/x l'aspect qui relevait du type 1+1, ce qui a permis d'avoir les deux aspects relevant du type 1/x et ainsi de les mettre en relation. Comme l'un des aspects relevait alors seulement du type 1/x tandis que l'autre relevait également du type 1+1, leur différence fondamentale restait bien établie, et l'on disposait donc de deux aspects à la fois en relation et clairement différents l'un de l'autre, ce qui ramenait à la même situation que celle de la sculpture à l'issue de la même phase de 1re confrontation.

 

À son début, la phase de 2d confrontation hérite des relations au cas par cas résultant de la phase précédente, ce qui recouvre deux éventualités : soit l'aspect relevant de l'esprit est du type 1/x et il est en relation avec plusieurs aspects concernant la matière s'ajoutant en 1+1, soit l'aspect relevant de la matière est du type 1/x et il est en relation avec plusieurs aspects relevant de l'esprit s'ajoutant en 1+1. Ces deux cas de figure sont schématisés dans les croquis suivants, les aspects relevant de l'esprit y sont en blanc, et en noir ceux relevant de la matière.

 

 Ontologie matière/esprit à l'issue de la phase de 1re confrontation :

 

 


 

 répété 1+1 fois au cas par cas

 

 et


 

 répété 1+1 fois au cas par cas

 

 

Dans chaque dessin, les longs traits latéraux servent à relier les deux aspects, et donc à montrer qu'ils sont en relation, tandis que leur très grande longueur sert à montrer qu'ils sont les plus éloignés possible les uns des autres, c'est-à-dire les plus différents les uns des autres qu'il soit possible. Ce qui est strictement le résultat de la phase de 1re confrontation.

 

La nouvelle phase ne peut certainement pas servir à augmenter la différence entre les deux aspects puisque cette différence, du moins au cas par cas, est déjà à son maximum à l'issue de la phase précédente, mais ces schémas montrent comment la situation peut être améliorée : puisque l'un des deux aspects est du type 1/x, il dispose d'une propriété de compacité dont il peut faire profiter celui du type 1+1. En effet, comme ce deuxième aspect n'est pas stabilisé par une propriété de compacité il reste vulnérable, ses divers composants pouvant se séparer, ou bien être remplacés par des aspects plus ou moins analogues mais cependant différents, et d'autres aspects non envisagés au départ peuvent aussi s'y amalgamer puisqu'il reste un pôle fondamentalement ouvert.

Pour corriger cette faiblesse, le but de la nouvelle phase ontologique sera donc de faire en sorte que chaque relation entre la matière et l'esprit acquiert un caractère compact, fermé, clos sur lui-même, même si elle n'est encore envisagée qu'au cas par cas et qu'elle ne concerne que des aspects restreints de ces notions puisqu'elles ne sont pas encore globales. Il importe toutefois que, dans chacune des relations partielles et closes à acquérir, l'aspect qui se rapporte à la matière reste clairement différent de celui qui se rapporte à l'esprit, et à ce stade c'est encore le type 1/x de l'un et 1+1 de l'autre qui permettra le mieux de les différencier, de telle sorte qu'il n'est pas encore question de renoncer à cette différence de type. Pour l'aspect qui dispose du type 1/x aucune modification n'est à envisager puisqu'il contribue à la compacité de la relation que l'on cherche à obtenir. En revanche, celui qui dispose du type 1+1 doit être amélioré puisque c'est lui qui est la cause du manque de stabilité de la relation, mais il importe que son amélioration se fasse sans regrouper ses 1+1 aspects dans une unité plus haute, car cela leur procurerait un caractère 1/x qui ferait disparaître la différence entre les aspects relevant de la matière et ceux relevant de l'esprit.

 

Pour aider à comprendre comment on peut faire « un ensemble » sans faire pour autant « une unité », on illustre de façon schématique cette différence par la différence entre les rayons d'une roue de bicyclette et les billes à l'intérieur d'un paquet de billes.

Dans une roue de bicyclette, les rayons convergent dans son moyeu qui les tient ensemble, ce qui permet de dire, d'une part qu'il y a de multiples rayons, d'autre part que tous ces rayons forment ensemble un unique rayonnement à partir de leur centre commun. Par différence, dans un sac de billes, bien que semblables les billes s'ajoutent les unes à côté des autres en 1+1 sans rien faire ensemble, c'est seulement le sac qui les regroupe en paquet qui permet de les tenir fermement ensemble, c'est-à-dire qui leur permet de former un groupe compact et stable.

 

 


 


 

 

 

représentation schématique d'une unité du type 1/x :  une roue de bicyclette dans laquelle les rayons se lisent comme les multiples parties d'un rayonnement qu'ils effectuent ensemble et qui les rassemble

 

représentation schématique d'un groupe compact du type 1+1 : un sac de 1+1 billes dans lequel les billes ne font rien qui puisse  se lire à une échelle plus haute en dehors de leur aspect de paquet, et qui ne tiennent ensemble que grâce au sac qui les contient

 

 

Dans toutes les expressions de la phase de 2d confrontation, nous verrons précisément une modification de la notion relevant du type 1+1 qui lui permettra d'acquérir un lien « du type paquet de billes Â» par lequel ses 1+1 aspects pourront désormais tenir bien groupés sans pour autant acquérir un caractère 1/x, cela afin de gagner en compacité tout en restant bien différenciée de la notion qui possédait ce type au départ de la phase. On peut résumer schématiquement les deux relations possibles à la fin de la phase de 2d confrontation, selon que le type 1/x concerne l'esprit ou qu'il concerne la matière, dans les deux cas ces relations étant closes sur elles-mêmes et bien compactes :

 

 Ontologie matière/esprit à l'issue de la phase de 2d confrontation (1re approche) :

 

 


 

répété 1+1 fois au cas par cas

 

et


 

répété 1+1 fois au cas par cas

 

 

On a précisé qu'il s'agissait d'une première approche, car ce schéma va être perturbé par sa finalité même. En effet, dans une telle relation asymétrique les deux aspects n'ont pas la même utilité : celui qui dispose du type 1/x servira de noyau sur lequel se greffera le groupe des aspects 1+1, il sera la charpente sur laquelle se construira une unité compacte rassemblant un aspect matériel et un aspect relevant de l'esprit. Or, si l'un des deux aspects doit être utilisé au cas par cas comme point d'appui pour construire une relation, il ne sera pas commode d'en changer à chaque fois qu'un nouveau cas de figure se rencontrera. Sans doute, dans toute société il existe des personnes capables d'une telle gymnastique mentale, mais il est toutefois inévitable que se décide progressivement, à l'échelle d'une société, le choix de s'appuyer préférentiellement, à chaque fois que l'on rencontre un nouveau cas de figure, soit sur l'aspect qui relève de la matière, soit sur l'aspect qui relève de l'esprit. Et une fois que l'on s'est habitué à s'appuyer sur un aspect plutôt que sur l'autre, il n'y a plus de raison d'en changer, toute la société se met désormais à penser et à ressentir comme si cela allait de soi.

Si, au début de la phase de 2d confrontation, une société opte pour s'appuyer sur l'aspect 1/x de la matière, alors on dira qu'elle relève de la filière animiste puisque la notion de matière y est du type 1/x tandis que la notion d'esprit y est du type 1+1. Comme l'une des phases suivantes sera précisément dénommée « animiste », on parlera seulement ici de filière pré-animiste. À l'inverse, si une société opte pour s'appuyer plutôt sur l'aspect 1/x de l'esprit, on dira qu'elle relève de la filière pré-naturalise. Il y a donc là une sorte de rupture de symétrie dans les sociétés humaines, certaines optant pour la filière pré-animiste, d'autres pour la filière pré-naturaliste, mais on verra plus tard que l'option prise au moment de la phase de 2d confrontation n'est pas définitive puisque certaines sociétés en changeront lors de la phase analogiste, et cela pour des raisons bien précises que l'on envisagera le moment venu.

 

  Ontologie matière/esprit au début de la phase de 2d confrontation :

 

 

- option pré-animiste :


 

répété 1+1 fois au cas par cas

   et

 

 

- option pré-naturaliste  :


 

répété 1+1 fois au cas par cas

 

Dans la phase de 2d confrontation donc, dès le départ ou presque, un choix se fait entre la filière pré-animiste et la filière pré-naturaliste, ce qui implique que, selon ce choix de filière, seul l'un des deux types de relations closes sera obtenu à la fin de la phase. Ce qui amène à remplacer le « schéma de première approche » donné précédemment par le suivant :

 

  Ontologie matière/esprit à l'issue de la phase de 2d confrontation :

 

 

- option pré-animiste :

 

 

répété 1+1 fois au cas par cas

   ou

 

 

- option pré-naturaliste  :

 

 

répété 1+1 fois au cas par cas

 

Si la séparation de la filière animiste et de la filière naturaliste apparaît à l'occasion de la phase de 2d confrontation, à l'inverse les notions de relations « couplées » ou « additives » disparaissent puisqu'elles n'ont plus de sens, toutes les relations ayant acquis le caractère « couplé » à l'issue de la phase précédente.

Dans la phase de 1re confrontation, l'alternative couplée ou additive avait motivé une division entre sculpture et peinture pariétale. Naturellement, cette division disparaît dans la nouvelle phase ontologique, mais les différentes formes d'art y correspondront toutefois à des relations chaque fois particulières entre la matière et l'esprit :

 - L'architecture fait son apparition, du moins à partir de la deuxième étape de la phase de 2d confrontation. Avec l'architecture, comme on l'a longuement considéré dans les dernières phases de l'ontologie matière/esprit, on est fondamentalement dans le domaine de la matière, même s'il s'agit toujours d'une matière mise en forme par l'esprit car, indépendamment de sa mise en forme plastique décidée par l'esprit de l'architecte, elle remplit des fonctions matérielles d'abri, de cloisonnement et de microclimat qui sont utiles à l'activité humaine.

 - Par différence, la peinture est un domaine qui relève fondamentalement de l'esprit puisque les réalités qui y sont représentées ne sont pas à prendre au pied de la lettre, c'est-à-dire pour leur stricte matérialité de peinture, mais pour la réalité imaginaire suggérée par cette peinture.

 - À cheval entre l'architecture et la peinture, la sculpture relève à la fois et à parts égales de la matière et de l'esprit puisqu'il s'agit d'une matière qui est façonnée par l'esprit. Une matière qui n'aurait aucune utilité si l'esprit ne l'avait pas mise en forme, contrairement à l'architecture qui a une utilité matérielle même si l'esprit ne se donne aucun mal pour mettre en forme son aspect.

 

Dans la phase précédente, on avait observé l'existence de deux niveaux d'énergie dans les effets plastiques correspondant aux paradoxes dits « de transformation ontologique » (colonnes de gauche du tableau de l'évolution des effets plastiques en annexe).

Dans la phase de 2d confrontation s'ajoute un troisième effet de transformation ontologique, ce qui va transformer fondamentalement la fonction de ces effets. Leur énergie est toujours croissante, le premier étant le moins énergique et le dernier le plus énergique, mais désormais cet aspect est supplanté par leur rôle spécifique : le premier prend en charge ce qui se passe au niveau de la matière, le second ce qui se passe au niveau de l'esprit, et le troisième rend spécialement compte de la relation existant à une étape particulière entre la notion de matière et la notion d'esprit.

Outre les trois effets correspondant à des paradoxes de transformation, c'est-à-dire qui indiquent comment se transforme séparément la notion de matière et la notion d'esprit au cours d'une phase, il existe toujours les quatre effets correspondant aux paradoxes dits « d'état », lesquels indiquent de façon plus globale l'état de la situation à chacune des étapes. À partir des ontologies « super », donc à partir de la Renaissance pour ce qui concerne l'Occident, l'un de ces paradoxes devient dominant et suffit généralement pour représenter les trois autres, mais avant d'en arriver là ces quatre effets ont des rôles plus égalitaires, même s'ils ne sont pas identiques. Pour ne pas compliquer les analyses on n'en a pas fait état dans la phase de 1re confrontation, mais, comme l'évolution qui se produit dans la phase de 2d confrontation est assez simple à comprendre, on envisagera maintenant leurs rôles spécifiques, lesquels sont comme suit : le premier effet indique l'effet global immédiat produit par l'œuvre, le deuxième indique comment les effets plastiques s'y répandent, le troisième indique comment ils s'organisent à l'intérieur de la surface ou du volume de l'œuvre, et le quatrième, enfin, résume les trois précédents.

 

Pour cette phase de 2d confrontation on traitera séparément l'évolution de son architecture, puis celle de sa sculpture, puis celle de sa peinture et de sa gravure. Par souci de brièveté, on n'envisagera qu'un minimum d'œuvres par filière et par étape, même si cela est un peu frustrant du fait de la diversité des civilisations correspondant à chaque filière et de la diversité des œuvres qui y correspondent.

La deuxième étape de la phase de 2d confrontation correspond au début du néolithique. On peut penser que, pour enclencher la domestication progressive des animaux et des plantes qui correspond à la civilisation néolithique, celle-ci avait besoin des clarifications apportées par la phase paléolithique précédente concernant la relation entre la matière et l'esprit, et concernant aussi les différences de capacités entre l'esprit des animaux et celui des humains, des différences qui ont pu servir de justification à la sujétion des animaux impliquée par l'élevage. Le fait que l'architecture tout comme la civilisation néolithique ne commencent qu'à la deuxième étape de cette phase laisse penser que sa première étape pourrait jouer un rôle particulier de transition avec la phase précédente, comme pour mieux la parachever, mais je ne suis pas parvenu à saisir l'utilité d'une telle transition qui reste donc une question en suspens, peut-être inutilement d'ailleurs.

Toujours dans un but de brièveté, on ne traitera pas systématiquement mais seulement occasionnellement des inévitables différences entre les expressions analytiques et les expressions synthétiques.

 

Chronologie approximative de la phase de 2d confrontation, valant pour l'ensemble des analyses : ([1])

–         la première étape de cette phase correspond à une période qui va environ de 12000 à 8000 avant notre ère, soit au magdalénien final et à l'azilien ;

–         la deuxième étape correspond au début du néolithique. En Occident, nous envisagerons des Å“uvres couvrant la période entre 8000 et 4000 avant notre ère, mais principalement entre 6000 et 4000. Au Moyen-Orient, nous envisagerons une période allant de 9600 à 5000 avant notre ère ;

–         la troisième étape correspond au néolithique final. En Occident, nous envisagerons la période entre 4000 et 3000 ans avant notre ère, en Mésopotamie entre 5000 et 3200 avant notre ère ;

–         la quatrième étape en Occident correspond à la période entre 3000 et 2500 ans avant notre ère, en Mésopotamie entre 3200 et 2200, et pour l'Égypte entre 3500 et 2600 avant notre ère ;

–         la cinquième étape en Occident va de 2500 à 1900 avant notre ère, en Mésopotamie de 2200 à 2000, en Égypte de 2600 à 2200, et pour la Chine nous prendrons en compte la période allant approximativement de 4000 à 2300 avant notre ère.

 

 

 

15.1.  Dans la phase de 2d confrontation au cas par cas du cycle matière/esprit, les quatre étapes de l'architecture pré-naturaliste :

 

15.1.1.  Généralités :

Cette phase comporte cinq étapes mais il n'y a pas signe de présence d'architecture à la première. Aux deux dernières, spécialement dans la filière pré-animiste, on ne manque pas d'exemples, mais ce n'est pas le cas pour les étapes antérieures où l'on devra parfois se contenter de maigres indices, voire de s'abstenir.

À l'issue de la phase précédente, les aspects matériels et les aspects qui relèvent de l'esprit ont été mis en relation. Même si l'architecture nous place dans le domaine de la matière, celle-ci y est donc toujours nécessairement en relation avec l'esprit, sous-entendu l'esprit de son concepteur. Nous avons déjà envisagé les relations dissymétriques propres à l'architecture lors des phases « super », nous utiliserons ici la même méthode pour différencier ce qui relève de la matière et ce qui relève de l'esprit : à la matière, les effets de masse ou les aspects purement matériels du matériau utilisé pour la construction ; à l'esprit, les effets de régularité géométrique ou les effets par lesquels certaines parties du bâtiment cherchent à attirer spécialement l'attention de notre esprit.

 

15.1.2.  La deuxième étape de l'ontologie pré-naturaliste dans l'architecture :

 

La période allant de 5000 à 3800 environ avant notre ère a vu la construction de nombreux dolmens à couloir enveloppés dans des constructions en pierres sèches, soit laissées nus, tel qu'il en allait probablement pour le Cairn de Barnenez en Bretagne, soit recouvertes par un talus en terre, tel qu'il en allait pour le dolmen de Gavrinis, également en Bretagne, que nous allons prendre comme exemple représentatif de cette étape.

 



Gavrinis, France : axonométrie et vue intérieure du dolmen à couloir et de ses structures initialement enfouies sous terre

 

Source des images : http://www2.culture.gouv.fr
/culture/arcnat/megalithes/fr/mega/megagav.htm

 

 

 

Les parties apparentes de son architecture étaient, pour l'intérieur, une chambre terminale reliée à l'extérieur par une suite de grandes dalles latérales et de grandes dalles de plafond associées, pour l'extérieur, un talus probablement recouvert de végétation, l'entrée du couloir étant occupée par une structure légère en bois qui a été incendiée vers 3000 ans avant notre ère. Ce dolmen a été construit à la fin du 5e millénaire ou au début du 4e, soit vers 4000 ans avant notre ère. Les gravures des dalles, que nous étudierons plus loin en tant qu'expressions gravées de la deuxième étape, correspondent à des thèmes du 5e millénaire, ce qui contribue à le dater de cette période.

Puisqu'il s'agit d'une architecture, on est dans le domaine de la matière. Intérieurement, la chambre et son couloir sont constitués d'une addition de 1+1 travées de dalles alignées. Cette accumulation matérielle de dalles est par conséquent du type 1+1, tandis que l'esprit qui a conçu cet alignement géométriquement régulier divisé en multiples travées est du type 1/x. Extérieurement, le grand talus qui recouvrait la construction émergeait dans le paysage naturel dans lequel il s'ajoutait un peu comme une verrue, c'est-à-dire en +1. Ce type de construction, à l'aspect matériel du type 1+1 et de conception du type 1/x, correspond donc à une filière pré-naturaliste.

À la deuxième étape, l'effet qui porte la notion de matière est l'homogène/hétérogène : le couloir intérieur est matériellement obtenu par la répétition homogène de dalles imposant chacune l'hétérogénéité d'une coupure d'avec ses voisines ; extérieurement, la couverture matérielle du talus est traitée de façon homogène, mais elle génère l'hétérogénéité d'une butte dans le paysage alentour.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le rassemblé/séparé : l'esprit des concepteurs a rassemblé des dalles séparées pour en faire un couloir intérieur comprenant son sol, ses parois et son plafond.

C'est par un effet de continu/coupé que les deux notions sont mises en relation : le couloir est une construction matérielle continue dont notre esprit ne manque pas de repérer son découpage en multiples dalles indépendantes. L'émergence du talus recouvrant le dolmen résulte d'une forme en dôme matériellement continue avec le paysage environnant, mais impliquant que notre esprit repère la coupure de pente entre le sol environnant et le démarrage de sa butte.

L'effet d'ensemble/autonomie est celui qui s'impose globalement d'emblée. Il s'applique à l'intérieur du couloir où un effet d'enfilade d'ensemble est produit par une suite de dalles latérales et plafonnantes bien autonomes les unes des autres. Il s'applique aussi au rapport entre le couloir interne et la butte externe, tous deux ayant des aspects très autonomes mais formant ensemble le dispositif d'un dolmen à couloir. L'effet d'ouvert/fermé indique comment cela se répand : il résulte directement de la disposition du couloir qui bute d'un côté sur une chambre fermée et s'ouvre vers l'extérieur de l'autre côté. L'effet de ça se suit/sans se suivre a trait à l'organisation des effets selon les différentes directions : il concerne les dalles latérales qui se suivent en files continues mais se dressent verticalement les unes à côté des autres et ne se suivent donc pas dans cette direction-là ; il concerne aussi l'aspect du talus extérieur qui ne suit pas du tout l'aspect et la direction linéaire des structures en pierres qu'il recouvre mais qu'il suit pourtant puisqu'il les enveloppe. Un dernier effet résume les trois précédents, c'est l'homogène/hétérogène déjà envisagé.

 

 

15.1.3.  La troisième étape de l'ontologie pré-naturaliste dans l'architecture :

 

 


Les alignements de Carnac, Morbihan, France (vers 4000 à 3000 avant notre ère)

 

Source de l'image : http://chewalcourt.wordpress-hebergement.fr/2013/12/16/orientation-astronomique-et-geodesique-des-pierres-dressees/

 

 

Les alignements de Carnac, comme la plupart des alignements bretons, ont été construits dans une période qui est estimée entre 4000 et 3000 ans avant notre ère.

Mon intuition, mais cela ne vaut rien de plus qu'une intuition, est que chaque pierre était là pour correspondre à la présence d'un ancêtre. Quoi qu'il en soit, matériellement il s'agit de grosses pierres qui ont été ajoutées en 1+1 les unes à quelque distance des autres, ce qui correspond clairement à un aspect matériel du type 1+1. L'alignement de ces pierres construit une figure géométrique spécialement destinée à être lue par un esprit humain et relève donc du type 1/x : 1 alignement fait de multiples mégalithes. On est bien dans la filière pré-naturaliste.

Même s'il ne s'agit pas d'un lieu clos, au milieu de ces mégalithes il est évident qu'on est à l'intérieur d'un ensemble de matières, pas devant une représentation, ni devant une sculpture autour de laquelle on pourrait tourner : on est dans le domaine de l'architecture. À la troisième étape, c'est le rassemblé/séparé qui porte la notion de matière, et il va de soi que ces alignements rassemblent matériellement, en files continues, des pierres qui sont séparées les unes des autres.

La notion d'esprit est portée par un effet de synchronisé/incommensurable : la synchronisation est liée à la réussite de l'alignement des pierres et à la régularité de leurs espacements repérée par notre esprit, l'incommensurabilité est liée au gigantisme de ces alignements et au gigantisme des mégalithes qui rendent impossible leur perception d'ensemble par un esprit humain.

L'effet de lié/indépendant met en relation les deux notions : chacun des mégalithes est matériellement à distance des autres, et donc bien indépendant, mais dans notre esprit tous ceux qui appartiennent à une même file sont liés entre eux par leur participation à un même alignement.

L'effet de rassemblé/séparé se retrouve une seconde fois au titre de l'effet global qui se lit d'emblée. Le synchronisé/incommensurable, que l'on retrouve également, dit comment cela se répand : la synchronisation est celle du retour régulier des mégalithes séparés par des écarts assez réguliers, tandis que l'incommensurabilité est liée à la grande dimension de chacun des mégalithes, parfois de taille gigantesque, des dimensions qui apparaissent incommensurables avec les possibilités de transport d'un humain, et donc avec leur capacité à répandre de tels mégalithes en si longues files.

L'effet de continu/coupé qui décrit l'organisation des pierres sur l'ensemble de la surface est évident : on a affaire à une suite continue de mégalithes coupés les uns des autres par un écart, et en sens croisé les différentes lignes de mégalithes coupées les unes des autres se succèdent en continu. Déjà envisagé, l'effet de lié/indépendant résume les trois précédents.

 

 


Stonehenge, Phase I (2950 à 2900 avant notre ère)

 

Source de l'image : http://www.stone-circles.org.uk/stone/stonehenge.htm

 

 

Sur les territoires de l'actuelle Grande-Bretagne, plutôt que des lignes droites l'habitude était de réaliser des alignements formant des cercles, manifestant ainsi tout autant l'intervention de l'esprit humain sensible aux formes géométriques.

Dans sa première phase, datée d'environ 2950 à 2900 avant notre ère, le site de Stonehenge comportait un fossé circulaire dont le creusement a dégagé de la craie qui a été rabattue pour former une couronne en relief du côté intérieur à ce cercle. Plus à l'intérieur, cinquante-six trous ont été creusés, conventionnellement appelés « Aubrey Holes ». On a longtemps suspecté que des poteaux étaient fichés dans ces trous (reconstitution ci-dessus), mais des recherches récentes ont montré que les pierres bleues qui accompagnent maintenant les grands monolithes en grès sarsen du centre du site étaient initialement installées dans ces trous. Ces recherches ont aussi montré que, selon toute vraisemblance, ces pierres bleues étaient déjà organisées en un cercle de même disposition au Pays de Galles, à proximité de la carrière dont elles ont été extraites, cela vers 3300 avant notre ère et donc en grande contemporanéité avec les alignements de Carnac. Le déplacement de ce cercle du Pays de Galles à Stonehenge correspondrait alors à une migration des populations ayant érigé ce cercle puis emmené leur monument avec eux.

L'effet de rassemblé/séparé peut être ici décomposé en deux aspects. D'une part, la disposition de la butte circulaire et du fossé circulaire correspond à son expression synthétique, car on ne peut pas considérer la séparation de cette butte et du fossé sans considérer qu'ils se voisinent tout au long de leur parcours commun, et donc qu'ils sont rassemblés sur un même parcours. D'autre part, l'anneau des poteaux correspond à son expression analytique puisqu'on peut considérer séparément qu'ils sont écartés les uns des autres et qu'ensemble ils forment une figure circulaire.

Les autres effets s'analysent comme pour les alignements de Carnac, le gigantisme de la disposition (85 m de diamètre intérieur) jouant un rôle équivalant au gigantisme des mégalithes de Carnac et de leurs alignements pour ce qui concerne l'effet de synchronisé/incommensurable.

 

 

15.1.4.  La quatrième étape de l'ontologie pré-naturaliste dans l'architecture :

Cette étape, pour l'Occident, correspond approximativement à la période entre 3000 et 2500 ans avant notre ère. Aucune architecture de style bien repérable ne semble correspondre à cette période.

 

 

15.1.5.  La cinquième et dernière étape de l'ontologie pré-naturaliste dans l'architecture :

 

Elle nous ramène à Stonehenge, pour ce qu'il est convenu d'appeler sa phase III. Nous n'analysons pour correspondre à cette étape que le cercle extérieur de 30 monolithes en grès sarsen reliés par un linteau continu ainsi que le fer à cheval intérieur de trilithes, des dispositions qui ont été érigées environ en 2500 avant notre ère ([2]). Comme le montre la photographie du monument reconstitué à Maryhill aux États-Unis, ces cinq Trilithes, chacun formé de deux pierres verticales très rapprochées liées par un linteau, ont des hauteurs inégales, allant en décroissant depuis celui de l'axe vers ceux des extrémités du fer à cheval. Bien qu'elles ne figurent pas sur le croquis ci-dessous, les « pierres bleues Â» installées près de 500 ans plus tôt formaient en principe toujours le cercle que l'on a envisagé pour la deuxième étape, car ce n'est qu'à une date postérieure qu'elles ont été déplacées pour les réaménager en cercle et en fer à cheval entre les principaux mégalithes (voir chapitre 16.1.2, première étape de la phase totémique).

 



 

Stonehenge, Phase III (environ 2500 avant notre ère) : cercle de sarsens reliés par un linteau et fer à cheval de trilithes.

À gauche, reconstitution infographique, à droite, reconstitution en béton à Maryhill, États-Unis

 

Sources des images : http://marshscience6.blogspot.com/2015/10/stonehenge.html et http://www.columbiariverimages.com/Regions/Places/stonehenge.html

 

 

Ce nouvel aménagement doit bien sûr être envisagé en liaison avec le talus circulaire qui entourait toujours le site, de telle sorte que l'ensemble peut s'analyser comme trois ou quatre figures circulaires ou presque circulaires assemblées sur un même axe central. Leur réalisation matérielle se fait au moyen de matériaux très différents et très différemment utilisés : le talus forme un très grand cercle, probablement toujours accompagné du cercle des pierres bleues, l'anneau des sarsens forme un cercle beaucoup plus petit dans lequel les pierres sont reliées par un linteau continu, et la forme en fer à cheval est générée par l'addition de trilithes de hauteurs différentes mais toujours plus hauts que le cercle précédent, leurs linteaux étant discontinus puisque chacun ne relie des monolithes que deux à deux. Puisqu'elles sont très différentes les unes des autres et qu'elles ne font rien ensemble, on a donc affaire à 1+1 formes matérielles circulaires ou quasi circulaires.

Toutefois, et c'est là que l'on touche à l'aspect final de la phase ontologique, il est impossible de ne pas voir que ces formes sont rassemblées sur un même centre, qu'elles sont toutes liées les unes aux autres par le moyen de cet axe central dont la position n'est pas matériellement concrétisée mais dont l'existence suffit à faire tenir ensemble ces différentes formes matérielles circulaires ou quasi-circulaires malgré leur grand écartement et leurs grandes différences d'aspect, et donc à leur permettre de faire ensemble un groupe de formes centrées au même endroit. Si l'on revient au schéma donné au chapitre 15.0 pour caractériser un groupe qui par lui-même n'est pas une unité d'ordre supérieur aux parties qu'il rassemble, on peut dire que l'axe central non matérialisé de cette ronde commune est l'équivalent du sac de billes qui, par lui-même, n'appartient pas au groupe des billes qu'il rassemble, qui n'a pas lui-même la forme d'une grande bille dont les billes du paquet ne seraient que des parties, cela à la différence des rayons d'une roue de bicyclette qui sont autant de parties du grand rayonnement qu'elles forment toutes ensemble.

Si l'on considère maintenant spécialement les sarsens arrangés en cercle, ils s'ajoutent en 1+1 les uns à côté des autres tout comme les pierres bleues dans les Aubrey Holes de la phase I du site. Désormais toutefois, ils sont également liés par un linteau continu, et c'est ce linteau qui est cette fois l'équivalent du sac qui tient ensemble les billes d'un paquet de billes. Les trilithes du fer à cheval ne disposent pas d'une telle continuité de linteau pour les tenir ensemble, mais la présence du cercle continu de sarsens qui les enveloppe suffit à nous faire voir qu'ils sont empaquetés ensemble, tandis que la différence d'aspect entre la ronde continue très horizontale des sarsens et celle des jets verticaux des trilithes contribue à maintenir perceptible le caractère 1+1 de l'addition de ces deux ensembles disparates qui ne génèrent pas ensemble un groupe unifié de formes semblables.

Bien entendu, les aspects de cette architecture qui relèvent de l'esprit sont toujours du type 1/x : le cercle extérieur apparaît comme une forme géométrique en trois parties (fossé, talus et ronde de pierres bleues) générée par un esprit humain, tout comme la forme circulaire du linteau continu unique qui relie les multiples sarsens, tout comme la forme symétrique régulière du fer à cheval qui rassemble en elle de multiples trilithes, et tout comme la figure symétrique de chacun de ces trilithes qui regroupe à chaque fois trois pierres distinctes.

 

À la dernière étape, l'effet qui porte la notion de matérialité est le continu/coupé : il s'exprime de façon analytique dans le rond des sarsens, matériellement continu au niveau de son linteau mais découpé en étapes successives au niveau de ses pierres verticales, et d'autre part il s'exprime de façon synthétique dans le fer à cheval dont on ne peut pas saisir la continuité matérielle sans franchir les coupures qui séparent les trilithes les uns des autres, et aussi dans la continuité des formes circulaires ou quasi circulaires qui vont du fossé périphérique à la butte périphérique, puis au rond des pierres bleues, puis au rond des sarsens, puis enfin au fer à cheval des trilithes, des formes matérielles qui sont centrées au même endroit et dont on ne peut pas saisir la continuité sans s'affronter aux coupures qui les séparent.

La notion d'esprit est portée par un effet de lié/indépendant, car c'est notre esprit qui repère que les formes circulaires indépendantes sont toutes liées entre elles sur un même centre.

La relation entre les deux notions s'exprime par un effet d'intérieur/extérieur : notre esprit repère que l'extérieur de chacune des formes circulaires ou quasi-circulaires est matériellement situé à l'intérieur d'une forme similaire, sauf bien sûr le fossé puisqu'il est le plus extérieur.

L'effet global immédiatement perceptible est le fait/défait qui joue sur le contraste de formes qui se contrarient : le creux du fossé périphérique est défait par la butte qui l'accompagne, la continuité du linteau du cercle des sarsens est défaite par leur propre discontinuité, et défaite aussi par la discontinuité des trilithes du fer à cheval. L'effet de relié/détaché dit comment les formes se répandent : le fossé et le talus périphériques sont visuellement bien distincts l'un de l'autre tout en étant reliés en continu l'un à l'autre, les sarsens sont détachés les uns des autres mais reliés au niveau de leur linteau commun, tout comme il en va des pierres verticales formant chaque trilithe, et ces trilithes sont détachés les uns des autres tout en étant reliés à la forme en fer à cheval qu'ils génèrent ensemble. L'effet du centre/à la périphérie correspond à l'organisation d'ensemble des formes. Il a une expression analytique qui concerne le basculement visuel incessant que nous sommes amenés à faire entre le centre mégalithique et le talus circulaire en périphérie, et qui concerne également le basculement visuel incessant que nous sommes amenés à faire, dans la partie centrale du monument, entre les hauts trilithes du centre et la couronne de sarsens à leur périphérie. Il a également une expression synthétique puisque chaque sarsen vertical constitue un centre d'intérêt visuel qui est entouré de chaque côté, et donc sur toute sa périphérie, par des centres visuel semblables, et la même chose peut se dire pour les trilithes, sauf ceux en extrémité du fer à cheval. Enfin, l'effet d'entraîné/retenu qui résume les trois précédent joue sur le contraste entre la ligne circulaire du linteau continu des sarsens et l'érection verticale des trilithes voisins : lorsqu'on se laisse entraîner à lire une forme horizontale, on en est retenu par le jet vertical des trilithes, et inversement. Et la même chose vaut à plus grande échelle pour le balancement incessant entre la forme très horizontale du talus périphérique et l'érection verticale des trilithes centraux.

 

On donne deux autres exemples se rattachant à celui de Stonehenge mais qui, par différence, ont été entièrement réalisés en poteaux ou en palissades de bois.

 


 

Plan du site de Woodhenge, Angleterre, près de Stonehenge (vers 2300 avant notre ère)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Woodhenge


 

Reconstitution grandeur nature du site de Pömmelte, Allemagne (vers 2300 avant notre ère)

Source de l'image : https://www.nature.com/articles/d41586-018-05541-y

 

 



 

Deux exemples de reconstitution possible du site de Woodhenge

Sources des images : https://4artclass.weebly.com/stonehenge.html et https://www.olddutchspecials.com/woodhenge-is-an-ancient-sauna/

 

 

Le site de Woodhenge, à 3 km environ de Stonehenge, a été construit approximativement à la même époque que la phase III de celui-ci. Il était constitué de 6 ovales concentriques et, à leur périphérie, d'un fossé à fond plat lui-même cerné par un talus de même forme. Les poteaux du 3e ovale (en rouge sur le plan du site) étant nettement plus épais et plus profondément enfoncés que les autres, on peut penser qu'ils étaient également plus hauts. Comme il est impossible de savoir si ces poteaux étaient reliés par des linteaux ou s'ils servaient à porter une charpente et une couverture, on donne ci-dessus deux croquis figurant deux dispositions possibles. S'il s'agissait de poteaux isolés ou seulement reliés par des linteaux, on est ramené au principe de Stonehenge, à savoir celui de 1+1 ovales formant un groupe de formes tenues ensemble par leur rassemblement autour d'un axe central commun. S'ils portaient une charpente et une couverture, l'ovale des poteaux les plus hauts correspondait au faîtage et le bâtiment s'organisait autour d'une cour centrale (poteaux orangés sur le plan). La couverture à deux pentes s'enroulant en ovale étaient alors ce qui servait de « sac de bille Â» tenant ensemble les poteaux qui, sous elle, s'ajoutaient en 1+1 les uns à côté des autres sur 1+1 ovales emboîtés les uns dans les autres et de taille chaque fois différente.

Le site de Pömmelte en Allemagne, construit comme le précédent vers 2300 avant notre ère, comporte une succession de cercles emboîtés les uns dans les autres et tournant autour d'un même axe. Les uns correspondent à des palissades, les autres à des fossés ou à des talus, les autres encore à des poteaux. La reconstitution grandeur nature qui en a été faite, probablement en pensant au site de Stonehenge, suppose que les poteaux étaient reliés par des linteaux assez continus pour le cercle des poteaux extérieurs et très discontinus pour le cercle le plus intérieur, mais rien ne prouve qu'elle est fidèle sur ce point au site historique. Par contre, la différenciation entre les cercles de palissades et les cercles de poteaux écartés les uns des autres est conforme à ce que montrent les fouilles et permet d'affirmer que les différents cercles tournant autour du même centre étaient visuellement bien différenciés entre eux : palissade, puis fossé discontinu, puis butte, puis fossé continu, puis palissades, puis deux rangs de poteaux.

Dans cette construction de Pömmelte on retrouve le principe de la dernière étape de la phase ontologique dans sa filière pré-naturaliste : les enclos matériels s'échelonnent en 1+1 enclos très différents tournant autour d'un même centre, et ce centre est l'axe qui tient ensemble ces cercles disparates. Il est remarquable que ce centre ne soit pas formalisé, par exemple par une pierre ou par un poteau, car en effet le but de cette phase n'était pas que l'on puisse spécialement visualiser une unité d'ensemble matériellement présente rassemblant la matière de tous les poteaux, mais seulement que l'on puisse sentir qu'ils sont groupés, qu'ils sont tenus ensemble malgré le caractère discontinu de leur groupe de formes qui s'ajoutent à distance en 1+1.

 

 

 

15.2.  Dans la phase de 2d confrontation au cas par cas du cycle matière/esprit, les quatre étapes de l'architecture pré-animiste :

 

15.2.2.  La deuxième étape de l'ontologie pré-animiste dans l'architecture :

 




 

Göbekli Tepe, Turquie (vers 9500 avant notre ère) : reconstitutions et, au centre, détail d'un pilier anthropomorphe

 

Sources des images : http://thuykhue.canalblog.com/archives/2018/08/11/36620739.html, https://www.nationalgeographic.com/magazine/2011/06/gobeki-tepe/ et https://www.pinterest.com.au/pin/507077239277184359/?lp=true

 

Au sud-est de l'actuelle Turquie, le site de Göbekli Tepe est un ensemble d'enclos monumentaux datant de 9500 environ avant notre ère qui devait servir de lieu de réunion périodique à des populations de cueilleurs-chasseurs.

À première vue, avec ces formes circulaires emboîtées, on pourrait presque croire que l'on a affaire à une architecture analogue à celle de la dernière étape de la filière pré-naturaliste, mais ce serait négliger que nous sommes dans une filière différente. Dans la filière pré-animiste, la matière est d'emblée du type 1/x, et ces enclos ovoïdes, parfois emboîtés les uns dans les autres, parfois seulement divisés par de massifs piliers saillants répartis sur leur périphérie, expriment parfaitement le caractère 1/x de leur matière. La géométrie plus ou moins circulaire de l'ensemble ne correspond pas ici à une manifestation caractéristique de l'esprit, car sa lecture est empêchée par présence de ces piliers qui recoupent les murs. Ce sont les accidents visuels générés par la présence de ces piliers qui attirent l'attention de l'esprit, mais ils l'attirent sans générer aucune forme lisible à grande échelle et s'ajoutent seulement en 1+1, d'autant qu'ils sont disparates, les deux piliers principaux isolés au centre de l'enclos étant très différents des autres et ne s'inscrivant pas dans la figure rayonnante des piliers incorporés à la maçonnerie. Outre qu'ils attirent l'attention de l'esprit, ces piliers étaient aussi perçus comme des formes anthropomorphes schématiques, donc des symboles de l'esprit humain, comme le montre la photographie de l'un de ces piliers sur lequel on distingue la présence de bras se retournant en mains sur la tranche du pilier/statue et d'une ceinture horizontale qui en fait le tour. Quant à la tête horizontale en haut de ces piliers, il correspond précisément à la présence symbolique d'une tête humaine au-dessus de ces corps verticaux schématiques.

En résumé, on a ici des enclos de matière unitaires (1/x) confrontés à la présence visuelle de 1+1 marques de l'esprit attirant l'attention de notre esprit, on est donc dans la filière pré-animiste.

À la deuxième étape, tout comme dans la filière pré-naturaliste, l'effet qui porte la notion de matière est l'homogène/hétérogène : la maçonnerie de ces enclos forme des matérialités homogènes, mais différentes et donc hétérogènes entre elles, et elles se détachent brutalement dans le paysage alentour en y créant autant d'hétérogénéités.

L'effet de rassemblé/séparé porte la notion d'esprit : notre esprit rassemble visuellement les formes des piliers/statues séparés qui émergent des enclos.

L'effet de continu/coupé met les deux notions en relation : les enclos matériels forment des bandes continues de maçonnerie constamment coupées par la présence des piliers/statues qui attirent l'attention de notre esprit.

L'effet d'ensemble/autonomie perçu d'emblée s'exprime de multiples façons : lorsqu'ils sont concentriques, les différents enclos autonomes génèrent ensemble un empilement d'enclos ; les différents piliers inclus dans la maçonnerie et bien autonomes les uns des autres font ensemble un effet de rayonnement ; ils font aussi un effet de « poteaux saillants » qui est aussi commun aux deux piliers centraux qui sont très différents d'eux, et donc très autonomes d'eux ; enfin, l'effet d'ensemble de chaque bâtiment est obtenu par la combinaison de deux registres de formes très autonomes, celui des maçonneries horizontales ovoïdes continues et celui des piliers verticaux isolés. Les maçonneries forment des enclos fermés qui s'ouvrent sur le ciel, c'est un effet d'ouvert/fermé qui correspond à la façon dont l'architecture se répand dans l'espace. Son organisation est dominée par un effet de ça se suit/sans se suivre également lié à la présence des poteaux verticaux : ils suivent la maçonnerie horizontale des enclos puisqu'ils y sont adossés, mais ils ne la suivent pas puisqu'ils se dressent verticalement. Par ailleurs ils se suivent les uns derrière les autres lorsqu'on fait le tour de l'enclos, mais ils ne se suivent pas puisqu'ils sont tous dirigés de façon rayonnante vers le centre de l'enclos. L'effet qui résume les précédents est celui d'homogène/hétérogène, déjà envisagé.

 

 

15.1.3.  La troisième étape de l'ontologie pré-animiste dans l'architecture :

 

Nous allons en Mésopotamie, sur le site d'Eridu, avec une reconstitution informatique de son « temple Â» du niveau VII dont la construction daterait de 4800 à 4400 avant notre ère et correspond à l'une des phases finales de la Culture dite d'Obeïd en Mésopotamie (Obeïd 4). On ignore si ce bâtiment avait réellement une fonction de temple. Son aménagement intérieur comprend une très grande salle qui fait toute sa longueur et diverses pièces annexes, sans régularité de forme et enveloppant ses deux façades principales. Pour l'essentiel, cette disposition intérieure se reflète dans l'aspect extérieur du bâtiment qui a l'allure d'un gros bloc compact rectangulaire sur lequel s'agglomèrent diverses annexes de tailles et de formes irrégulières.

 


Culture d'Obeïd 4 en Mésopotamie, site d'Eridu, reconstitution du « Temple » du niveau VII (vers 4800 à 4400 avant notre ère)

 

Source de l'image :
https://fr.wikipedia.org/wiki
/Fichier:Eridu_temple_7.png


 

Plan du « Temple » du niveau VII du site d'Eridu

Source de l'image : https://archeorient.hypotheses.org/5818

 

 

L'aspect matériel à la fois compact et multi-divisé de ce bâtiment correspond au type 1/x, tandis que son absence de symétrie d'ensemble et l'aspect ajouté au coup par coup des diverses extensions d'annexes donnent le caractère 1+1 à la notion d'esprit puisque celle-ci n'a pas donné au bâtiment un aspect régulier visiblement décidé par une volonté intellectuelle.

À la troisième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le rassemblé/séparé : sur le massif volume principal sont rassemblées diverses excroissances bien séparées les unes des autres.

L'effet de synchronisé/incommensurable porte la notion d'esprit : elle se fait valoir par le rythme régulier, et donc synchronisé, de la répétition des redents qui forment autant d'encoches sur les façades, tandis que les volumes qu'ils animent ont des formes sans relation les unes avec les autres et sont donc incommensurables les unes pour les autres.

L'effet global qui se lit d'emblée est celui de rassemblé/séparé, déjà envisagé, tout comme celui de synchronisé/incommensurable qui correspond à la façon dont la forme se répand. La forme s'organise dans l'espace en continu/coupé, un effet qui se lit à petite échelle dans les redents qui font que la continuité de la maçonnerie des façades est constamment coupée par des creux et des reliefs, et qui se lit à grande échelle dans le fait que la maçonnerie compacte continue du bâtiment est constamment coupée par les reliefs des salles annexes en excroissance. Enfin, de ces excroissances on peut dire qu'elles forment des volumes indépendants qui sont liés au corps principal du bâtiment, ce qui correspond à l'effet de lié/indépendant qui résume les trois précédents.

 

 

15.2.4.  La quatrième étape de l'ontologie pré-animiste dans l'architecture :

 


La pyramide de Djéser à Saqqarah, état actuel et reconstitution graphique (vers -2650)

 

sources des images : http://commons.wikimedia.org/wiki/ File:Djoser_IMG_0960.JPG  et http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Djoser-vue-g%C3%A9n%C3%A9rale2.jpg


 

Pour cette étape, la pyramide à degrés du roi Djéser à Saqqarah, édifiée vers 2650 avant notre ère.

La masse matérielle de ce bâtiment se définit certainement comme une grande forme pyramidale découpée en multiples étages, ce qui relève du type 1/x.

 

Dans cette masse matérielle, notre esprit lit 1+1 lignes horizontales de gradins décalées les unes des autres et fuyant en biais les unes à la suite des autres, ce qui relève du type 1+1.

À la quatrième étape, l'effet qui porte la matérialité est le synchronisé/incommensurable. L'effet de synchronisé est évidemment apporté par la régularité des retraits des degrés, tandis que l'incommensurable est apporté par le parallélisme des divers étages qui ne permet pas de mesurer l'évolution relative de leurs dimensions, d'autant que cette évolution concerne des formes qui sont en pente, aussi bien frontalement que latéralement et sur leur dessus. L'incommensurabilité est aussi liée au gigantisme du bâtiment qui ne permet pas commodément d'évaluer ses formes en relation avec la taille de notre propre corps.

L'effet de continu/coupé porte la notion d'esprit : les 1+1 lignes de gradins lues par notre esprit forment une suite continue de gradins coupés les uns des autres.

La relation entre les deux notions est prise en charge par un effet de même/différent : c'est dans la même masse matérielle que notre esprit lit la succession des différents retraits des gradins, et bien que ces retraits correspondent toujours au même type de modification matérielle de la masse construite, notre esprit repère que la dimension des gradins est chaque fois différente.

L'effet de même/différent se retrouve pour la lecture globale que nous faisons d'emblée de ce bâtiment. L'effet d'intérieur/extérieur dit comment la forme se répand : on peut lire l'extérieur de chaque degré à l'intérieur de la forme globale de la pyramide, et le recul de chaque degré génère la présence d'un creux intérieur à l'extérieur du volume de la pyramide. L'effet d'un/multiple dit comment la forme s'organise dans l'espace : une seule forme pyramidale est décomposée en de multiples étages. Enfin, l'effet de regroupement réussi/raté résume les précédents : il s'appuie sur le fait que les différents étages se regroupent dans une forme globale pyramidale, un regroupement qui est toutefois raté à cause des décrochements qui décalent les étages les uns des autres.

 

 

15.2.5.  La cinquième et dernière étape de l'ontologie pré-animiste dans l'architecture :

 

 


État initial de la ziggourat d'Ur (vers 2112 à 2004 avant notre ère), reconstitution graphique

 

Source de l'image : https://artvsarcheologie.wordpress.com/2015/04/26/les-ziggourats/

 

 

Elle nous ramène en Mésopotamie, pour la ziggourat d'Ur édifiée vers 2112 à 2004 avant notre ère.

Dans son principe, sa partie principale ressemble beaucoup à la pyramide à degrés de Djéser. Ce qui change tout, cependant, et qui nous amène comme on le verra à la dernière étape, c'est le corps en avancée qui est plaqué devant sa façade d'entrée. La forme de cette avancée est rendue pyramidale par les trois escaliers qui y mènent, celui du centre se continuant pour lier son massif sommital au massif sommital de la pyramide principale.

L'ensemble du bâtiment reste extrêmement compact. Sa division en retraits successifs de terrasses fait que sa masse matérielle relève toujours du type 1/x, un type qui peut aussi se lire dans la division de sa masse, bien qu'une et continue, en deux pyramides accolées.

Si la masse reste compacte, notre esprit ne peut toutefois s'empêcher d'y lire la concurrence entre deux formes pyramidales distinctes et séparées, chacune ayant son axe souligné par un massif sommital bien affirmé, et chacune s'érigeant de façon différente : l'une comme une succession de très larges gradins, l'autre comme le croisement de longs escaliers perpendiculaires entre eux. Même si la masse du bâtiment est bien compacte, notre esprit ne peut donc s'empêcher de la lire comme une addition de deux formes pyramidales qui se lisent différemment et ne se regroupent pas dans une grande forme globale commodément lisible, et donc comme une addition de 1+1 pyramides.

Jusqu'ici on est dans le cas habituel d'une architecture de l'ontologie pré-animiste puisque sa masse matérielle est du type 1/x tandis que l'esprit en fait une lecture en 1+1, mais ce qui change et fait que l'on est à la dernière étape est la présence des escaliers qui, prolongeant l'escalier situé dans l'axe de la pyramide d'entrée, relient les deux massifs sommitaux. Car si l'on est en présence de deux formes pyramidales disparates dont notre esprit lit qu'elles s'ajoutent en 1+1, il lit aussi qu'elles sont liées l'une à l'autre, qu'elles sont attachées l'une à l'autre, comme si les deux volumes pyramidaux étaient embrochés l'un avec l'autre par un long escalier allant du sol extérieur au sommet de la pyramide principale, et cette ligne d'escalier qui relie de façon expressive les deux pyramides suffit à notre esprit pour considérer qu'elles sont ensemble, qu'elles forment un groupe, même si notre esprit ne peut lire ici la forme d'aucun groupe.

Pour reprendre la métaphore utilisée pour schématiser la dernière étape, le rôle du sac qui tient ensemble les billes du paquet de billes est ici joué par la bande d'escaliers qui embroche les deux pyramides, et c'est notre esprit qui lit que ces formes s'additionnant en 1+1 sont reliées l'une à l'autre par la continuité de l'escalier.

À la cinquième étape, c'est un effet de continu/coupé qui porte la notion de matière : les masses des deux pyramides sont matériellement continues puisqu'elles sont accolées, mais elles sont coupées l'une de l'autre puisque leurs axes sont décalés.

La notion d'esprit est portée par un effet de lié/indépendant : notre esprit lit qu'il s'agit de deux pyramides indépendantes liées par une enfilade d'escaliers qui les embroche.

Les deux notions sont mises en relation par un effet d'intérieur/extérieur : à l'intérieur de la masse matérielle continue du bâtiment, notre esprit lit la présence de deux pyramides autonomes qui sont extérieures l'une pour l'autre.

L'effet de fait/défait se lit d'emblée dans la forme globale du bâtiment : la fusion des deux pyramides est à la fois faite par leur accolement, et défaite par l'autonomie de leurs formes pyramidales. La forme se répand par un effet de relié/détaché qui correspond au principe même de ces pyramides à terrasses successives, chaque terrasse étant détachée de la précédente par un retrait mais complètement reliée à elle puisqu'elle est construite à son dessus. La forme s'organise par des effets de centre/à la périphérie : la pyramide d'entrée nous fait sans cesse basculer entre la lecture de son axe vertical central et celle de ses escaliers qui se dispersent vers les diverses directions de sa périphérie ; la pyramidale principale nous fait sans cesse basculer entre la perception de son axe vertical central et celle de ses terrasses qui s'écartent vers sa périphérie en ondes successives ; enfin, chaque pyramide est une forme centrée et les deux se butent mutuellement sur leurs périphéries respectives. Ces trois premiers effets sont résumés par celui d'entraîné/retenu : on est entraîné à penser qu'il s'agit d'un seul et même bâtiment, mais sa décomposition en deux formes pyramidales distinctes nous en retient ; les escaliers nous entraînent à une lecture linéaire très dynamique, mais le statisme des masses pyramidales nous en retient, spécialement celui du premier massif qui coupe brutalement l’ascension des escaliers ; enfin, on est entraîné à percevoir la pyramide principale comme un massif compact mais sa décomposition en terrasses séparées de plus en plus étalées nous en retient.

 

 


Guizèh, Ancien Empire, IVe Dynastie : reconstitution du complexe funéraire de la pyramide de Guizèh, sa rampe fermée et son temple bas à proximité duquel se trouve le Sphinx (- 2558 à -2532 avant notre ère). Au second plan, la pyramide de Khéops et ses petites pyramides annexes (- 2589 à 2566), son temple bas étant situé en dehors des limites de l'image, vers la droite

Source de l'image :  dessin de Halina Lewak, dans "L'Egypte" aux Editions Citadelles (1989)

 

 

Pour un exemple très différent de la dernière étape, on revient en Égypte avec la pyramide de Guizèh qui inaugura une nouvelle forme monumentale devenue caractéristique des pyramides pharaoniques. Toutefois, cette pyramide funéraire ne doit pas être considérée isolément mais avec le temple bas qui l'accompagne, et aussi avec la rampe fermée qui relie ces deux parties éloignées du même bâtiment.

Pour ce qui concerne son aspect matériel, le bâtiment est fait de deux pôles massifs  clairement distincts, d'une part la pyramide et d'autre part son temple bas, mais il est aussi unitaire puisque ces deux parties forment un bâtiment continu grâce à la rampe fermée qui les relie, ce qui correspond donc à un aspect matériel du type 1/x.

Pour notre esprit, par contre, la pyramide est une forme close qui se lit pour elle-même, et le temple bas est également une forme compacte qui se lit pour elle-même et qui est très étrangère à celle de la pyramide. Pour notre esprit, la pyramide et son temple sont donc deux formes disparates qui ne génèrent ensemble aucune forme lisible à grande échelle et s'ajoutent l'une à l'autre en 1+1, mais notre esprit ne peut non plus manquer de lire le lien continu entre les deux bâtiments que constitue la rampe fermée de telle sorte qu'il les lit comme deux formes s'ajoutant en 1+1 mais qui, simultanément, sont liées l'une à l'autre et forment ensemble un groupe de bâtiments continu et cohérent quant à son fonctionnement. Pour revenir à l'analogie déjà utilisée, la rampe fermée est ici équivalente au sac qui permet aux billes d'un sac de billes de tenir ensemble tout en ayant une réalité complètement autonome de celle des billes.

 

La différence d'aspect, pour une même étape, entre la ziggourat d'Ur et la pyramide de Guizèh, est le résultat de la différence entre expression analytique et expression synthétique :

 - la solution mise en Å“uvre dans la pyramide de Guizèh relève d'une expression analytique, puisqu'on peut considérer séparément que les deux parties du complexe funéraire sont très différentes et très écartées l'une de l'autre, et d'autre part qu'elles sont reliées l'une à l'autre par une très longue rampe fermée.

 - de son côté la ziggourat d'Ur relève d'une expression synthétique, car l'imbrication des deux formes pyramidales ne permet pas de lire leur séparation en deux formes distinctes sans lire simultanément les liens qui les relient l'une à l'autre : par accolement, par analogie de leurs formes pyramidales, et par leur embrochement mutuel sur une même ligne d'escaliers.

 

 

Pour résumer l'évolution de l'architecture dans les deux filières, dans les deux cas on peut constater que la notion qui est du type 1+1 réussit à faire que ses 1+1 parties fassent un groupe à la dernière étape, sans toutefois que ce groupe ne bénéficie d'une forme globale de groupe qui pourrait le désigner comme une unité réunissant ses diverses parties en 1/x :

–         dans la filière pré-naturaliste, à Stonehenge et sur les autres sites à cercles emboîtés, la disposition matérielle de ces 1+1 cercles emboîtés (1+1 car très différents d'aspect les uns des autres) se fait autour d'un axe central commun qui leur permet de faire groupe sans que ce groupe ait une forme propre ;

–         dans la filière pré-animiste, dans la ziggourat d'Ur, les deux pyramides sont lues par notre esprit comme 1+1 pyramides du fait de leurs différences et du fait de l'absence de forme globale les réunissant, mais notre esprit lit aussi qu'un long cheminement continu en escalier embroche ces deux pyramides pour les attacher ensemble, cela sans pour autant que cet escalier ne donne par lui-même une forme globale lisible à leur couple. Pour la pyramide de Guizèh c'est la longue rampe fermée qui la relie à son temple bas qui permet que ces deux bâtiments fassent un ensemble fonctionnel, sans toutefois que cet ensemble ne soit affirmé par une forme unitaire et qui lui soit propre.

 

 

 

 

15.3.  Dans la phase de 2d confrontation au cas par cas du cycle matière/esprit, les cinq étapes de la sculpture pré-naturaliste :

 

15.3.0.  Généralités sur la sculpture dans la phase de 2d confrontation :

 

Avec l'architecture on était dans le domaine de la matière, et si la notion d'esprit était en relation avec cette matière, il était toujours possible de relever commodément le caractère 1+1 de l'architecture dans la filière pré-naturaliste et 1/x dans la filière pré-animiste. Avec la peinture, nous serons plus tard dans le domaine de l'imagination, donc de l'esprit, et de la même façon nous pourrons commodément relever l'inversion des types 1+1 et 1/x dans les deux filières.

Avec la sculpture, on n'est pas quelque part entre ces deux extrêmes, plutôt dans une situation où les aspects matériels et les aspects qui relèvent de l'esprit sont mélangés, combinés, fusionnés. En conséquence, on ne sera jamais devant la représentation d'un être doté d'un esprit mais toujours devant une créature partiellement analogue à une créature dotée d'un esprit et partiellement très étrangère à un tel aspect, cela afin que ressorte l'extrême étrangeté d'un être qui résulte de la fusion entre un aspect matériel et un aspect qui relève de l'esprit. Entendons-nous bien : quand on dit qu'un humain est un corps matériel habité par un esprit on n'est pas dans une situation de fusion similaire, mais dans le cas d'un esprit logé dans un corps matériel, pas dans celui d'un esprit mélangé avec de la matière. C'est cette trouble et bizarre situation que tente de montrer la sculpture dans la phase de 2d confrontation, et ce sera encore largement ainsi lors de la phase suivante.

Pour correspondre à cette situation quasi monstrueuse d'une réalité purement hypothétique de matière/esprit, la sculpture va donc nous faire voir des quasi-monstres. C'est d'ailleurs ce que l'on verra dès la première étape avec des femmes sans tête, sans bras et sans pieds, lesquelles marquent une rupture profonde avec les sculptures assez réalistes de la fin de la phase précédente, par exemple celles décorant les propulseurs ou celles des contours découpés datant de la même époque du magdalénien moyen. Toutes les sculptures relevant de l'étape précédente n'étaient pas réalistes, mais plus aucune ne le sera lors de la phase de 2d confrontation.

Cette configuration dans laquelle ce qui relève de l'esprit et ce qui relève de la matière sont fusionnés implique une conséquence essentielle pour l'analyse : sauf à la dernière étape de cette phase, il ne sera pas toujours possible de distinguer lequel de ces aspects est doté du type 1+1 et lequel est doté du type 1/x, et pour cette raison bien des œuvres de la filière pré-naturaliste seront étrangement ressemblantes à des œuvres de la filière pré-animiste. Toutefois, chaque fois que possible, on s'efforcera de faire ressortir ce qui apparente une œuvre à une filière plutôt qu'à l'autre. En fait, il y aura lieu de distinguer les expressions analytiques dans lesquelles les aspects matériels et les aspects relevant de l'esprit sont assez clairement séparés des expressions synthétiques dans lesquelles ils sont assez indiscernables.

 

 

15.3.1.  La première étape de la sculpture dans l'ontologie pré-naturaliste :

 

Pour cette étape nous n'envisageons pas de véritables sculptures, mais des gravures profondes qui, par leur intervention importante sur la matière de leur support, et par le rôle important laissé à cette matière, relèvent comme les sculptures d'une intervention équilibrée entre l'aspect matériel et l'aspect graphique décidé par l'esprit.

 

 


Grotte de Fronsac, Dordogne, France : femmes sans tête, sans bras et sans pieds (vers 12000 avant notre ère)

Source de l'image :  Préhistoire de l'art occidental - édité par Citadelles & Mazenod - 1995

 

 

À la fin du magdalénien, on retrouve fréquemment le thème des femmes schématiques, sans tête, sans bras, au bas du corps rendu de façon très sommaire et toujours sans pieds. Les deux femmes gravées sur une paroi de la grotte de Fronsac, en Dordogne, sont caractéristiques de ce thème ([3]). À l'étape précédente, pour terminer la phase de 1re confrontation, dans la frise de l’abri Bourdois du Roc-aux-Sorciers nous avions déjà des femmes partielles, mais le volume du corps de ces personnes dotées d'un esprit se distinguait clairement du rocher purement matériel qui les entourait. Par différence, leurs corps ne se distinguent pas ici du rocher sur lequel elles sont sculptées, parfaits exemples donc d'êtres mélangeant ce qui relève de l'esprit et ce qui relève de la matière.

Ces traits gravés dans la pierre apparaissent manifestement comme un effet de la volonté de l'artiste. Chaque silhouette féminine lue par notre esprit résulte de la conjonction de deux de ces traits (aspect 1/x) et chacun de ces traits est lui-même une forme globale qui regroupe de multiples méandres souples ou aux inflexions plus brutales (aspect 1/x). Quant à elle, la matière du rocher se lit comme l'addition de 1+1 tranches d'allure verticale séparées par ces traits gravés. Les aspects qui relèvent de l'esprit sont du type 1/x, ceux qui relèvent de la matière sont de type 1+1, on est bien dans une filière pré-naturaliste.

À la première étape, l'effet qui porte la notion de matière est le ça se suit/sans se suivre : l'aspect matériel du support se poursuit sans interruption de bas en haut à travers les personnages, mais il ne se poursuit pas horizontalement puisqu'il est interrompu par les gravures. Par ailleurs, l'aspect des figures suit l'apparence matérielle de femmes mais ne la suit pas du fait de leur trop grand schématisme, notamment du fait de leur absence de tête et de bras.

L'effet d'homogène/hétérogène porte la notion d'esprit : les profonds sillons gravés par l'esprit de l'artiste correspondent à un procédé de gravure homogène qui est très hétérogène le long de son parcours du fait des inflexions variables de son trajet.

La relation entre les deux notions est prise en charge par un effet d'intérieur/extérieur : c'est l'extérieur de la paroi matérielle qui est lu par notre esprit à l'intérieur du corps des femmes, et notre esprit lit aussi que le profil extérieur de leurs corps s'enfonce profondément à l'intérieur du matériau de la paroi.

L'effet global qui se perçoit d'emblée est le fait/défait : d'emblée, on perçoit qu'il y a là des femmes qui sont faites et complètement défaites quant à leur aspect puisqu'il leur manque la tête, les bras et les pieds. C'est par un effet de relié/détaché que la présence des deux femmes se répand sur la paroi : deux traits gravés relient le bas et le haut de chaque contour, et cette gravure détache visuellement leurs silhouettes. C'est par un effet de centre/à la périphérie que s'organisent les figures : la perception de chacune de ces femmes balance en permanence entre la perception de son corps en relief qui ondule au centre de sa figure et des deux creux qui dessinent son contour périphérique et qui doivent être perçus ensemble pour qu'apparaisse le corps situé à leur centre. Enfin, ces trois effets précédents sont résumés par celui d'entraîné/retenu qui a plusieurs aspects : quand nous nous laissons entraîner à penser qu'il y a là des représentations de femmes nous en sommes retenus par leur aspect trop défait ; les traits gravés nous entraînent à les suivre des yeux mais nous sommes constamment retenus dans cette lecture par des virages plus ou moins soudains qui ralentissent le déplacement de notre regard ; du fait du traitement très uniforme des quatre traits de gravure nous ne parvenons pas à fixer notre regard sur l'un d'eux, car si nous sommes attirés par l'un, les autres nous en retiennent en nous attirant à leur tour ; nous sommes tentés de penser que les deux traits centraux dessinent le contour d'une troisième femme, nous en sommes retenus lorsque nous considérons que ces traits font plutôt partie du contour des deux autres femmes.

 

On pourrait analyser de la même façon d'autres femmes à la fois schématiques et « tronçonnées » datant approximativement de la même époque : les femmes gravées sur une plaquette trouvée à Gönnersdorf en Allemagne, et les profils féminins gravés sur la paroi de la grotte de La Roche à Lalinde, en Dordogne.

 


À gauche, Gönnersdorf, Allemagne : femmes gravées sur une plaquette, dont l'une portant un enfant sur son dos dans un panier

 

Source de l'image : https://donsmaps.com/gonnersdorf.html

 

 

À droite, Lalinde, Dordogne, Grotte de La Roche, Profils féminins gravés en sillons

 

Source de l'image : https://musee-prehistoire-eyzies.fr/collection/objet/bloc-grave-de-lalinde


 

 

15.3.2. La deuxième étape de la sculpture dans l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

 


Lepenski Vir, Serbie : galet sculpté (vers 5000 avant notre ère)

 

Source de l'image : http://www.narodnimuzej.rs/prehistory/lepenski-vir-collection/?lang=en

 

 

Sur le site serbe de Lepenski Vir, un galet sculpté qui date d'environ 5000 avant notre ère.

La sculpture de ce galet, de profondeur uniforme, a dégagé un être anthropomorphe dont la bouche fait vaguement penser à celle d'un poisson. L'unité plastique de cet être est bien affirmée et il est formé de multiples îlots en relief séparés les uns des autres, ce qui correspond à une lecture par l'esprit du type 1/x. Notre esprit perçoit aussi le personnage en le décomposant sur deux surfaces parallèles, l'une qui correspond à la surface ovoïde continue en arrière-plan de la forme, l'autre qui correspond à la surface ovoïde externe, celle qui est morcelée en îlots séparés. Sous cet aspect aussi la lecture du volume du personnage relève donc du type 1/x, puisque un seul et même personnage a son volume qui est éclaté sur deux surfaces ovoïdes parallèles.

Quant à elle, sa matérialité est certainement portée par son aspect de grosse boule ovoïde gonflée, compacte et indivisée. Si un aspect massif compact est souvent la signature d'une matière du type 1/x, toutefois, lorsque cette compacité apparaît indivisée, elle ne dispose pas du caractère multiple qu'implique aussi le type 1/x. Ici, il est clair que l'aspect de « grosse boule ovoïde gonflée » de cette sculpture n'est pas adapté pour rendre compte de l'idée que l'on se fait habituellement d'un être doté d'un esprit, il transforme « en monstre globuleux » le personnage suggéré à notre esprit par la présence de ses yeux, de son nez et de sa bouche, en monstre qui est donc généré par l'addition en +1 d'une matérialité ovoïde trop compacte pour rendre normalement compte d'un être doté d'un esprit.

 

 


Nevali Çori, Turquie, relevé d'une stèle anthropomorphe

 

Source de l'image : https://www.researchgate.net/figure/b-Nevali-Cori-central-limestone-pillar-about-a-meter-in-height-Source-of-photo-ref_fig28_318900114

 

 

Au début du chapitre précédent, consacré à l'architecture pré-animiste, on avait donné l'exemple d'un pilier anthropomorphe du site de Göbekli Tepe. On donne maintenant le relevé d'un pilier semblable, mais plus petit, du site voisin de Nevali Çori, sur lequel on distingue bien deux bras en léger relief sur les flancs du pilier. Ils se retournent en deux mains sur sa face antérieure, laquelle dispose également d'une sorte de cravate verticale. Ce type de stèles anthropomorphes est l'occasion de montrer la différence entre une sculpture relevant de la filière pré-naturaliste et une sculpture de la même étape relevant de la filière pré-animiste.

Dans le cas du galet de Lepenski Vir nous percevons d'emblée qu'il s'agit d'un personnage, même s'il s'agit d'un personnage très bizarre à cause de la forme ovoïde compacte et indivisée de sa matière qui est celle d'un galet. Dans le cas de la stèle de Nevali Çori l'aspect « personnage Â» n'apparaît que discrètement, tandis que l'on perçoit d'emblée qu'il s'agit de deux formes rectangulaires posées perpendiculairement l'une sur l'autre. L'aspect est massif, comme celui du galet, mais comme il correspond clairement à l'assemblage de deux formes qui se croisent, formant un grand T divisible en deux parties, il peut cette fois relever du type 1/x. Quant aux discrets signes anthropomorphes qui viennent perturber la simplicité de ce signe en T, ils nous laissent penser que le parallélépipède du haut pourrait être une tête bien qu'il n'en ait nullement l'aspect. Son aspect « d'être doté d'un esprit » vient ainsi timidement s'immiscer, comme par effraction, pour transfigurer la signification des deux parallélépipèdes assemblés et lui donner l'aspect monstrueux d'un personnage au corps et à la tête strictement parallélépipédiques. C'est donc à l'aspect qui relève de l'esprit que l'on peut attribuer le fait de se superposer en +1 à l'aspect matériel des deux pierres pour transformer leur assemblage en personnage monstrueux.

 

Après cette confrontation de deux sculptures de filières différentes, on revient au galet de Lepenski Vir pour envisager ses effets plastiques.

À la deuxième étape, l'effet qui porte la notion de matière est l'homogène/hétérogène : la forme du personnage est générée par l'hétérogénéité d'un brutal changement de niveau de sa surface matérielle, et ce procédé hétérogène est répété de façon homogène sur toute sa surface, y compris quant à la profondeur du décalage qui est partout homogène.

La notion d'esprit est portée par un effet de rassemblé/séparé : notre esprit repère qu'il s'agit d'un personnage bizarre mais doté d'un esprit en rassemblant visuellement les deux surfaces décalées dans la profondeur, et donc séparées l'une de l'autre. Il perçoit aussi ce personnage en donnant sens au rassemblement visuel, sur la surface ovoïde extérieure, aux multiples formes isolées qui y forment autant d'îlots séparés les uns des autres par un creux.

Les deux notions sont mises en relation par un effet de continu/coupé : la continuité de la masse matérielle ovoïde se repère grâce au second plan de la sculpture, et c'est grâce aux coupures de cette continuité donnant forme aux divers îlots de son premier plan que notre esprit peut y repérer la présence d'un être bizarre, bizarre mais apparemment doté d'un esprit puisque disposant d'yeux, d'un nez et d'une bouche.

À cette étape, l'effet global que l'on perçoit d'emblée est l'effet d'ensemble/autonomie : globalement, l'ensemble du personnage est produit par la combinaison de formes qui se développent sur deux plans autonomes puisque décalés dans la profondeur, et la figure d'ensemble qui se lit sur la surface la plus externe est produite par la combinaison de multiples formes autonomes puisque séparées les unes des autres. La forme se répand dans la profondeur du galet par un effet d'ouvert/fermé : la forme lue sur l'ovoïde externe est obtenue par des trous qui l'ouvrent sur la surface ovoïde située en arrière-plan, une surface qui est pour sa part parfaitement fermée puisque dépourvue de tout percement plus profond. Les formes s'organisent en ça se suit/sans se suivre : tous les détails qui permettent de lire le personnage sur la surface externe se suivent visuellement pour permettre cette lecture, mais ils ne se suivent pas puisqu'ils sont séparés par des creux qui montrent la surface interne. L'effet d'homogène/hétérogène résume les trois précédents. À son aspect déjà envisagé, on peut ajouter que si les dessins de la couche externe sont différents les uns des autres, et donc hétérogènes entre eux, la couche interne a pour sa part une surface régulière, et donc homogène.

 

Après l'exemple du galet de Lepenski Vir dont l'expression était analytique puisqu'il était aisé d'y séparer ce qui relève de l'esprit et ce qui relève de la matière, nous envisageons maintenant des sculptures de la même étape mais dont l'expression, cette fois synthétique, implique la fusion de ces deux aspects. Cette fusion rend plus difficile, parfois même impossible, d'attribuer à l'un ou à l'autre de ses aspects le type 1+1 ou le type 1/x.

 


 

 

 

 

Sculptures relevant de la filière pré-naturaliste datant toutes du Ve millénaire avant notre ère, de gauche à droite : « La Dame de Pazardžik », culture de Karanovo VI, Bulgarie – Culture de Vinca-Plocnik, Kosovo, habitat de Predionica – Culture de Cucuteni, Moldavie – Culture de Hamangia, Roumanie – Culture de Hamangia, Roumanie

Sources des images : https://www.akg-images.co.uk/CS.aspx?VP3=SearchResult&ITEMID=2UMDHUFFLUWS&LANGSWI=1&LANG=French  pour la 1re, http://peopletales.blogspot.com/2013/09/la-civilisation-de-la-deesse.html pour la 4e, L'Europe des Origines (Collection l'Univers des Formes), édité chez Gallimard (1992), pour les autres

 


 

 

 

Sculptures relevant de la filière pré-animiste, de gauche à droite : Ain Chazal, Jordanie (VIIe millénaire AEC) - Tell es Sawwan, Irak (vers 6000 AEC) -  Tappeh Sarab, Iran (vers 6200 AEC) - Tell Halaf, Syrie (vers 5000 AEC)

Sources des images : https://www.wikiwand.com/en/%27Ain_Ghazal_Statues, https://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/statuette-de-fecondite-femme-nue-le-bras-gauche-plie-sous-la-poitrine_albatre_sculpture-technique, https://www.wikiwand.com/en/Prehistory_of_Iran, https://www.sutori.com/story/art-history-ancient-near-east--pQgov11WbAU63YK5CuwGZ5MG

 

On donne pour cela deux séries de sculptures, la première de la filière pré-naturaliste, la seconde de la filière pré-animiste. D'une série à l'autre on rencontre d'étranges ressemblances, telles que des femmes sans tête dont le long cou est traité de façon assez semblable à leurs jambes (dernière sculpture pré-naturaliste et avant-dernière dans l'autre filière), des personnages sans bras traité de façon assez plate (troisième et première), et dans les deux filières on retrouve aussi bien des sculptures aux formes bien décomposées que des sculptures aux formes assez compactes à faibles reliefs, de telle sorte qu'il n'est pas possible de raisonnablement différencier ces deux filières : tout ce que l'on peut en dire est qu'il s'agit de sculptures dont les aspects relevant de l'esprit et les aspects relevant de la matière ont fusionné et ne sont pas séparables. L'aspect un et multiple présent dans toutes les sculptures peut aussi bien provenir de leur aspect matériel que de leur aspect relevant de l'esprit, et leur caractère toujours très bizarre, parfois monstrueux, peut aussi bien résulter de la déformation d'un être « normal » doté d'un esprit par un aspect matériel saugrenu qui s'y ajoute en +1, que de la présence, comme par effraction et donc en +1, d'un être doté d'un esprit à l'intérieur d'un pur jeu de formes matérielles, tel qu'il peut en aller pour la statue de Tappeh Sarab que l'on peut concevoir comme un simple assemblage de fuseaux plus ou moins volumineux et plus ou moins allongés, mais qui se trouve bizarrement avoir une apparence vaguement humaine.

Évidemment, le choix de mettre telle ou telle statue dans une filière plutôt que dans l'autre ne résulte pas de ses caractéristiques propres, seulement du fait qu'elle a été créée dans un environnement dans lequel l'architecture et la peinture, mais aussi d'autres sculptures d'expression analytique, peuvent être classées de façon assez sûre. Globalement, on a donc mis ici dans la filière pré-naturaliste les sculptures originaires d'Europe continentale et dans la filière pré-animiste les sculptures originaires de Mésopotamie ou des régions voisines.

 

À titre d'exemple, on envisage les effets plastiques de la statuette en terre cuite usuellement dénommée « La Dame de Pazardžik », de la culture de Karanovo VI en Bulgarie. Elle date approximativement de 4500 avant notre ère (1re photographie, en haut à gauche).

L'effet qui porte la notion de matière est l'homogène/hétérogène : la statuette est faite d'un matériau homogène à l'aspect de surface homogène, mais elle se compose de volumes aux formes très hétérogènes entre elles.

Celui qui porte la notion d'esprit est le rassemblé/séparé : notre esprit y reconnaît la présence d'un personnage doté d'un esprit parce que ses différents volumes visuellement bien séparés se rassemblent en un échelonnement vertical qui a globalement la forme d'un personnage assis.

L'effet de continu/coupé rend compte de la relation entre les deux notions : notre esprit lit le net trait de coupure qui sépare les deux jambes malgré le rassemblement du bas du corps dans un large volume matériel continu, et inversement il lit la continuité des lignes de décors qui parcourent sa surface matérielle malgré cette coupure qui les sépare en tronçons ; notre esprit coupe visuellement l'un de l'autre les bras qui forment une masse matérielle continue au niveau des mains, et notre esprit prolonge aussi mentalement la coupure entre les bras et le torse malgré la continuité matérielle qui les rassemble au niveau des avant-bras ; enfin, notre esprit lit la forte coupure que l'éperon du nez occasionne à la continuité matérielle en galette de la forme de la tête.

Les autres effets plastiques ont déjà été évoqués à l'occasion du galet de Lepenski Vir.

 

 

15.3.3.  La troisième étape de la sculpture de l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

 


Stèle n° 1 de Lauris-Puyvert, Vaucluse, France (Chasséen récent, vers 3800 à 3600 avant notre ère)

Source de l'image : https://publishing.cdlib.org/ucpressebooks/view?docId=ft5j49p06s&chunk.id=d0e922&toc.id=d0e103&brand=ucpress

 

 

Nous envisageons d'abord une « stèle anthropomorphe à chevrons Â» du néolithique final provençal. Cette stèle n° 1 de Lauris-Puyvert est représentative des statues anthropomorphes fichées en terre vers 3800 à 3600 avant notre ère sur le territoire correspondant à l'actuelle Provence.

Comme le galet de Lepenski Vir de l'étape précédente, il s'agit d'une sculpture qui se décompose en deux plans parallèles, celui du fond étant lisse, celui en surface étant découpé en portions permettant de lire la présence d'un visage. La plus grande de ces surfaces, décorée de multiples chevrons, à l'allure de capuche ou peut-être de chevelure, retombe en partie haute pour former le nez et laisse un passage en sa partie basse pour former le cou. S'y ajoutent deux petits îlots ronds formant les yeux pour donner vie à cet être bizarre.

Globalement, le matériau présente un aspect compact et indivisé qui donne en +1 une allure schématique et étrange au personnage doté d'un esprit. Celui-ci se divise en deux plans de profondeur, sa surface est divisée en une large capuche et deux yeux, et sa capuche elle-même est divisée en une multitude de chevrons qui, à leur tour, sont divisés en plusieurs rayures accolées. Une séparation claire entre une matérialité occasionnant un effet de +1 et des aspects relevant du type 1/x utiles pour y lire un être doté d'esprit : on est dans le cas d'une expression analytique de la filière pré-naturaliste.

À la troisième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le rassemblé/séparé : la matière de la statue se rassemble en un seul morceau compact qui se sépare très visiblement du sol matériel dans lequel il est fiché.

Celui qui porte la notion d'esprit est le synchronisé/incommensurable : notre esprit parvient à synchroniser cette pierre plate avec l'apparence de la tête d'un humain doté d'un esprit, mais son apparence est celle de deux plans parallèles aux dessins très anguleux, ce qui est complètement différent, et donc incommensurable, avec l'apparence d'un être doté d'un esprit.

C'est un effet de lié/indépendant qui rend compte de la relation entre les deux notions : la « capuche » forme un même bloc matériel avec le fond de la sculpture parce qu'elle est collée, et donc liée, au visage, au cou et à l'épaule du personnage, mais notre esprit profite du décalage de plan entre les deux surfaces pour lire que la capuche correspond à une forme indépendante du fond sur lequel elle est collée, et pour ainsi lire qu'elle encadre le visage d'un être doté d'un esprit.

L'effet de rassemblé/séparé est aussi celui qui nous est immédiatement sensible : la « capuche » apparaît d'emblée rassemblée dans sa partie haute et séparée dans sa partie basse, tandis que le visage qu'elle encadre est rassemblé en continu au niveau de son menton et de son cou mais séparé en deux au niveau du nez. Déjà envisagé aussi, le synchronisé/incommensurable est l'effet par lequel la forme se répand. Elle s'organise de façon continue/coupée : le dénivelé entre les deux surfaces parallèles coupe sa continuité dans tous les sens, et le dessin en chevrons forme une frise continue constamment coupée par des alternances d'orientation. Enfin, l'effet de lié/indépendant que l'on retrouve également résume les précédents : toutes les surfaces de la capuche sont reliées entre elles, mais elles forment des excroissances visuellement indépendantes à l'endroit du nez et à l'endroit de ses deux retours qui cernent le cou ; les deux yeux et le nez sont visuellement liés tout en correspondant à des surfaces indépendantes les unes des autres ; enfin, les chevrons forment des groupes de rayures indépendants reliés les uns aux autres.

 

 

 



À gauche : Culture d'Ozieri, Sardaigne (vers 3500 à 3000 AEC)

Source de l'image : https://www.pinterest.fr/pin/562668547184960158/

 

À droite : Cycladique Ancien I, Culture de Grotta-Pélas (vers 3200 à 2800 AEC)

Source de l'image : https://www.pinterest.fr/pin/167829523597029428/

 

 

Comme expression synthétique à la troisième étape, deux sculptures en marbre d'allures très semblables et datant toutes les deux de 3000 environ avant notre ère, l'une de la Culture d'Ozieri provenant de Sardaigne, l'autre de la Culture Cycladique Ancien I de Grotta-Pélas. Comme expliqué à l'occasion de l'étape précédente, au simple examen de ces figures on ne peut pas espérer deviner de quelle filière elles proviennent. Compte tenu de leur lieu d'origine on supposera qu'elles relèvent de la filière pré-naturaliste, ce qui implique qu'il s'agit de figures représentant des êtres dotés d'un esprit, en l'occurrence des femmes, lesquelles auraient « comme avalé un morceau de marbre », ce qui les a rendues très étranges mais n'empêche pas notre esprit d'y reconnaître des personnages.

L'effet de synchronisé/incommensurable y est particulière-ment repérable : leur apparence est synchronisée pour notre esprit à l'apparence de femmes réelles, bien que leur étrangeté, sans jambes, sans bras sauf des moignons, et sans tête pour l'une des deux, les rende parfaitement incommensurables avec l'apparence de femmes réelles.

 

 

15.3.4.  La quatrième étape de la sculpture dans l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

 


« La Dame de Saint-Sernin », Aveyron, France (vers 3300 à 2500 AEC)

Source de l'image : http://www.tourisme-rougier-aveyron.com/decouvrir-vacances-aveyron/statues-menhirs-neolithiques/

 

 

Pour cette étape une nouvelle stèle plate en forme de personnage, communément dénommée « statue-menhir » : « la Dame de Saint-Sernin » de Saint-Sernin-sur-Rance dans l'Aveyron. De telles stèles étaient édifiées dans la région du Rouergue à l'âge du cuivre, on peut estimer que celle-ci date d'environ 3300 à 2500 avant notre ère. Sur le dos de la pierre, en continuité de ce que montre la partie droite de sa face avant, on trouve des divisions verticales correspondant aux plis de l'habit, coupées par la double bande horizontale de la ceinture. Ses bras se dessinent en équerre sur les deux flancs.

Encore une fois, on a donc affaire à ce que notre esprit lit comme un être doté d'un esprit « qui aurait comme avalé une grosse dalle en pierre » l'ayant déformé de façon monstrueuse. Cet aspect +1 de la matérialité de la stèle, venant comme un intrus déformant l'aspect du personnage, est d'autant plus flagrant ici que l'absence de coupure verticale de la dalle entre les deux jambes empêche que sa matière soit saisie selon le type 1/x. Par contre, le caractère 1/x du personnage lu par notre esprit est évident puisque l'unité globale du personnage est bien visible tout comme sa division en multiples membres, organes et détails vestimentaires.

À la quatrième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le synchronisé/incommensurable : la figure sculptée est suffisamment synchronisée avec l'apparence matérielle d'une personne réelle pour réussir à l'évoquer, mais elle est en même temps tellement étrange qu'elle est incommensurable avec une telle apparence.

L'effet qui porte la notion d'esprit est celui de continu/coupé auquel est constamment confronté notre esprit lorsqu'il analyse cette sculpture : la surface plane continue du second plan est constamment coupée et recoupée par les membres du personnage, par les détails de son corps et par les détails de son habit, tandis que la statue fourmille de bandes continues accolées qui sont donc coupées les unes des autres dans le sens croisé à leur continuité.

La relation entre les deux notions est prise en charge par l'effet de même/différent : matériellement, il s'agit d'un seul et même bloc de pierre, mais notre esprit y lit un personnage doté d'esprit grâce à sa décomposition en différents membres, détails corporels et détails vestimentaires.

L'effet qui apparaît d'emblée est aussi le même/différent : le même principe de longues bandes accolées se répète de différentes façons, parfois larges et parfois étroites, parfois droites et parfois courbes, et la même forme en rectangle allongé terminé par des divisions droites est utilisée pour représenter les membres différents que sont les avant-bras et les jambes.  La forme se répand sur la surface par un effet d'intérieur/extérieur : l'extérieur de chacun des membres et des seins est clairement repérable à l'intérieur de la surface occupée par le personnage. Celui-ci s'organise à grande échelle et dans ses détails par un effet d'un/multiple : il est verticalement divisé en trois (sa tête, son tronc, ses jambes), les bandes qui le recouvrent sont divisées en multiples bandes plus petites (ses « moustaches », son col, sa ceinture), et ses jambes tout comme ses bras comportent chaque fois une grande bande rectangulaire unie divisée en multiples doigts à son extrémité. Enfin, l'effet de rassemblement réussi/raté résume les précédents : globalement, le personnage est complètement regroupé dans sa représentation, mais son aspect plat et totalement irréaliste fait rater la crédibilité de ce regroupement. Par ailleurs, ses détails se regroupent en deux ensembles de formes similaires, des assemblages de bandes et de longs rectangles terminés par des divisions de doigts, mais les différences entre bandes concernant le nombre de leurs divisions, leur longueur ou leur rectitude, tout comme les différences d'orientation, horizontale ou verticale, concernant les bras et les jambes, font rater l'homogénéité du regroupement de ces deux ensembles.

 

 

 


Cycladique Ancien II, Culture de Kéros-Syros (vers 2800 à 2300 AEC)

 

Source de l'image : https://www.pinterest.fr/boutonvincent/grece-antique/

 

 

Comme expression synthétique de cette quatrième étape, on poursuit la filiation des statues provenant des Cyclades avec une statuette en marbre « aux bras croisés », caractéristique de la variété « Spédos Â» de la culture de Kéros-Syros du Cycladique Ancien II, datée de 2800 à 2300 avant notre ère. Comme pour la statuette des Cyclades de l'étape précédente, on supposera que notre esprit y reconnaît un être doté d'un esprit du type 1/x dont le corps est déformé par le caractère compact excessif, et donc +1, de son matériau en marbre.

Le caractère très abstrait et extrêmement étrange du personnage de l'étape cycladique précédente a disparu en même temps qu'a été minimisé le rôle de l'effet de synchronisé/incommensurable qui rend compte ici de la matérialité : synchronisée avec la matérialité de l'apparence d'une femme bien qu’incommensurable avec celle-ci. Dans cette statuette plus réaliste, même si toujours bizarre, cet effet est remplacé pour la lecture de notre esprit par l'effet de continu/coupé qui peut se lire de multiples façons : le corps se décompose en multiples séquences bien coupées les unes des autres qui forment une suite continue, les jambes, puis le torse, puis le cylindre du cou, puis la lyre de la tête nettement détachée/coupée du cou, tandis que latéralement les jambes forment une suite continue d'arrondis de plus en plus larges, celui des pieds, puis celui des mollets, puis celui des cuisses. Dans le sens horizontal, une longue fente verticale coupe en deux le massif des jambes, et dans le sens vertical les bras croisés coupent et recoupent la continuité du torse.

Des autres effets plastiques on ne signalera que celui qui a un caractère de résumé global, le regroupement réussi/raté : le réalisme relatif de la statuette permet que l'apparence normale d'un personnage féminin soit regroupée devant nos yeux, mais les bizarreries de ses formes font rater ce regroupement.

 

 

15.3.5.  La cinquième et dernière étape de la sculpture dans l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

 


Kéros : joueur de harpe (vers 2300 AEC)

 

Source de l'image : L'Art Grec – Éditions Terrail (1995)

 

 

D'abord une nouvelle statuette cycladique, en provenance de l’île de Kéros : un joueur de harpe auquel il manque une partie des bras. Il n'est pas daté avec précision mais les spécialistes le placent souvent autour de 2300 avant notre ère, ce qui s'accorde avec notre découpage chronologique qui place la dernière étape entre 2500 et 1900 avant notre ère dans la filière occidentale.

Notre esprit distingue nettement une composition d'ensemble à la fois compacte et divisée en multiples parties, et le personnage lui-même est un être doté d'un esprit clairement divisé en multiples parties : ce qui relève de l'esprit est donc du type 1/x. Par contre, la masse matérielle de la statue est faite de tronçons qui ne font pas ensemble une forme globale que l'on pourrait lire commodément, d'autant que ses diverses courbes et contre-courbes évoluent vers des directions très variées, avec des amplitudes très variées et sans aucune régularité décelable : l'aspect purement matériel de cette statuette se construit donc au moyen de formes qui s'ajoutent en 1+1.

Toutefois, il est clair que toutes les formes courbes ou droites qui gravitent autour du personnage, sa harpe, son siège, les pieds courbés en sens inverses de son siège et les paraboles décalées de son dossier, toutes sont liées au corps du personnage qui forme la masse centrale de la sculpture. On trouve donc bien ici ce que l'on devait trouver à la dernière étape de la filière pré-naturaliste, à savoir que si les aspects matériels de la statue s'ajoutent en 1+1, ils sont aussi clairement liés les uns aux autres, car toutes les courbes qui gravitent autour du personnage seraient perçues en train de se disperser si elles n'étaient toutes liées à lui. Pour utiliser une nouvelle fois l'image explicitée au chapitre 15.0, le personnage est ici l'équivalent du sac qui tient ensemble les billes d'un paquet de billes.

À la cinquième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le continu/coupé : cette statuette est obtenue par l'addition de formes séparées par des écarts, et donc coupées les unes aux autres, mais  elles sont assemblées de façon à générer une matérialité continue.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le lié/indépendant : toutes les formes, majoritairement courbes, qui gravitent autour du personnage et que lit notre esprit sont clairement indépendantes les unes des autres, mais elles sont aussi toutes liées au personnage central.

Les deux notions sont mises en relation par des effets d'intérieur/extérieur : l'extérieur du personnage doté d'un esprit est à l'intérieur de l'ensemble des formes purement matérielles que sont sa chaise, son dossier, et sa harpe, et ce sont précisément ces formes matérielles dont notre esprit suit les courbes « du bout des yeux Â».

L'effet global immédiatement perceptible est le fait/défait : le personnage et ses accessoires sont suffisamment bien faits pour qu'on les reconnaisse, mais aussi suffisamment schématiques et uniformes d'aspect pour qu'ils ne soient pas faits de façon vraiment réaliste. La forme se répand de façon reliée/détachée : ses diverses parties sont détachées les unes des autres selon certaines directions, et reliées les unes aux autres selon d'autres directions. Elle s'organise sur la base de l'effet du centre/à la périphérie : chacune des courbes situées à la périphérie du personnage constitue pour nous un centre d'intérêt visuel autonome entouré sur sa périphérie de centres visuels semblables, et par ailleurs notre attention oscille en permanence entre la perception du personnage situé au centre et la perception des courbes situées tout autour de lui, et donc sur toute sa périphérie. L'effet qui résume les précédents est celui de l'entraîné/retenu : à la stabilité du personnage central fermement retenu dans sa position assise s'oppose le dynamisme des courbes périphériques qui nous entraînent à suivre des yeux la dispersion de leur parcours, et cette dispersion même nous oblige, lorsqu'on s'est laissé entraîner à suivre une courbe plutôt qu'une autre, à finalement nous en retenir pour visualiser une courbe concurrente qui nous entraîne à son tour.

Ce harpiste relève d'une expression synthétique, car les jeux de formes sur lesquels s'appuie la notion d'esprit sont les mêmes que ceux sur lesquels s'appuie la notion de matière, mais l'on vient donc de voir que, à cette dernière étape, ces deux aspects peuvent être suffisamment différenciés pour que l'on puisse bien lire l'effet de lien dû à la présence du personnage qui relie les aspects matériels qui s'ajoutent autour de lui en 1+1 courbes indépendantes.

 

 

Kernos, provenant de Milo ?

Cycladique Ancien III ou Cycladique moyen I (vers 2000 AEC)

 

Sources des images :
https://www.pinterest.fr/pin
/536702480567339528/


 


Kernos provenant de Mélos

(même datation)

 

et http://cartelfr.louvre.fr/
cartelfr/visite?srv=car_not_
frame&idNotice=5935

 

 

On envisage maintenant un exemple analytique de la même étape : un Kernos aÌ€ neuf godets qui provient peut-être de Milo, en GreÌ€ce, et qui correspond à la culture du Cycladique Ancien III (vers 2200 à 2100 avant notre ère), à moins qu'il ne corresponde au Cycladique moyen I un peu plus tardif. On dira donc qu'il date environ de 2000 avant notre ère, tout comme cet autre Kernos provenant de Mélos dont les godets sont plus nombreux et rangés sur deux cercles concentriques. Dans les deux cas, les godets, qui servaient peut-être à des offrandes rituelles, sont soutenus par un noyau central massif servant aussi également de godet. On analysera plus spécialement le Kernos à neuf godets.

Notre esprit lit facilement qu'il y a là une organisation géométrique circulaire, et il peut aussi y reconnaître une autosimilarité d'échelle de type 1/x puisque sa forme circulaire d'ensemble est présente dans la forme de l'ouverture circulaire de tous les godets. Matériellement, les godets s'additionnent les uns à côté des autres en 1+1 puisqu'ils ne font pas ensemble une grande forme, hormis le grand cercle que lit notre esprit et qui résulte de leur stricte addition en 1+1. Mais tous les godets sont reliés les uns aux autres par des liaisons en partie basse, et ils sont également tous reliés au godet central qui sert d'axe à leur groupe. Pour utiliser l'image introduite au chapitre 15.0, ce godet central et les liaisons entre godets sont donc ici l'équivalent du sac qui tient ensemble les billes d'un paquet de billes.

La notion de matière est portée par un effet de continu/coupé : matériellement, c'est bien à des séries continues de godets coupés les uns des autres que nous avons affaire.

La notion d'esprit est portée par l'effet de lié/indépendant : notre esprit lit que tous ces godets indépendants, car séparés les uns des autres sur la plus grande partie de leur surface, sont liés entre eux par des attaches locales et sont tous liés au grand godet central sur lequel ils sont suspendus.

La relation entre les deux notions est prise en charge par un effet d'intérieur/extérieur : l'extérieur matériel des différents godets est à l'intérieur du groupe de godets que lit notre esprit.

L'effet global perceptible d'emblée est celui de fait/défait qui se rapporte au contraste entre la continuité des godets qui est faite en leur partie basse mais complètement défaite dans leur partie supérieure, et à la continuité de surface qui est faite dans la base du godet central mais défaite au niveau des godets supérieurs qui laissent de larges trous entre eux. La forme se répand en relié/détaché puisque les godets sont à la fois reliés et détachés les uns des autres. Elle s'organise dans un effet de centre/à la périphérie : chaque godet correspond à un centre d'intérêt visuel séparé, dans le cas du Kernos de Milo ces centres visuels sont répartis sur toute la périphérie de l'objet et notre regard oscille constamment entre la perception de ces godets à la périphérie et celle du godet principal au centre de la forme, dans le cas du Kernos de Mélos chaque ouverture ronde forme un centre visuel entouré sur toute sa périphérie de centres visuels similaires. L'effet d'entraîné/retenu résume les précédents : la grande indépendance des godets nous entraîne à croire que chacun tient en l'air isolément, mais nous en sommes retenus quand nous considérerons les liens qui les attachent entre eux et au godet central, et par ailleurs leur grand nombre nous empêche de nous fixer sur l'un puisque, dès que nous nous laissons entraîner à le faire, nous en sommes retenus par la présence visuelle tout aussi forte des godets voisins qui nous entraînent à plutôt en regarder un autre.

 

 

À partir de cette étape la Chine sera incluse dans la filière pré-naturaliste, en commençant par la culture de Liangzhu qui s'est développée autour de la région actuelle de Shanghai vers 3300 à 2300 avant notre ère. Les Congs en jade sont des objets rituels caractéristiques de cette culture. Ils consistent en tubes plus ou moins longs sur lesquels des masques plus ou moins schématiques de Taoties (animaux imaginaires empruntant certains de leurs traits au dragon) forment des alignements verticaux écartés les uns des autres et en relief plus ou moins prononcé sur la surface du tube. On donne un exemple de Cong où les masques sont très détaillés et sur seulement deux rangées, et un autre exemple, de la période tardive de cette culture, où les masques sont plus schématiques et s'étagent cette fois sur neuf niveaux, sachant qu'il en existe avec un nombre d'étages encore plus important.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Culture de Liangzhu en Chine (vers 3300 à 2300 AEC) :

À gauche, jade de type Cong avec décors de Taoties

À droite, jade de type Cong avec masques d'époque tardive (vers 2400 AEC)

Sources des images : http://www.chinaknowledge.de/History/Myth/personstaotie.html et https://www.metmuseum.org/art/collection/search/72376

 


 

Même si les reliefs de ces masques par rapport au tube qui les porte sont très discrets en comparaison de la façon dont les godets des Kernos s'accolaient tout en gardant une forte indépendance, on comprend bien que le principe d'unités élémentaires semblables tenues ensemble sur un support central est similaire dans les deux cas. Dans le Cong à deux niveaux, notre esprit est attiré par le fin dessin des masques, dans le haut Cong, il est sensible à la géométrie et au principe de la division régulière en étages, eux-mêmes sous-divisés en bandes de reliefs horizontaux formant autant d'étages à l'intérieur de chaque étage de masque. Dans tous les cas, il est sensible au caractère régulier des alignements verticaux des différents masques et au caractère régulier des divisions horizontales qui les séparent. De façon générale, les divisions et redivisions d'un Cong impliquent le type 1/x pour leur organisation, celle-ci dépendant de l'esprit de l'artiste et intéressant spécialement notre esprit.

Pour sa part, la masse matérielle de ces objets s'organise sous forme de masques aux arêtes anguleuses accrochés sur un volume principal qui les tient ensemble tout en préservant leur autonomie. Tous ces masques s'ajoutent verticalement en files de 1+1 volumes, et chacune des colonnes ainsi formées s'ajoute horizontalement en 1+1 avec ses voisines.

On a donc ici les ingrédients propres à une dernière étape de la filière pré-naturaliste : les éléments qui relèvent de l'esprit sont du type 1/x, ceux qui relèvent de la matière sont du type 1+1, et ces derniers sont fermement rassemblés par un lien vertical bien affirmé qui joue, toujours pour reprendre la même image, le rôle du sac qui tient ensemble les billes d'un paquet de billes.

Il n'est pas utile d'analyser les effets plastiques qui sont semblables à ceux des Kernos cycladiques organisés de façon très similaire. On évoque seulement l'effet de fait/défait qui s'exprime ici de façon plus évidente que dans le cas des Kernos : une complexité de formes et de détails de formes est faite à l'endroit des masques, mais la surface du tube qui porte ces masques est complètement lisse, ce qui implique que toute complexité et tout détail de forme y sont défaits.

 

 

 

15.4.  Dans la phase de 2d confrontation au cas par cas du cycle matière/esprit, les cinq étapes de la sculpture pré-animiste :

 

 

15.4.1.  La première étape de la sculpture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

À ce jour il semble que n'ait été retrouvée aucune expression artistique produite par une civilisation suffisamment ancienne pour correspondre à la première étape de la filière pré-animiste.

 

15.4.2.  La deuxième étape de la sculpture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

 



Çatal Höyük, Turquie : statuette de femme découverte en 2016 (vers 6000 AEC)

 

Sources des images : https://www.lhistoire.fr/pr%C3%A9histoire-quoi-de-neuf-sur-les-femmes et https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/une-statuette-de-plus-de-8000-ans-decouverte-en-turquie_105065

 

 

Pour cette étape qui, dans la filière pré-animiste, correspond à la période allant approximativement de 9600 à 5000 avant notre ère, on aurait pu donner l'exemple de la fameuse « Dame aux fauves » en terre cuite du site de Çatal Höyük en Turquie. On lui préférera une statuette en marbre découverte plus récemment sur le même site et qui a l'avantage d'être en parfait état.

Autant le galet de Lepenski Vir avait une forme compacte et indivisée, autant cette sculpture a une forme à la fois compacte et clairement divisée en de multiples parties : son ventre, ses fesses, ses seins, ses bras, sa tête, ses jambes et ses pieds. Cela en fait une figure relevant du type 1/x pour ce qui concerne sa masse matérielle, c'est-à-dire si l'on s'intéresse au jeu de ses volumes sans se préoccuper de ce qu'ils représentent. Notre esprit ne peut toutefois manquer de s'apercevoir qu'il s'agit d'une femme, même si bien de ses aspects sont très étranges, voire impossibles pour certains. Ces étrangetés ne correspondent à aucune organisation d'ensemble et elles s'ajoutent plutôt en 1+1 : il y a d'abord sa corpulence et sa masse graisseuse assez inhabituelles, mais il y a surtout ses pieds aux formes quasi cylindriques tout à fait impossibles, ses avant-bras et ses mains d'une taille anormalement maigre et étriquée en comparaison du reste du corps, enfin le creux complètement absent de l'orbite de ses yeux. Caractère 1/x pour ce qui concerne son aspect matériel, 1+1 pour ce qui relève de l'esprit, on est donc dans la filière pré-animiste et, comme ces deux aspects peuvent assez bien se séparer, avec une figurine d'expression analytique.

À la deuxième étape la notion de matière est portée par l'homogène/hétérogène : c'est de façon homogène que sont utilisées des dispositions graisseuses excessives qui sont hétérogènes à l'aspect habituel d'une femme, et dans cette homogénéité graisseuse, des anomalies comme celle des avant-bras fluets et des pieds arrondis forment autant d'hétérogénéités. On peut aussi considérer que la surface blanche de la statue forme une continuité homogène dans laquelle c'est l'hétérogénéité de plusieurs replis qui génère les divisions et les détails de son volume.

L'effet de rassemblé/séparé porte la notion d'esprit : notre esprit lit la présence d'un personnage doté d'un esprit en repérant que ses différents volumes graisseux sont clairement séparés les uns des autres et tous rassemblés dans une figurine globalement compacte. Cela vaut notamment pour le ventre dont la vue de profil montre qu'il est bien séparé du bas-ventre, même s'il retombe complètement dessus, ainsi que pour les seins que ses mains tiennent bien séparés de son thorax.

C'est un effet de continu/coupé qui rend compte de la relation entre les deux notions : la masse matérielle de la statue forme un volume continu dans lequel notre esprit repère des sous-volumes coupés les uns des autres ainsi qu'on vient de les décrire.

L'effet d'ensemble/autonomie est l'effet global qui nous apparaît d'emblée : toutes ses rondeurs graisseuses autonomes forment ensemble le volume trapu de cette femme. La forme se répand au moyen d'une expression synthétique de l'effet d'ouvert/fermé : ces rondeurs apparaissent comme gonflées de l'intérieur, c'est-à-dire comme cherchant à s'ouvrir par agrandissement, tandis qu'elles restent des formes bien compactes, bien closes, bien fermées. Son organisation est basée sur l'effet de ça se suit/sans se suivre, lequel correspond principalement au fait que l'apparence de la statuette suit l'apparence d'une véritable femme, mais sans la suivre vraiment à cause des anomalies que l'on a décrites. Ces trois effets sont résumés par celui d'homogène/hétérogène, déjà envisagé.

 

On rappelle que, avec les sculptures de la deuxième étape de la filière pré-naturaliste, on a donné des exemples d'expressions synthétiques de la filière pré-animiste à la même étape.

 

 

15.4.3.  La troisième étape de la sculpture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

 



 

Ur, vers 4500 avant notre ère

À gauche : terre cuite de fin de la culture d'Obeid

Ci-dessus : Dieux Anunnaki de Mésopotamie, Nammu et le bébé Enki

 

Source des images : L'Orient Ancien aux Éditions Terrail (1997) et https://www.pinterest.fr/pin/337910778282770568/

 

 

Cette étape nous ramène à la fin de la culture d'Obeid en Mésopotamie, vers 4500 avant notre ère, c'est-à-dire approximativement à la même époque que celle du « temple du niveau VII » envisagé pour l'architecture.

La figurine en terre cuite qui nous servira d'exemple a une curieuse tête reptilienne. Pour mieux constater l'étrangeté du visage des personnages modelés à cette époque, on donne le détail d'une autre terre cuite représentant une déesse allaitant son bébé. Hormis l'allure reptilienne de sa tête, et peut-être aussi ce qui pourrait correspondre à des cicatrices rituelles sur les épaules, le personnage est globalement d'allure normale, ce qui fait que cette bizarrerie qui surprend notre esprit est une anomalie qui s'ajoute de façon saugrenue en +1 sur le reste du personnage. Quant à son apparence matérielle, cette femme a une allure bien compacte divisée en multiples parties clairement discernables : son torse et ses jambes, ses bras, ses seins, sa tête, sa coiffure. Le bas de son corps est lui-même divisé en plusieurs parties  bien repérables, son ventre et chacune de ses jambes, tandis que ses bras et ses avant-bras s'érigent en divisions mieux affirmées, tout comme les pétales qui forment la fleur de sa coiffure. Au total, la matérialité de cette sculpture relève donc du type 1/x.

À la troisième étape, l'effet qui porte la matérialité est le rassemblé/séparé : comme on vient de le détailler, l'apparence matérielle du personnage est faite de multiples parties visiblement séparées et rassemblées dans une même unité.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le synchronisé/incommensurable : l'aspect reptilien de la tête qui frappe particulièrement notre esprit donne l'impression d'être parfaitement synchronisé avec le corps de la femme bien qu'il s'agisse de réalités incommensurables.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est le lié/indépendant : notre esprit considère que la tête reptilienne constitue une anomalie qui doit être lue indépendamment du reste du personnage, ce qui n'empêche pas que cette tête soit matériellement parfaitement liée au reste de son corps.

L'effet qui nous apparaît d'emblée est le rassemblé/séparé, déjà évoqué. La forme se répand par un effet de synchronisé/incommensurable également déjà envisagé. Elle s'organise par différents effets de continu/coupé : le bas du corps constitue une forme très continue cependant découpée en diverses parties par un fin dessin en creux ; les bras se relient en continu avec le corps par l'intermédiaire des mains qui s'attachent aux hanches, mais ils sont détachés de celui-ci, et donc coupés de celui-ci au niveau du torse ; les bras et les avant-bras forment une suite continue cependant coupée par un changement de direction très prononcé ; les épaules ont un profil continu coupé à plusieurs reprises par des pastilles de scarification ; la tête est continue avec le corps tout en étant coupée de lui du fait de l'étrangeté de son museau allongé ; enfin, la coiffure continue le haut de la tête tout en étant visuellement bien tranchée de celle-ci. L'effet qui résume les précédents est le lié/indépendant, déjà envisagé.

 

 

 



Tell Brak, Haute Mésopotamie : « Idoles aux yeux Â» (vers 3300-3000 avant notre ère)

 

Source des images : https://ancientarchives.wordpress.com/2014/04/04/unique-mysterious-figurines-with-enormous-eyes-eye-idols-of-tell-brak/

 

 

On donne un autre exemple, peut-être plus caractéristique de la troisième étape de la filière pré-animiste, celui de ces curieuses figurines du site de Tell Brak, conventionnellement appelées les « Idoles aux yeux » et datant de 3300 à 3000 environ avant notre ère. On avait prévenu que les sculptures de cette phase ontologique, puisqu'elles mélangent matière et esprit, ne donnent lieu qu'à des créatures étranges : celles-ci le sont très spécialement.

Du fait de la présence d'yeux et de la vague présence d'un cou et d'un corps, on suppose qu'il s'agit d'êtres dotés d'un esprit, mais avec ces yeux qui mangent tout leur visage, ces corps sans membres qui parfois se regroupent à plusieurs dans une même continuité, c'est vraiment de façon « limite » que l'on y reconnaît des images de personnages. À la différence du galet de Lepenski Vir qui nous semblait un personnage ayant avalé une pierre ovoïde trop grosse pour lui, ici nous pensons plutôt à des plaquettes de pierre dotées de détails les faisant bizarrement ressembler à des personnages. Les aspects qui nous font reconnaître la présence de personnages et relèvent donc de l'esprit sont très ténus, très étranges, et l'on se demande même si ce que l'on voit a du sens, de telle sorte que l'on peut dire qu'ils s'ajoutent en +1 à la matérialité de ces plaquettes en pierre. De leur matérialité, par contre, on peut dire qu'elle est toujours à la fois compacte et clairement divisée, notamment par la différence de forme entre les groupes d'yeux et les corps dont ils sont bien séparés par des cous : la matérialité relève donc du type 1/x.

L'effet qui porte la notion de matière est le rassemblé/séparé : comme on vient de le voir, la matérialité de ces personnages correspond au rassemblement de parties bien séparées.

L'effet de synchronisé/incommensurable porte la notion d'esprit : l'aspect des yeux est suffisamment synchronisé avec ce que l'on connaît de leur aspect habituel pour que l'on y reconnaisse les yeux d'humains dotés d'un esprit, et la même chose vaut pour les corps et pour les cous, mais en même temps ils sont tellement sans relation avec l'aspect normal de ces attributs humains que ces figurines nous semblent incommensurables avec l'aspect normal d'êtres dotés d'un esprit.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est celui de lié/indépendant : matériellement, les différentes parties de ces formes sont liées dans une totalité continue et compacte, mais notre esprit décompose chacune de ces unités en parties aux significations distinctes et donc indépendantes : un corps, un cou, des yeux énormes. Et c'est aussi notre esprit qui lit plusieurs personnages indépendants dans une unité matérielle dans laquelle ils sont liés.

L'effet qui nous apparaît d'emblée est le rassemblé/séparé : les yeux et leur corps apparaissent immédiatement séparés et rassemblés par le cou, tandis que chaque œil, repérable séparément, est rassemblé avec son ou ses voisins. Dans plusieurs cas, les personnages sont perceptibles en tant qu'unités séparées du fait que leur cou est individuellement repérable tout en étant simultanément rassemblés avec d'autres, soit au niveau de leur corps qu'ils ont en commun avec leur voisin, soit au niveau de leurs yeux qui forment une frise continue englobant plusieurs personnages. La forme se répand selon l'effet de synchronisé/incommensurable que l'on a déjà envisagé. Elle s'organise selon un effet continu/coupé qui se lit verticalement dans une continuité entre corps et yeux qui est coupée au niveau du cou, horizontalement dans les bandes continues d'yeux coupés les uns des autres, et horizontalement aussi dans les corps continus coupés les uns des autres. L'effet de lié/indépendant qui résume les précédents a déjà été évoqué.

 

 

15.4.4.  La quatrième étape de la sculpture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

 


Statue du temple d'Abu à Tell Asmar, Irak (vers 2700 AEC)

 

Source de l'image : https://klimtlover.wordpress.com/mesopotamia-and-persia/mesopotamia-and-persia-sumerian-art/

 

 

Une statue en gypse aux yeux grands ouverts, en coquillage et calcaire noir, trouvée avec onze autres dans un dépôt sous le sol du temple du dieu Abu sur le site de Tell Asmar, dans l'Irak actuel. Ce personnage pourrait être un dieu ou un orant, il tient un gobelet dans ses mains jointes.

Matériellement, il a une forme unifiée divisée en parties bien repérables que sont sa tête, son torse, ses bras, son habit et le bas de ses jambes : sa matérialité relève du type 1/x. Plusieurs détails anormaux concernant son aspect en tant qu'être doté d'un esprit se répartissent en divers endroits de son corps : ses yeux exorbités trop ronds, sa barbe découpée en crans trop géométriques, son torse beaucoup trop petit, le bas de ses jambes trop cylindrique. Ces déformations qui attirent l'attention de notre esprit ne correspondent à aucune logique globale, systématique, et l'on est donc obligé de convenir qu'elles s'ajoutent ici ou là en 1+1 déformations autonomes. Matérialité 1/x et type 1+1 pour ce qui relève de l'esprit,  nous sommes dans la filière pré-animiste, et dans une expression analytique puisque ces deux aspects peuvent assez bien être séparés.

À la quatrième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le synchronisé/incommensurable : la figure sculptée est suffisamment synchronisée avec l'apparence matérielle d'une personne réelle pour réussir à l'évoquer, mais elle comporte tellement de bizarreries qu'elle est cependant incommensurable avec une telle apparence.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le continu/coupé. On renvoie à l'analyse de cet effet dans la statuette « aux bras croisés » de la culture de Kéros-Syros du Cycladique Ancien II de la filière pré-naturaliste et de la même étape qui comporte beaucoup de similarités avec celle-ci. On peut y ajouter la barbe qui est obtenue par la répétition continue de trois fragments coupés horizontalement les uns des autres, chaque fragment étant lui-même obtenu par la répétition continue de plis nettement coupés visuellement les uns des autres.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est le même/différent : matériellement, il s'agit d'une seule et même statue, réalisée de façon homogène dans un même matériau, mais notre esprit la décompose en un assemblage de volumes très différents les uns des autres au point de la lire comme un ensemble assez hétéroclite.

L'effet de même/différent est aussi celui qui nous apparaît d'emblée. L'hétéroclisme des diverses formes du personnage nourrit l'effet d'intérieur/extérieur par laquelle la forme se répand : l'incompatibilité des parties les unes avec les autres fait que l'on ressent que les parties hautes de la statue n'ont rien à faire avec sa partie basse et qu'elles sont donc comme extérieurs à elle. Que vient faire, en effet, un torse si menu et de si faible hauteur sur un corps bien plus volumineux, et quel rapport peut-il avoir avec ces bras eux aussi de proportions nettement supérieures, et que vient faire là une tête à la barbe et aux yeux si bizarres ? La forme s'organise par un effet d'un/multiple qui rejoint l'effet de même/différent déjà envisagé. Enfin, l'effet de regroupement réussi/raté résume les précédents en nous laissant penser que toutes ces parties disparates ont réussi à se rassembler pour faire un personnage convaincant, mais ce regroupement est raté car cet assemblage ne forme finalement qu'une statue hétéroclite.

 

 

15.4.5.  La cinquième et dernière étape de la sculpture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

 


Tello, ancienne Girsu, seconde dynastie de Lagash : statue de Gudea dite « anépigraphe Â» ( vers 2120 AEC)

 

Source de l'image :  https://www.pinterest.fr/pin/334251603578085802/?lp=true

 

 

Nous restons d'abord en Mésopotamie avec une statue en pied de Gudea, prince de Lagash, qui date approximativement de 2120 avant notre ère.

Le caractère compact de la masse matérielle de cette statue s'impose d'emblée. Elle est aussi divisée en parties bien séparées : le socle d'où émerge le pied, le bras droit, ses deux mains serrées l'une contre l'autre, la tête et sa couronne. Son aspect matériel relève donc du type 1/x. Notre esprit s'intéresse à des aspects très dispersés sur le volume de la statue : le trou béant, brutalement percé, d'où émergent les pieds, les petits volumes saillants qui dessinent les muscles du bras droit et le détail des doigts bien séparés les uns des autres contrastant fortement avec le lisse du reste de la statue, les reliefs fortement marqués du visage qui contrastent aussi avec l'absence de relief marqué sur la partie principale du corps et du socle, et qui contrastent aussi avec la trame régulière et peu profonde de la couronne. Tous ces effets plastiques très affirmés qui captent l'intérêt de notre esprit sont dispersés en des endroits très différents, et tous ils tranchent avec l'allure lisse aux formes très atténuées de la partie principale de la statue. Ils s'y ajoutent donc en contrariant chaque fois son aspect compact et émoussé, ce qui revient à dire qu'ils s'y ajoutent en 1+1 les uns après les autres.

Matérialité du type 1/x et 1+1 détails qui captent l'intérêt de notre esprit, on est dans la filière pré-animiste. Toutefois, même s'ils constituent autant d'événements plastiques bien séparés les uns des autres et attirant chaque fois pour eux-mêmes l'intérêt de notre esprit, tous ces violents événements plastiques sont reliés entre eux par le volume lisse aux formes émoussées de la partie principale de la statue. On a là les ingrédients attendus pour la dernière étape de la filière pré-animiste : les aspects relevant de l'esprit s'additionnent en 1+1 sur la surface de la statue, et simultanément ils sont bien liés les uns aux autres, en l'occurrence par sa surface continue.

Pour utiliser une nouvelle fois l'image symbolisant cette dernière étape, le volume lisse et continu de la masse matérielle principale de la statue est l'équivalent du sac de billes qui permet de tenir ensemble les billes du paquet de billes, et ce qu'il fait ici tenir ensemble ce sont les 1+1 violents reliefs qui attirent l'attention de notre esprit parce qu'ils tranchent avec le lisse dominant de la statue. On remarquera, et cela est essentiel pour apprécier l'originalité de ce qui se passe à la dernière étape, que cela ne valait pas pour la statue de Tell Asmar de l'étape précédente. Certes, elle était bien compacte elle aussi, et l'allure générale du personnage avec les mains regroupées était très proche de celle de la statue de Gudea, mais le volume de son corps était trop décomposé et ses diverses parties étaient trop hétéroclites pour procurer une surface englobante continue sur laquelle peuvent se détacher, de place en place, des effets visuels réunis par cette surface, une surface qui est suffisamment lisse et molle pour gommer toutes les autres aspérités pouvant les concurrencer.

À la cinquième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le continu/coupé : la masse matérielle compacte du personnage à la surface continue est brutalement coupée par la saignée du trou de ses pieds et par la barre en relief de ses deux avant-bras joints.

L'effet qui porte la notion d'esprit le lié/indépendant : les violents effets plastiques indépendants les uns des autres qui captent l'intérêt de notre esprit sont tous liés à la surface lisse de la partie principale de la statue.

C'est un effet d'intérieur/extérieur qui met en relation les deux notions : c'est par un creux intérieur perturbant la continuité extérieure de la masse matérielle de la statue que notre esprit est frappé par la présence des pieds ; c'est parce qu'ils forment un volume accolé à l'extérieur de la masse matérielle de la statue mais lu à l'intérieur de son volume que notre esprit est frappé par la présence des avant-bras ; c'est par les creux ou les reliefs très saillants modelés sur la surface extérieure lisse de la statue et générant chaque fois localement de petits volumes intérieurs que les détails très nerveux des muscles de l'épaule, du bras et de l'avant-bras, attirent l'attention de notre esprit, tout comme le font les détails clairement modelés des doigts, du visage et de la couronne.

D'emblée, on constate que ces violents effets plastiques locaux défont l'aspect lisse et émoussé du reste de la forme, ce qui est un effet de fait/défait. Ils sont reliés à la partie principale de la surface de la statue et s'en détachent visuellement, ce qui correspond à un effet de relié/détaché qui se répand donc sur l'ensemble de la surface. L'effet du centre/à la périphérie s'exprime partiellement par la surélévation des pieds qui fait que l'on ne sait pas qu'elle est vraiment la base d'appui de la statue sur le sol, ce qui nous déstabilise, mais la déstabilisation propre à cet effet est principalement liée à la tendance que nous avons à nous identifier à une statue « à la forme presque humaine », une tendance qui est ici sans cesse déçue du fait qu'elle est trop raide pour y projeter notre sensation corporelle. Ces trois effets sont résumés par celui d'entraîné/retenu : comme on vient de le dire, on est entraîné à projeter imaginairement notre corps sur le volume de la statue, et retenu de le faire à cause de sa trop grande raideur et compacité, mais notre regard est aussi entraîné à parcourir rapidement les surfaces lisses de la partie principale de la statue, ce dont il est retenu par les violents effets plastiques locaux qui arrêtent brutalement la circulation souple de notre regard et retiennent alors notre attention sur les détails des creux et des reliefs qui interrompent le lisse des surfaces.

 

 

 


Guizèh : groupe sculpté du roi Mykérinos encadré par deux déesses, dont Hathor (vers 2500 avant notre ère)

 

Source de l'image : L'Égypte de D. Wildung aux Éditions Citadelles (1989)

 

 

Dernier exemple de sculpture de la dernière étape : l'un des groupes sculptés du roi égyptien Mykérinos accompagné de deux déesses, datant approximativement de 2500 avant notre ère. Avec trois autres sculptures assez semblables, elle a été retrouvée dans la troisième pyramide de Guizèh précisément construite sous le roi Mykérinos, ce qui garantit que ce type de sculpture correspond bien à la même étape que les pyramides qui ont été envisagées, avec leur temple bas et leur rampe fermée, au chapitre consacré à l'architecture égyptienne pour la dernière étape de la filière pré-animiste.

Ce qui importe principalement dans cette sculpture est le grand mur du fond auquel sont accolés et partiellement enfoncés les trois personnages, un mur qui est complété par un retour horizontal sous leurs pieds et par un retour en nervure verticale derrière la jambe avancée du roi, et derrière sa tiare et son cou. Car évidemment, c'est ce mur et ses retours qui assurent ici la fonction de réunir par un lien continu les trois êtres dotés d'un esprit qui sont isolément placés devant lui et qui joue donc le rôle du « sac de billes Â» indispensable pour la dernière étape.

Envisageons d'abord la disposition des trois personnages : ils forment un groupe, mais ce groupe ne correspond qu'à l'addition côte à côte de 1+1 personnages indépendants, sans que cette addition ne génère une forme globale bien repérable dont chacun ne serait qu'une partie au-delà de leur alignement de 1+1 personnages. Considérons maintenant leur adossement au mur dans lequel ils s'enfoncent légèrement, ainsi que la présence de la nervure qui vient buter derrière le roi : cette situation d'enfoncement ou de butée nous empêche de lire ces corps comme des corps autonomes libres de se mouvoir, elle nous oblige au contraire à ressentir chacun de ces corps comme une addition de 1+1 membres, chacun prisonnier de son accolement à un bout de paroi et ne formant pas au total un corps entier autonome coordonnant ses différents membres, c'est-à-dire un être autonome du type 1/x. On peut spécialement remarquer que les deux déesses passent leur main dans le dos du roi puisqu'on les voit collées sur chacun de ses avant-bras, mais le mur du fond engloutit complètement le volume du bras des déesses et ne laisse voir que leurs mains qui sont donc complètement détachées de leur corps et amalgamées à celui du roi, ce qui implique que ces parties de leur corps ont pris leur complète autonomie et ne font plus aucune unité visible avec le reste de leur corps. Tant à l'échelle du groupe des trois personnages qu'à l'échelle de chacun, on retrouve donc le principe d'addition en 1+1, une addition de 1+1 êtres dotés d'un esprit à l'échelle du groupe, et une addition de 1+1 membres ressentis isolément par notre esprit pour ce qui concerne chacun des personnages.

La matérialité de la sculpture, par contre, est certainement bien compacte et continue, notamment grâce à la nervure qui relie les parties éloignées du mur principal, et grâce à ce mur qui va jusqu'à emprisonner la partie arrière des personnages. Cette continuité matérielle n'empêche pas sa claire division en quatre parties : le mur arrière qui se continue dans le sol et dans sa nervure, et chacun des trois personnages qui lui sont accolés. Cette matérialité relève donc du type 1/x.

Matérialité 1/x et type 1+1 pour ce qui relève de l'esprit, on est dans la filière pré-animiste. Et comme on l'a déjà fait valoir, le mur du fond qui se retourne en sol et sa nervure sont ce qui relie ensemble les aspects 1+1 relevant de l'esprit pour correspondre à l'exigence de la dernière étape. Ce sont eux qui jouent le rôle du sac tenant ensemble les billes d'un paquet de billes, mais, par différence avec la statue de Gudea, ce n'est pas une partie du personnage lui-même qui sert de lien pour ses autres parties, c'est une disposition spécifique, indépendante des personnages, qui assure cette liaison. On peut même en dire que ce mur du fond et ses retours ne servent qu'à cela.

L'effet de lié/indépendant qui porte la notion d'esprit est spécialement évident, puisque les personnages dotés d'un esprit qui forment autant de figures indépendantes sont tous liés au mur du fond et au sol qui les rassemble.

Des autres effets on n'évoquera que le fait/défait d'emblée perceptible puisqu'il est la conséquence du principe d'accolement des personnages au panneau du fond et de leur léger enfoncement dans celui-ci : leur corps est bien fait sur la partie avant, il est complètement défait dans la partie qui s'enfonce dans le mur. Même l'arrière de la jambe avancée du roi est défait puisqu'il est caché derrière la nervure à laquelle il s'accole. La raideur très anormale des corps est également un moyen de défaire le réalisme avec lequel ils sont représentés.

 

 

Comme il en allait pour l'architecture, à la dernière étape de la sculpture on observe donc que la mutation qui dote les éléments s'ajoutant en 1+1 d'un lien leur permettant de « faire ensemble Â» sans que ce lien ne s'affirme visuellement comme leur unité globale est :

–         dans le cas de la filière pré-naturaliste, ceux qui correspondent à la notion de matière (les godets des Kernos grecs qui sont tenus ensemble par leur support central, les masques de Taoties des Congs chinois qui sont tenus ensemble par un tube axial) ;

–         dans le cas de la filière pré-animiste, ceux qui correspondent à la notion d'esprit (les détails visuels captant l'intérêt de notre esprit qui sont tenus ensemble par la surface aux formes émoussées de la statue de Gudea, les êtres dotés d'un esprit qui sont tenus ensemble par un mur de fond dans le cas du groupe sculpté de Mykérinos).

 

 

 

 

 

15.5.  Dans la phase de 2d confrontation au cas par cas du cycle matière/esprit, les cinq étapes de la gravure et de la peinture pré-naturaliste :

 

15.5.1.  La première étape de la gravure dans l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

De façon générale, à cette étape qui correspond à la fin du magdalénien et à l'azilien et qui se situe avant le début du néolithique on trouve très peu de peintures rupestres, essentiellement des gravures, et une bonne partie de celles-ci n'est d'ailleurs pas réalisée à même des parois de grotte, plutôt sur des plaquettes de pierre ou sur des os. Comme exemple caractéristique, une gravure réalisée dans la grotte de la mairie à Teyjat, en Dordogne.

 


Grotte de la mairie à Teyjat, Dordogne, France : frise d'aurochs gravée sur une coulée stalagmitique (environ 12000 avant notre ère)

Source de l'image : https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/dordogne/plongee-grottes-du-perigord-1254725.html

 

 


Grotte de la mairie à Teyjat : relevés de N. Aujoulat de l'ensemble des gravures de la coulée stalagmitique

Source de l'image : http://www.teyjat-perigord.fr/grotte.html

 

 

Cette frise d'aurochs a été réalisée sur une coulée stalagmitique et s'intégrait dans une composition plus vaste dont on donne le relevé réalisé par Norbert Aujoulat. Elle comprend deux vaches encadrant un taureau.

Dans le chapitre consacré à la sculpture, pour cette étape on avait donné un exemple de gravure très profonde, celui de femmes volontairement très mal représentées à Fronsac. La frise des aurochs de Teyjat en est presque l'exact contraire puisqu'elle est d'une perfection réaliste assez spectaculaire. La sculpture de cette phase impliquait un mélange des notions de matière et d'esprit conduisant à la réalisation d'êtres monstrueux. Avec la peinture et la gravure fine, nous sommes maintenant complètement dans le domaine de l'esprit, mais l'esprit y est toutefois toujours confronté à la matière sur laquelle il s'exerce. Si les femmes de Fronsac étaient moitié femmes et moitié rocher puisque leur corps non fermé était librement traversé par celui-ci, cette fois les aurochs de Teyjat sont complètement des êtres dotés d'un esprit gravés par un artiste doté d'un esprit sur le fond purement matériel d'une coulée calcaire. Dans les deux cas, l'effet plastique qui s'impose d'emblée est le fait/défait, mais on peut dire que c'était plutôt le versant « défait », car très mal fait, que l'on a rencontré à Fronsac, et que maintenant c'est plutôt au versant « parfaitement fait » que l'on a affaire.

Les animaux sont principalement dessinés par leur contour. À la différence de bien des animaux gravés de la phase précédente, ici les contours sont fermés, et notamment la surface de la paroi n'est pas continue à l'endroit des pieds. Le relevé global des gravures réalisées sur la surface montre que les animaux se dirigent selon des directions incompatibles et que les aspects matériels des animaux s'ajoutent donc les uns aux autres en 1+1. Spécialement importante est la présence de lignes de sol sous les sabots du taureau et de la première vache puisque, sauf erreur, jamais une ligne de sol n'était explicitement dessinée ou gravée dans les représentations de la phase précédente. Non seulement il y a ici une ligne de sol, mais il n'y a pas qu'une seule qui indiquerait alors la position du terrain sur lequel marchent les animaux : il y en a quatre, et qui sont indépendantes les unes des autres puisque non continues et décalées en hauteur. On a donc affaire à 1 bout de sol matériel + 1 autre bout de sol matériel + etc., les morceaux de sol s'ajoutant les uns aux autres en 1+1 sans explicitement faire ensemble un sol continu regroupant ces divers morceaux.

Il n'y a pas un groupe d'animaux mais 1+1 apparences matérielles d'animaux incompatibles entre elles, et le sol matériel n'est pas un sol mais 1+1 morceaux de sol : ce qui relève de la matérialité est du type 1+1. Par contre, chaque animal doté d'un esprit est lu par notre esprit au moyen d'une ligne continue qui le cerne et qui en fait une unité globale, tandis que de multiples méandres et de multiples embranchements pénétrant à l'intérieur de son contour pour détailler l'articulation de ses membres attirent l'attention de notre esprit et le surprennent même par la précision de leur réalisme. Pour ce qui relève de l'esprit, on est donc dans le type 1/x, et dans une filière pré-naturaliste puisque la matière est 1+1.

À la première étape, l'effet qui porte la matérialité est le ça se suit/sans se suivre : la paroi matérielle se poursuit à travers la représentation des aurochs mais ne se poursuit pas puisqu'elle est interrompue par leurs contours ([4]).

Celui qui porte la notion d'esprit est l'homogène/hétérogène : la gravure réalisée par l'esprit de l'artiste et représentant des animaux dotés d'un esprit est réalisée au moyen d'un trait d'épaisseur homogène comportant de multiples hétérogénéités dans sa direction pour donner la forme précise de son contour. Par lui-même, ce trait réalisé par l'artiste doté d'un esprit consiste d'ailleurs en une incision hétérogène creusant la surface homogène de la calcite recouvrant le rocher.

L'effet qui prend en charge la relation entre les deux notions est l'intérieur/extérieur, et cela de deux façons. Principalement, on a affaire à la confrontation entre l'extérieur de la paroi matérielle en calcite et l'intérieur du contour de ces animaux dotés d'un esprit, mais aussi, et plus subtilement, l'observation attentive de chaque animal par notre esprit l'amène à combiner deux perceptions complémentaires : d'une part, son contour matériel 2D depuis l'intérieur de ce contour, d'autre part, les indications 3D du volume extérieur de l'animal données par les tracés qui complètent le contour.

 

 


 

L'effet global qui s'impose d'emblée est le fait/défait : l'aspect parfaitement fait de la représentation réaliste est défait par l'aspect plat et irréaliste de la surface en calcite qui occupe l'intérieur des animaux et qui concurrence leur perception. La forme se répand par un effet de relié/détaché : les gravures se détachent visuellement au moyen de tracés qui relient les différents points de la surface et qui se relient les uns les autres. Elle s'organise par le moyen de l'effet du centre/à la périphérie puisque les figures tiennent dans notre perception et s'y équilibrent visuellement par la perception de leur contour extérieur. Ces trois effets sont résumés par celui d'entraîné/retenu : deux visions se combattent, nous entraînant et nous retenant mutuellement, celle d'une surface plane qui se poursuit indifféremment du dessin gravé dessus, et la présence évanescente et transparente d'un animal en trois dimensions, c'est-à-dire muni d'un volume incompatible avec sa réduction à une surface plane.

 

 


 

 

 


Grotte de Derava, près de Tman, Tchéquie : bouquetin gravé sur une plaquette de schiste (vers 12000 à 10500 avant notre ère)      [relevé par B. Klima, avec quelques retouches pour supprimer le dessin de la plupart des cassures, et une reconstitution locale de la corne du haut ébréchée]

Source de l'image : Source de l'image :  Kozlowski : l'art de la préhistoire en Europe orientale - CNRS EDITIONS - 1992

 

 

Autre exemple, la gravure d'un bouquetin sur une plaquette de schiste, trouvée dans la grotte de Derava en Tchéquie. Elle n'utilise pas le procédé par contour de Teyjat mais au contraire une série de hachures qui remplissent une bonne partie de la surface de l'animal et de ses cornes ([5]).

Notre esprit lit la représentation d'un animal fractionné en multiples hachures correspondant à ses poils et aux détails de son museau et de ses cornes, ce qui relève du type 1/x. Quant à elle, la surface matérielle de la plaquette de schiste n'a pas de forme distincte repérable, elle s'éparpille dans les multiples intervalles et surfaces non hachurées à l'intérieur et à l'extérieur de l'animal et qui, faute de s'organiser dans une forme unitaire de niveau supérieur, s'ajoutent en 1+1.

Du fait qu'il n'y a presque pas de contour extérieur marquant la limite de l'animal, la surface extérieure à celui-ci pénètre assez librement à son intérieur. Cet effet d'intérieur/extérieur porte la relation entre la notion de matière (la surface extérieure de la plaquette) et la notion d'esprit (l'intérieur du corps de l'animal doté d'un esprit et représenté par l'esprit de l'artiste).

 

Cette autre gravure serait analysable de la même façon : une frise de chevaux gravés sur une côte trouvée dans la grotte de Pekarna, en Tchéquie.

 


Grotte de Pekarna, près d'Ochoz, Tchéquie : frises de chevaux gravée sur une côte (vers 11500 à 11000 avant notre ère) [relevé par J. Svoboda]

Source de l'image : http://www.biologus.eu/Pekarna.html

 

 

15.5.2.  La deuxième étape de la peinture et de la gravure dans l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

 


Peinture sur rocher dans la Cave des chevaux du Barranco de Valltorta, province de Castellón, Espagne : Scène de chasse – fac-similé du Musée de Valltorta (peut-être vers 6000 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://bertamolinsblog.wordpress.com/2016/10/03/funcio-de-la-imatge-al-llarg-de-la-seva-historia/prehistoria-espana-pin-neolitico-pintura-mural-de-valltorta-castellon/

 

 

Pour cette étape, deux peintures sur rocher de l'art dit du Levant espagnol. La date exacte de ces peintures n'est pas connue, mais elle est nécessairement postérieure à l'invention de l'arc. L'analyse de son style nous amène à considérer qu'il relève de la deuxième étape qui couvre la période allant approximativement de 8000 à 4000 avant notre ère. D'abord une scène de chasse aux cerfs et aux biches peintes sur rocher dans la Cave des chevaux du Barranco de Valltorta, en Espagne.

Par différence avec toutes les œuvres des périodes précédentes, on a là affaire à une véritable scène, c'est-à-dire que ses différentes parties ne sont pas assemblées en frise régulière ou en face-à-face d'animaux, elles sont intégrées dans la représentation d'un événement qui donne son sens à la position et au détail de l'attitude de chacune. Ici, des archers ont pris en embuscade une troupe de cerfs et de biches et les lardent de flèches. Bien entendu, c'est notre esprit qui lit qu'il y a là une scène d'ensemble et qui comprend le rôle précis de chacun des multiples animaux et de chacun des multiples chasseurs à l'intérieur de cette scène, ce qui implique que les aspects qui relèvent de l'esprit sont du type 1/x.

L'aspect matériel des animaux et des humains est rendu par des silhouettes ou des quasi-silhouettes qui forment autant de taches colorées sur le fond matériel du rocher, et tandis que notre esprit lit l'étagement de la scène dans un espace en trois dimensions, en une sorte de vue axonométrique, les taches colorées de ces silhouettes vivent dans l'espace à seulement deux dimensions de la surface du rocher. Si l'on oublie donc le sens de la scène 3D que déchiffre notre esprit et que l'on s'en tient à la seule organisation matérielle 2D de ces taches colorées, on constate qu'elles n'ont aucune organisation précise cohérente à grande échelle, qu'elles ne génèrent aucune forme globale repérable, bref, qu'elles s'ajoutent seulement en 1+1 taches colorées les unes à côté des autres. Aspects de l'esprit du type 1/x et aspects matériels du type 1+1, on est dans la filière pré-naturaliste.

À la deuxième étape, l'effet qui porte la notion de matière est l'homogène/hétérogène : chaque silhouette correspond à une surface matérielle assez homogène qui, du fait de sa couleur sombre, tranche de façon hétérogène sur le fond matériel clair du rocher.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le rassemblé/séparé : notre esprit lit une scène de chasse qui rassemble de multiples personnages et animaux bien séparés les uns des autres.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est le continu/coupé : la peinture est matériellement organisée au moyen de silhouettes animales et humaines complètement coupées les unes des autres et séparés par la surface nue du rocher, mais notre esprit les restitue dans un espace 3D continu où elles s'intègrent toutes à une même scène de chasse continue.

L'effet qui s'impose d'emblée est l'effet d'ensemble/autonomie : la scène de chasse est l'effet d'ensemble que produit la conjonction de multiples silhouettes autonomes. Cette scène se répand sur la surface en utilisant un effet d'ouvert/fermé dû à la couleur sombre des silhouettes qui bouchent la luminosité du rocher quand celle-ci reste rayonnante, et donc ouverte, sur les surfaces laissées libres de peinture. Cet effet est également lié au contraste entre les silhouettes en aplat au contour fermé du corps des animaux et les silhouettes filaires des personnages, des pattes et des bois des animaux, qui tous dessinent des trajets s'ouvrant vers le lointain. La scène s'organise par un effet ça se suit/sans se suivre lié à son dynamisme : vu leur dessin, on imagine que les animaux représentés courent et que les personnages s'agitent, et l'on s'attend donc inconsciemment à voir la suite de ces mouvements, mais la scène réellement peinte est fixe, figée par l'artiste qui ne rend pas visible la suite des mouvements. L'effet qui résume les précédents est l'homogène/hétérogène, déjà évoqué. À ce qui en a déjà été dit, on peut ajouter que toutes les figures sont traitées de façon homogène au moyen d'un procédé par silhouette à la couleur presque uniforme, mais que ces figures sont très différentes, et donc très hétérogènes entre elles.

 

 

 


Morella la Vella, province de Castellón, Espagne : combat d'archers peints en rouge sombre (de l'ordre de 8000 à 5000 avant notre ère)

Source de l'image : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Morella_(combate-de-arquero.png

 

 

Sans s'appesantir, car les analyses précédentes peuvent y être répétées, on donne un autre exemple de peinture du Levant espagnol, correspondant cette fois à des silhouettes d'archers peints en rouge sombre assemblées pour générer une scène de combat. Elle a été peinte dans la galerie del Roure, sur le site de Morella la Vella.

On insiste seulement sur son dynamisme exacerbé qui fait contraste dans notre perception avec l'immobilité absolue de sa représentation peinte pour produire un effet de ça se suit/sans se suivre : la position suivante ne suit pas.

 

 

 


Cairn de Gavrinis, Morbihan, France : le pilier n° 9 (vers 4000 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01811622/document

 

 

Toujours pour la deuxième étape, l'exemple très différent des gravures réalisées sur le pilier n° 9 du couloir du dolmen de Gavrinis dont on a analysé l'architecture au chapitre 15.1.2.

Matériellement, depuis le bas vers le haut, ces gravures forment une suite d'arcs très arrondis qui s'accumulent en 1+1 les uns à la suite des autres. Cette suite génère un paquet d'arcs à la suite duquel s'ajoute en 1+1 un autre paquet d'arcs lui aussi formé par accumulation de 1+1 arcs très arrondis. Cette accumulation verticale de paquet d'arcs très arrondis génère une bande verticale, et de chaque côté de celle-ci s'accumulent 1+1 paquets d'arcs eux-mêmes formés par l'accumulation de 1+1 arcs très arrondis. Matériellement, on a donc affaire à la génération, sur plusieurs niveaux enchâssés et selon plusieurs directions, de 1+1 arcs très arrondis qui ne forment pas globalement une forme repérable mais seulement un effet d'accumulation de ces 1+1 répétitions.

Pour sa part, notre esprit n'a pas besoin de suivre laborieusement ces accumulations répétées d'arcs arrondis pour lire que la forme d'arc en arrondi est le thème plastique que l'on trouve dans toutes les parties de l'œuvre et qui lui donne son unité. Pour notre esprit, il s'agit donc d'un thème qui relève du type 1/x.

L'effet qui porte la notion de matière est l'homogène/hétérogène : les sillons gravés dans la matière de la pierre sont des hétérogénéités creusées de façon homogène et qui s'étalent en suivant des arcs arrondis qui ont des largeurs homogènes tout le long de leur parcours.

Celui qui porte la notion d'esprit est le rassemblé/séparé : prenant du recul sur ces sillons notre esprit lit que leurs arcs séparés sont rassemblés en paquets, et aussi que ces paquets séparés sont rassemblés côte à côte sur la même surface.

L'effet de continu/coupé met en relation les deux notions : notre esprit repère la répétition continue d'arcs arrondis matériellement gravés dans la pierre et coupés les uns des autres, il repère aussi comment un paquet d'arcs se continue dans le suivant après une brutale coupure dans le rayon des arcs (naissance des paquets verticaux à partir d'un bourgeon dans la partie centrale) ou après la nette coupure d'un tracé droit (naissance des paquets horizontaux dans les parties latérales).

L'effet d'ensemble/autonomie s'impose d'emblée puisque tous ces arcs arrondis autonomes forment ensemble des paquets autonomes, lesquels forment ensemble une colonne verticale sur chaque côté de laquelle d'autres paquets autonomes forment ensemble des files continues.

 

 


 

Les formes se répandent sur la surface par un effet d'ouvert/fermé : l'accumulation, les unes sur les autres, de formes arrondies de plus en plus grandes, génère un effet d'expansion qui donne l'impression que les formes les plus petites s'ouvrent de plus en plus en s'agrandissant de plus en plus, mais il s'agit toujours de formes rondes, et donc fermées sur elles-mêmes (croquis). Elles s'organisent en utilisant un effet de ça se suit/sans se suivre puisque, dans la colonne verticale centrale, les arcs de chaque paquet suivent les arcs du paquet précédent mais sans les suivre puisqu'ils appartiennent à une série d'arcs ayant commencé après la fin du paquet précédent. Les arcs qui se déploient sur les côtés suivent ceux de la colonne centrale puisqu'ils démarrent exactement là où celle-ci s'interrompt, mais ils ne les suivent pas puisqu'ils vont en sens croisé. Déjà évoqué, l'effet d'homogène/hétérogène résume les précédents : d'un endroit à l'autre le principe homogène d'arcs arrondis empilés les uns sur les autres est utilisé de différentes façons, et donc de façons hétérogènes, et l'homogénéité de cette répétition est toujours brutalement interrompue par le démarrage d'une nouvelle série d'arcs arrondis, un démarrage qui correspond à une hétérogénéité qui s'impose à l'issue de chaque répétition homogène.

 

 

15.5.3.  La troisième étape de la gravure dans l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

 


Grande pierre sculptée devant l'entrée du tumulus de Newgrange, Irlande (environ 4000 avant notre ère)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Newgrange

 

 

Une autre gravure réalisée sur la pierre d'un tumulus montrera l'évolution de ce type de graphisme. Elle a été réalisée devant le tumulus de Newgrange, en Irlande, et bien que datant approximativement de la même période que celle de Gavrinis, la façon dont elle découpe la surface est très différente, de même qu'elle est différente de toutes les autres gravures de Gavrinis.

Le thème plastique répété ici est celui de la spirale, plus exactement, celui d'une bande se plissant selon deux directions opposées et s'enroulant ensuite pour former une spirale de plus en plus large. On peut noter que les spirales de la moitié gauche tournent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, à la différence de celles de la moitié droite. Dans certains cas, ce sens s'inverse « en cours de route », tel qu'il en va pour la spirale du bas de la moitié gauche lorsqu'elle pénètre dans la moitié droite de la pierre. De façon générale, on peut dire que ces spirales sont autonomes les unes des autres et qu'elles se butent les unes contre les autres. Dans la partie basse de la pierre, des ondulations continues, aux directions parfois bifurquées et parfois inversées, forment des frises qui relient plusieurs spirales et plusieurs systèmes d'ondulations. À l'extrémité gauche, les spirales laissent place à l'accumulation de quelques carrés, tandis que vers l'extrémité droite c'est le rassemblement des parties externes des spirales et des ondulations voisines qui génèrent la forme de carrés plus ou moins déformés emboîtés les uns dans les autres. En résumé, les formes matérielles gravées ne relèvent d'aucun système d'ensemble et ne génèrent ensemble aucune forme de grande échelle clairement lisible, elles s'additionnent donc en 1+1 les unes à côté des autres.

Pour sa part, notre esprit prend rapidement conscience que le thème des bandes emboîtées les unes dans les autres, le plus souvent courbes, est un thème qui unifie l'ensemble de ces graphismes, un thème qui est ici repris de multiples fois selon de multiples façons différentes, ce qui correspond à une expression du type 1/x : on est dans la filière pré-naturaliste.

À la troisième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le rassemblé/séparé : les différents graphismes séparés les uns des autres et chacun séparant différentes étapes d'enroulement sont rassemblés dans une gravure continue de la matière de la pierre.

Celui qui porte la notion d'esprit est le synchronisé/incommensurable : notre esprit repère que la complexité, l'absence de régularité et l'inversion des sens d'enroulement des formes les rendent incommensurables les unes pour les autres, mais qu'elles parviennent toutefois à se synchroniser pour s'ajuster parfaitement les unes aux autres et pour remplir la surface selon une densité régulière.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est le lié/indépendant : notre esprit lit que toutes les figures spiralant ou en carré correspondent à des formes indépendantes les unes des autres, mais elles sont matériellement liées les unes aux autres, soit par simple accolement, soit par la continuité d'une partie de leurs bandes.

L'effet de rassemblé/séparé est aussi celui qui s'impose d'emblée globalement : les figures se repèrent séparément et sont rassemblées, comme on vient de le dire, par leurs accolements mutuels ou par leurs continuités partielles. Les formes se répandent sur la surface par un effet de synchronisé/incommensurable déjà envisagé. Elles s'organisent par un effet de continu/coupé : les motifs en spirale et les ondulations et carrés plus ou moins déformés forment à petite échelle une surface continue découpée en bandes étroites, et à plus grande échelle cette surface continue est découpée en figures isolées et donc coupées les unes des autres. Ces effets sont résumés par celui de lié/indépendant, déjà évoqué.

 

 

 


Gravures sur roc au Val Camonica dans les Alpes italiennes, détail (entre 5500 et 3300 avant notre ère)

 

Source de l'image : L'art rupestre dans le monde, par Emmanuel Anati, aux Editions Larousse

 

 

Comme second exemple pour la troisième étape, des gravures sur rocher réalisées sur le site du Val Camonica dans les Alpes italiennes. Actuellement, on ne peut que déchiffrer les silhouettes gravées, mais il semble que, à l'époque de leur réalisation, elles étaient également peintes.

L'ensemble représente des personnages dessinés de façon très schématique, pour l'essentiel à l'aide de deux U pour réaliser les bras levés et les jambes écartées, reliés par un « bâton » pour correspondre au corps, un bâton qui se poursuit parfois d'un côté pour représenter la tête et de l'autre côté pour représenter un phallus. Ces personnages ne sont pas tous à la même échelle. Surtout, ils ne sont pas tous dans le même sens puisqu'on peut les lire parfois « la tête en haut » et parfois « la tête en bas », l'indication de cette direction étant le plus souvent donnée par les pieds qui permettent d'indiquer quel est le côté du sol. La lecture des corps matériels de ces personnages ne correspond donc à aucune vue d'ensemble, ni à aucune unité globale puisqu'il faut lire dans un sens pour déchiffrer l'attitude du corps de certains et lire dans le sens inverse pour déchiffrer les autres. Ces corps matériels s'ajoutent donc en 1+1 les uns à côté des autres.

Notre esprit repère facilement que le thème du personnage schématique aux bras levés et aux jambes écartées reliées par un corps en forme de bâton est un thème récurrent, employé de multiples fois et unifiant l'ensemble de la gravure, ce qui correspond donc à une expression du type 1/x pour ce que lit notre esprit.

L'effet de rassemblé/séparé porte la notion de matière : les corps matériels des différents personnages sont à la fois séparés les uns des autres et rassemblés dans un même paquet de personnages.

Notre esprit différencie les personnages selon leurs sens, ce qui implique que l'effet qui porte la notion d'esprit est le synchronisé/incommensurable puisque le remplissage régulier et donc synchronisé de la surface se fait avec des personnages parfois tête en bas et parfois tête en l'air, deux directions qui sont incommensurables pour la perception de notre esprit.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est le lié/indépendant : notre esprit lit que chaque personnage correspond à une figure indépendante, cela bien qu'ils soient tous matériellement liés, soit par l'allure en paquet de l'ensemble de leur groupe, soit par des liens continus qui relient spécialement certains d'entre eux.

L'effet de rassemblé/séparé, déjà envisagé, est celui qui s'impose d'emblée. Les personnages se répandent sur la surface par un effet de synchronisé/incommensurable, également déjà envisagé. L'organisation de la surface en continu/coupé va de soi puisque la trame continue des personnages est générée par des personnages qui sont coupés les uns des autres, soit réellement, soit visuellement lorsqu'on cherche à lire chacun individuellement dans le sens qui lui convient. L'effet qui résume les trois précédent est celui de lié/indépendant déjà décrit ([6]).

 

 

15.5.4.  La quatrième étape de la gravure dans l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

 


Valcamonica, Lombardie, Italie : détail de la face gravée n° 1 du rocher de Borno (vers 2900 à 2700 avant notre ère)

Source de l'image : L'Europe des Origines (Collection l'Univers des Formes), édité chez Gallimard (1992)

 

 

Nous restons sur le site de Valcamonica avec un détail de la face gravée n° 1 du rocher de Borno. La présence de représentations du poignard de Remedello permet de dater cette gravure entre 2900 et 2400 avant notre ère. Le style utilisé pour les animaux permet en principe de réduire cette plage de datation à 2900/2700 environ avant notre ère.

Sur une même image, des personnages, des animaux et des poignards, ces derniers étant absolument gigantesques par rapport à l'échelle des personnages et des animaux. Pour ce qui concerne leur apparence matérielle, les diverses réalités représentées n'ont donc rien à voir les unes avec les autres et s'ajoutent en 1+1 puisqu'elles ne forment pas globalement une vue d'ensemble cohérente et divisible en multiples parties.

Même si nous ne comprenons plus la signification de cet assemblage de poignards, d'humains et d'animaux, avec peut-être un collier ou une écharpe cérémonielle dans la partie haute, on peut supposer que l'artiste qui a réalisé cette gravure comprenait très bien le sens de cette composition. Dans son esprit, il s'agissait d'une scène globale rassemblant de façon significative de multiples composants et relevant donc du type 1/x.

À la quatrième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le synchronisé/incommensurable : les poignards dont la taille est matériellement incommensurable avec celle des personnages et des animaux parviennent à se synchroniser avec eux pour se répartir à peu près uniformément sur une même surface.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le continu/coupé : notre esprit lit une scène continue formée par des dessins coupés les uns des autres, il lit aussi une suite continue de poignards coupés les uns des autres par des écarts ou par des orientations opposées.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est le même/différent : une seule et même composition comporte diverses formes traitées matériellement de même façon par aplats gravés, mais notre esprit les repère comme des réalités différentes : des poignards, des animaux et des personnages. On peut aussi faire valoir que les réalités matérielles évoquées sont très différentes de l'aspect très schématique qui en est donné, alors que notre esprit les considère comme étant les mêmes.

L'effet qui s'impose d'emblée est également le même/différent : une même composition comporte des parties traitées différemment, par aplats gravés pour les unes et par tracés gravés pour l'écharpe cérémonielle ; on a différentes fois un même poignard et différentes fois le même type d'animal à cornes, l'image donnée n'étant d'ailleurs qu'une partie d'une représentation plus grande comportant davantage de figures différentes. La gravure se répand sur la surface par des effets d'intérieur/extérieur : l'extérieur de chacune des figures se repère bien l'intérieur de leur ensemble, et l'incompatibilité d'échelle des différentes figures implique, par exemple lorsque nous considérons les personnages, que les poignards beaucoup trop grands sont expulsés inconsciemment à l'extérieur de la scène bien qu'ils soient à l'intérieur de l'image. Les formes s'organisent en un/multiple : chaque figure est reproduite plusieurs fois de façon identique ou presque, et chaque figure peut être perçue comme une entité globale comportant de multiples parties, que ce soit les poignards qui comportent un pommeau, un manche et une lame, que ce soient les personnages qui comportent un corps, des membres et une tête, les animaux qui comportent un corps, des couples de pattes et un couple de cornes, ou l'écharpe qui comporte de multiples filaments. Ces effets sont résumés dans celui de regroupement réussi/raté : les diverses figures sont regroupées dans une même image dont le regroupement est raté du fait de l'incompatibilité de leurs échelles, et par ailleurs les diverses figures peuvent se rassembler visuellement dans des groupes de figures similaires, par exemple celui des poignards, mais leurs différences de position et d'orientation empêchent la réussite de leur regroupement en figures identiques.

 

 

15.5.5.  La cinquième et dernière étape de la peinture et de la gravure dans l'ontologie pré-naturaliste de 2d confrontation :

 

 


Val Camonica, Italie, Capo di Ponte, bloc n° 3 : rocher avec des pétroglyphes d'hommes recouvant des représentations de bovidés, de cerfs et de hallebardes (vers 2400-2200 AEC)

Source de l'image : catalogue de l'exposition L'Europe au temps d'Ulysse, RNM (1999)

 

 

Nous retrouvons une dernière fois une sculpture sur roche réalisée au Val Camonica avec le bloc n° 3 de Capo di Ponte. Il comporte des rangées régulières d'humains recouvrant en partie des représentations de bovidés, de cerfs et de hallebardes. Il est estimé que ces gravures ont été réalisées vers 2400 à 2200 avant notre ère.

Comme dans l'exemple précédent, on n'a pas affaire à la représentation d'une scène réelle car cette superposition de personnages, de hallebardes et de cerfs, ne peut correspondre à rien de réel, pas plus que l'étagement vertical des bandes de personnages se tenant par les épaules. Les personnages s'ajoutent en +1 aux hallebardes et aux cerfs puisqu'ils se nuisent mutuellement, chaque personnage d'une bande s'ajoute en +1 à ses voisins puisqu'ils ne font rien ensemble sauf une bande de 1+1 personnages, et les bandes s'ajoutent en 1+1 les unes au-dessus des autres puisque leur rassemblement ne forme rien à plus grande échelle. Pour ce qui concerne l'aspect matériel des personnages, des hallebardes et des cerfs, on est donc dans le cas d'une expression du type 1+1.

Pour notre esprit, par contre, cet ensemble se lit comme la superposition, sur une seule surface de densité assez unitaire, de trois trames regroupant chacune de multiples schémas de même type : une trame de hallebardes semblables, une trame de cerfs semblables, une trame de personnages semblables, au corps triangulaire, à la tête toute ronde et aux membres rectilignes, horizontaux pour ce qui concerne les bras et formant un angle toujours identique pour ce qui concerne les jambes. Tout au plus peut-on remarquer que les personnages de l’avant-dernière rangée du haut se différencient par leurs bras frangés et par un décalage vertical de leur rang, et aussi que quelques-uns des personnages de la partie haute disposent d'auréoles. Nous ne pouvons plus comprendre ce que signifie ce type d'image, mais, dans l'esprit des humains de l'époque, il s'agissait certainement d'une représentation symbolique globale qui intégrait plusieurs composantes et de multiples unités graphiques semblables à l'intérieur de chacune de ces composantes, ce qui relevait donc du type 1/x. Matérialité du type 1+1 et type 1/x pour ce qui relève de l'esprit, on est dans la filière pré-naturaliste.

Nous sommes à la dernière étape de la phase de 2d confrontation, et nous ne pouvons manquer de voir que, à la différence de l'étape précédente, toutes les représentations matérielles des personnages, des animaux et des hallebardes, sont non seulement individuellement repérables, mais également toutes reliées les unes aux autres. Dans le cas des personnages, elles le sont par le moyen des tracés continus que forment leurs bras et leurs jambes, parfois complétés par le tracé des ramifications des bois des cerfs, et dans le cas des animaux et des hallebardes la trame des humains se superpose partiellement à eux en permettant ainsi de les relier en continu. Pour utiliser encore une fois l'image du sac de billes qui permet de tenir ensemble les billes d'un paquet billes, son rôle est tenu ici par la trame continue que forment les bras horizontaux des personnages, leurs corps triangulaires et leurs jambes écartées, parfois complétée par les ramifications des bois des cerfs.

À la cinquième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le continu/coupé : la matière du rocher qui forme une surface continue est constamment coupée par les dessins des files de personnages, tandis que l'apparence matérielle de ces personnages forme une trame continue de tracés linéaires constamment coupée par les surfaces triangulaires de leurs corps.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le lié/indépendant : chaque personnage doté d'un esprit peut être repéré individuellement, mais ils sont liés les uns aux autres dans une trame commune.

L'effet qui met en relation les deux notions est l'intérieur/extérieur : du fait de l'interpénétration matérielle de la trame des personnages avec celle des hallebardes et avec celle des animaux, notre esprit qui sait les distinguer peut dire de chacune qu'elle est à la fois à l'intérieur et à l'extérieur des deux autres. Du fait que, dans chacune de ces trois trames, notre esprit peut repérer que chacune de ses parties est bien séparée des autres, il peut aussi en dire que leur extérieur est bien repérable à l'intérieur du groupe des figures semblables à laquelle elles appartiennent matériellement.

Ce que l'on perçoit d'emblée, c'est que la superposition des différentes trames nuit à la lecture de la gravure, mais que, malgré cet inconvénient, on peut les distinguer les unes des autres : c'est un effet de fait/défait. Les formes se répandent sur la surface par un effet de relié/détaché, ce qui vaut pour les personnages qui sont reliés par les épaules tout en se détachant chacun visuellement, et ce qui vaut pour les hallebardes et les animaux qui sont reliés aux bandes de personnages dessinées au-dessus d'eux tandis que leurs larges surfaces permettent de les détacher visuellement. Les formes s'organisent par un effet de centre/à la périphérie : la régularité des trames de personnages permettant que chacun constitue un centre d'intérêt visuel entouré sur toute sa périphérie par des centres visuels semblables. Ce qui vaut aussi pour les ronds de leurs têtes qui forment une autre trame de centres visuels entourés sur toute leur périphérie de centres visuels semblables, d'autant qu'une rangée de ronds a été ajoutée entre les jambes des personnages de l'avant-dernière rangée du haut et entre les têtes de la dernière rangée pour améliorer la régularité de cette trame. Ces différents effets sont résumés par celui d'entraîné/retenu qui est lié à la concurrence des trames qui se superposent en se nuisant réciproquement : chaque fois que l'on se laisse entraîner à spécialement en lire une, on en est retenu par une autre qui en gêne la lecture et nous entraîne à plutôt la lire en remplacement, et réciproquement. Il est aussi lié au foisonnement des personnages en situation identique sans aucune hiérarchie visuelle bien repérable entre eux, même dans le cas des personnages du rang supérieur, ce qui nous empêche de retenir spécialement notre attention sur l'un ou sur l'autre puisque d'autres nous entraînent tout autant vers eux.

 

Pour d'autres exemples correspondant à la dernière étape, de nouvelles gravures sur rocher, cette fois un peu plus à l'ouest dans les Alpes, dans la Vallée des Merveilles située dans le massif du Mercantour des Alpes françaises. Les rochers de cette vallée ont été gravés sur une assez longue période et aucun indice archéologique ne permet de dater ces exemples avec précision, sauf qu'ils relèvent probablement du chalcolithique ou de l'âge du Bronze ancien compte tenu du type de poignard représenté. Ceux que l'on considèrera correspondent tellement à ce que l'on doit attendre pour la dernière étape de cette phase qu'on hésitera pas à les analyser dans ce cadre.

Les deux premiers exemples correspondent à l'association, dans une seule figure, de deux réalités d'échelles matérielles complètement différentes. Le premier correspond au plan d'un enclos de pâturage divisé en de multiples parcelles, la parcelle centrale étant complètement occupée par le corps d'un animal dont la tête et les pattes avant dépassent au-delà du contour de l'enclos. Le second représente la tête d'un bovin, surmonté de ses deux cornes qui se prolongent dans une silhouette de poignard. On peut également lire l'ensemble de la figure ainsi formée comme la représentation schématique d'un poignard un peu plus grand que celui figuré en partie haute. Pour le premier exemple, dans le livre cité en référence des images, Emilia Masson parle d'une « ligature de la terre et de la bête », pour le deuxième d'une « ligature de poignard et de bucrane », un bucrane étant la représentation traditionnelle d'un crâne de bœuf dans les arts de l'antiquité gréco-romaine.

 





 

Massif du Mercantour, Alpes françaises : gravures dans la Vallée des Merveilles, au pied du Mont Bego

Source des images : Vallée des Merveilles – un berceau de la pensée religieuse européenne, par Emilia Masson, éditions Faton (1993)

 

Dans les deux cas, notre esprit lit chaque figure comme l'association dans un seul schéma de deux réalités différentes, ce qui relève d'une expression du type 1/x. D'un point de vue matériel, les réalités ainsi combinées sont représentées à des échelles incompatibles, de telle sorte que ces deux matérialités combinées s'ajoutent en 1+1. L'assemblage de ces deux réalités matérielles dans une figure continue les relie cependant entre elles malgré leur incompatibilité, mais sans donner lieu à une unité globale matériellement plausible, ce qui correspond à ce que l'on doit attendre pour la dernière étape de la phase ontologique où ce qui attache ensemble les matérialités qui s'ajoutent en 1+1 ne joue que le rôle d'un « sac de billes Â».

On n'envisagera pas tous les effets plastiques concernés, seulement celui d'intérieur/extérieur qui rend compte de la relation entre les deux notions et qui est ici porté par l'incompatibilité de la taille respective des deux réalités assemblées : comme elles sont matériellement assemblées dans une même figure elles sont toutes les deux à l'intérieur de cette figure, mais lorsque notre esprit veut considérer l'une d'elles et penser à sa réalité, il est obligé de considérer que l'autre correspond à une réalité qui lui est complètement distincte, et donc à une réalité qui lui est extérieure.

 

Les deux dessins de droite correspondent probablement à des personnages qui agitent en tournant un objet tenu par une corde. Ce qui nous intéressera est la façon dont leur corps est chaque fois scindé en deux profils face-à-face, du moins dans la moitié basse de leur corps. Dans le premier cas, on peut penser qu'il s'agit de deux profils masculins, dans le second cas, il semble que le profil de droite soit féminin tandis que le profil de gauche dispose d'un sein, comme une femme, mais aussi d'un phallus, comme un homme.

Chaque fois, notre esprit considère qu'il s'agit d'un être à la fois un et multiple, ce qui relève du type 1/x, mais les différents aspects de la matérialité de ces êtres sont incompatibles puisqu'on ne peut voir en même temps le profil gauche et le profil droit d'une même personne et que ces deux profils ne peuvent donc jamais se trouver face à face. L'incompatibilité de ces aspects matériels fait donc qu'ils s'ajoutent l'un à l'autre en 1+1, mais chaque fois la partie haute des personnages relie ensemble leurs parties basses sans pour autant donner forme à une unité globale plausible : ce type d'image appartient donc à la dernière étape de la phase ontologique puisque la partie haute des personnages joue seulement le rôle d'un « sac de billes Â» tenant ensemble les deux parties basses qui, par ailleurs, s'ajoutent en 1+1.

L'effet d'intérieur/extérieur est également bien affirmé : les deux parties à l'intérieur matériel d'un même personnage se font face, et pour notre esprit sont donc deux parties qu'il est impossible de voir ensemble et qui sont par conséquent extérieures l'une pour l'autre. Par ailleurs, les ventres, les seins et les phallus sont vus de l'extérieur mais ils sont aussi à l'intérieur du rectangle formé par les deux lignes de profil face à face.

 

 

 


Culture de Dawenkou, Chine : vase à fond pointu et haut col de type guan (vers 3500 avant notre ère)

Source de l'image : https://fr.wikipedia.org/wiki/
Fichier:Jar,_flower_%26_leaf_design,_
Dawenkou_Culture,_3500_BCE.JPG

 

 

Comme dernier exemple d'une filière pré-naturaliste, nous retournons en Chine pour un vase réalisé en poterie relevant de la culture de Dawenkou, une culture qui s'est développée approximativement à partir de 4300 avant notre ère dans le cours inférieur du fleuve Jaune, au nord-est de la Chine, en contact important avec la culture contemporaine de Yangshao qui se développait alors dans le cours moyen de ce même fleuve.

La lecture du motif peint sur ce vase est déroutante. On peut lire qu'il s'agit de pétales de fleurs ou de feuilles ramifiées dessinées en orangé, ou bien qu'il s'agit de tracés de couleur sombre, parfois filiformes, parfois élargis en surfaces vaguement triangulaires, et reliant des ronds régulièrement espacés sur la surface. Ces ronds de couleur sombre peuvent aussi être lus comme le cœur des fleurs dont les pétales s'étalent autour d'eux, et ils se retrouvent également à l'extrémité de chaque pétale, de telle sorte que chaque pétale appartient simultanément à deux fleurs différentes.

Comme dans le cas des personnages aux deux profils incompatibles des exemples précédents de la Vallée des Merveilles, on retrouve ici un effet d'intérieur/extérieur qui provient de l'incompatibilité, pour un pétale de fleur, d'appartenir simultanément à deux fleurs différentes : lorsqu'on considère qu'un pétale est matériellement à l'intérieur d'une fleur, notre esprit doit admettre qu'il est à l'extérieur de la fleur voisine, cela malgré les indications visuelles qui nous disent qu'il est à son intérieur.

Devant ce motif continu de pétales qui tapissent toute la surface de la moitié supérieure du vase, notre esprit considère qu'il y a là un motif constitué de multiples fleurs assemblées, ce qui relève du type 1/x. Par contre, les matérialités de ces différentes fleurs sont incompatibles entre elles puisque, comme on l'a vu, un pétale ne peut pas appartenir à deux fleurs à la fois. Les matérialités de ces fleurs étant incompatibles, elles s'ajoutent l'une à l'autre en 1+1 sans rien faire ensemble de matériellement possible à plus grande échelle. On est donc dans le cas d'une filière pré-naturaliste.

Bien qu'elles soient incompatibles et ne peuvent donc pas matériellement s'associer, toutes ces fleurs sont tenues ensemble par les liens continus que forment les tracés de couleur sombre qui relient les centres ronds des fleurs, des tracés qui sont encore une fois l'équivalent du sac de billes tenant ensemble les billes d'un paquet de billes qui ne tiendraient pas ensemble si ce sac ne les forçait à s'arrimer les unes aux autres. Des tracés qui, encore une fois aussi, ne sont pas intégrés dans une forme bien lisible que l'on pourrait lire en tant qu'unité globale rassemblant les multiples pétales de fleurs qu'ils réunissent.

 

 

 

15.6.  Dans la phase de 2d confrontation au cas par cas du cycle matière/esprit, les cinq étapes de la peinture pré-animiste :

 

 

15.6.1.  La première étape de la peinture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

Comme pour la sculpture, il semble qu'aucune civilisation relevant de la filière pré-animiste n'ait laissé des expressions artistiques qui ont été conservées et qui correspondent à la première étape.

 

15.6.2.  La deuxième étape de la peinture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

 


Çatal Höyük, Turquie : scène de chasse à l'aurochs. En haut, reconstitution moderne ; en bas, détail de l'état actuel de la scène (vers 6000 avant notre ère)

 

Source des images : https://www.artranked.com/topic/Catal+Huyuk

 

 


 

 

 

D'abord une fresque de Çatal Höyük, en Turquie, représentant une scène de chasse à l'aurochs. Comme la statuette de Çatal Höyük analysée au chapitre consacré la sculpture, il est estimé qu'elle date d'environ 6000 avant notre ère. On peut considérer que cette fresque est l'équivalent de la scène de chasse aux cerfs de Valltorta du Levant espagnol, analysée pour la même étape mais dans la filière pré-naturaliste.

On donne une reconstitution de l'ensemble de cette fresque, mais son état actuel fait penser que l'original contenait de multiples nuances de couleur dont cette reconstitution ne rend pas compte.

Tout comme dans la peinture de Valltorta, il s'agit d'une véritable scène mettant en relation des animaux et des humains à l'occasion d'une action unique, ce qui n'était jamais le cas à l'époque paléolithique. À Valltorta notre esprit la lisait comme une scène d'ensemble cohérente, s'étageant dans la profondeur d'une vue axonométrie dans laquelle l'échelle relative de tous les participants était préservée, ce qui permettait d'y reconnaître le type 1/x puisqu'il s'agissait d'une scène contenant de multiples parties équivalentes entre elles.

À Çatal Höyük par contre, l'échelle des peintures n'est pas la même pour l'auroch bien trop grand et pour les personnages, et ceux-ci semblent même sans raison avoir des dimensions qui varient presque du simple au double. Dans cette scène, c'est bien entendu le rôle principal de l'aurochs pourchassé qui explique sa dimension anormalement gigantesque, et c'est peut-être parce qu'ils sont dans des situations spécialement périlleuses, juste au-devant de l'aurochs, que certains personnages sont plus grands que d'autres. Même s'il y a de bonnes raisons « émotionnelles » pour ne pas respecter la taille relative des différents participants, il n'empêche que, pour notre esprit, il y a manifestement des incohérences. Et l'on n'a pas non plus le même sentiment d'étagement dans la profondeur de l'espace qu'on avait devant la scène de chasse de Valltorta, les chasseurs et leurs chiens semblant plutôt ici étalés sur le même plan que celui de l'aurochs et répartis tout autour de lui, ceux qui sont à l'arrière-plan, au lieu d'être cachés par le corps de l'animal étant simplement placés au-dessus de lui. Du fait qu'elles ont des tailles incohérentes entre elles, et du fait qu'elles ne sont pas logiquement réparties dans la profondeur, les différentes parties de cette scène de chasse ne sont donc pas pour notre esprit autant de parties d'une unité globale cohérente, ce sont des parties indépendantes les unes des autres et qui s'ajoutent en 1+1 les unes à côté des autres.

À l'inverse, alors que l'aspect purement matériel des taches de couleur formant la scène de Valltorta ne répondait à aucune organisation d'ensemble perceptible, ici la densité des figures est homogène, de telle sorte que la surface est régulièrement remplie malgré les grandes disproportions entre les différents dessins qui y participent. Une autre façon d'exprimer cela est de remarquer que les distances qui séparent entre elles les différentes parties de la scène sont approximativement constantes. Matériellement, c'est-à-dire si l'on s'en tient aux formes peintes en négligeant complètement ce qu'elles représentent, on a donc affaire à une organisation d'ensemble de la surface peinte dont chaque détail n'est qu'une partie similaire aux autres, similaire en ce sens qu'elle dispose autour d'elle d'un même « vide » que les autres. Matériellement, cette peinture est donc organisée en 1/x.

Entre la scène de Çatal Höyük et celle de Valltorta l'opposition est donc complète : à Çatal Höyük les aspects qui relèvent de l'esprit sont du type 1+1 et ceux qui relèvent de la matérialité sont du type 1/x, ce qui place sa civilisation dans la filière pré-animiste.

Pour ce qui concerne les effets plastiques on se rapportera à l'analyse de la scène de chasse de Valltorta car ils sont très semblables. On signale juste que l'effet d'homogène/hétérogène provient ici du fait que la densité homogène de l'occupation de la surface est obtenue au moyen de formes aux dimensions et aux allures très hétérogènes entre elles.

 

 

 


Culture de Samarra, Irak : assiette en céramique à décor peint d'oiseaux pêchant des poissons (autour de 5 500 AEC)

Source de l'image : L'Orient ancien, édité chez Terrail (1997)

 

 

Comme deuxième exemple pour la deuxième étape, une assiette en céramique de la Culture de Samarra, dans l'actuel Irak. On s'intéressera à son décor intérieur qui représente des oiseaux attrapant un poisson par le bec pendant que d'autres poissons tournent en rond tout autour de l'assiette. Le centre de la figure est occupé par un svastika tournant vers la gauche.

De façon encore plus évidente que pour la scène de chasse de Çatal Höyük, la densité des graphismes matériels est très homogène, c'est-à-dire que la même quantité de « vide » circule autour de toutes les figures, quelle que soit leur taille et quelle que soit leur position. Si on ne s'attache qu'à l'aspect matériel de ces graphismes, chacun n'est donc qu'une partie d'une texture d'ensemble quadra-symétrique homogène qui relève du type 1/x.

Si maintenant notre esprit s'intéresse à ce qui est représenté, spécialement aux oiseaux qui ont pris un poisson par le bec, on doit constater qu'ils ne forment pas une scène cohérente que l'on pourrait lire en tant que telle, car en effet il faut tourner l'assiette d'un quart de tour à chaque fois que l'on veut observer l'oiseau suivant. Autrement dit, chaque oiseau s'appuie sur un sol horizontal qui lui est propre, et il n'est pas possible de lire simultanément la façon dont les quatre oiseaux se tiennent sur le sol, ce qui implique qu'on ne peut voir tous les oiseaux qu'en les considérant tour à tour, et donc en 1+1 fois. Les poissons qui tournent autour de l'assiette peuvent eux être considérés comme formant une ronde globale, mais il faut alors penser que cette ronde serait vue de dessus alors que les oiseaux sont toujours vus de profil, de telle sorte que la ronde des poissons ne fait qu'ajouter une vue supplémentaire incohérente avec celle de chacun des oiseaux, et pour notre esprit qui cherche à comprendre ce qui est représenté il n'y a donc là qu'une addition de 1+1 représentations incompatibles entre elles. Matérialité du type 1/x que notre esprit lit en 1+1, on est dans la filière pré-animiste.

À la deuxième étape, l'effet plastique qui porte la matérialité est l'homogène/hétérogène : chaque silhouette matérielle forme une hétérogénéité sombre sur le fond doré homogène de l'assiette et leurs formes très différentes sont hétérogènes entre elles, mais ces hétérogénéités correspondent à des surfaces peintes en un coloris homogène et se répartissent de façon homogène sur l'ensemble de la surface.

Celui qui porte la notion d'esprit est le rassemblé/séparé : toutes les silhouettes sont rassemblées dans une même ronde, mais notre esprit comprend qu'elles correspondent à des vues incompatibles et donc séparées les unes des autres.

L'effet qui rend compte de la relation entre les deux notions est le continu/coupé : matériellement, on a une ronde continue d'oiseaux et de poissons, mais notre esprit est amené à la couper en multiples vues incompatibles entre elles. La bordure extérieure de l'assiette forme d'ailleurs un pavage matériel continu de formes en escalier alternativement claires et foncées, tandis que pour sa part notre esprit ne peut s'empêcher d'y lire des sortes d'escaliers dorés coupés les unes des autres et se détachant sur une surface foncée continue.

D'emblée, on perçoit cet effet de ronde qui est l'effet d'ensemble résultant du rassemblement de figures isolées bien autonomes les unes des autres : effet d'ensemble/autonomie. Les formes se répandent en ouvert/fermé : les poissons périphériques forment une ronde que l'on peut croire continue, ce qui implique que leur trajet reste constamment ouvert devant eux, mais les ailes des oiseaux sont là pour leur barrer le passage, pour fermer leur trajet. Vers le centre de l'assiette, le dessin des oiseaux est formé d'un corps, d'une queue, de pattes et d'un cou qui viennent se buter les uns contre les autres, et les différents segments de leurs cous se butent les uns contre les autres tout comme les oiseaux se butent les uns contre les autres. Toutefois, vers la périphérie leurs ailes s'éloignent vers le lointain en longs trajets parallèles, comme si leurs trajets étaient ouverts jusqu'à l'infini : il s'agit là d'un autre effet d'ouvert/fermé. Les formes s'organisent par un effet de ça se suit/sans se suivre qui nous ramène à l'organisation lue par notre esprit : les graphismes se suivent dans le plan de l'assiette, mais ils correspondent à quatre vues de profil incompatibles entre elles et à une vue de dessus également incompatible avec les précédentes, si bien que les oiseaux et les poissons ne se suivent pas dans une même vue cohérente qui les regrouperait. Déjà envisagé, l'effet d'homogène/hétérogène résume les précédents.

 

 

15.6.3.  La troisième étape de la peinture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

 


 

Suse I : boisseau à décor animalier, avec bouquetins, lévriers et échassiers (4200 - 3800 avant notre ère)

 

Source de l'image : https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010122742


 

Pour cette étape, un boisseau de la civilisation de Suse I datant de 4200 à 3800 avant notre ère.

Ce boisseau en céramique comporte trois registres superposés avec des représentations animalières différentes. Dans le haut, une frise horizontale d'échassiers, presque collés les uns contre les autres et qui font tout le tour du boisseau. Si l'on oublie ce qui est représenté et que l'on considère seulement cette frise sous l'aspect matériel d'un ensemble de taches brunes et de très fins tracés bruns, on repère principalement, vers le bas de la frise, l'alignement horizontal des grosses hachures inclinées du corps des oiseaux : leur bande horizontale se détache en réunissant de multiples formes semblables, et donc en 1/x. Tout en haut, une plus discrète frise horizontale de crochets, celle du bec des oiseaux : une nouvelle fois cette bande une et multiple relève du type 1/x, et la même chose vaut pour la bande horizontale des très fins tracés verticaux de leurs cous, tout comme pour la bande en partie basse qui réunit par paires les courts tracés très fins de leurs pieds. Considérés sous leur aspect matériel, tous les étages de cette frise du haut forment donc autant d'unités graphiques divisibles en de multiples parties semblables, ce qui est le principe même du type 1/x.

Si notre esprit s'intéresse maintenant à ce qui est représenté, il ne peut lire qu'une suite ininterrompue de 1+1 échassiers qui ne font ensemble aucun groupe de niveau supérieur distinct de la file qu'ils génèrent par leurs 1+1 répétitions. Matérialité du type 1/x quand notre esprit lit une répétition en 1+1, on est dans la filière pré-animiste.

Sous les échassiers, une frise de lévriers. Si l'on analyse à nouveau cette frise sous son aspect purement matériel de forme peinte, on voit que chaque animal dispose d'une silhouette continue, unifiée dans une même couleur brune, et que cette silhouette se divise en deux pôles extrêmes séparés par le très long corps de l'animal : un pôle avant qui regroupe le cou, la tête et les deux pattes, des parties qui sont à la fois bien séparées et bien regroupées, un pôle arrière qui regroupe son arrière-train, sa queue et les deux pattes, des parties également à la fois bien séparées et bien regroupées. Chaque silhouette animale correspond donc à une forme à la fois unitaire et clairement divisée en deux pôles, tandis que chacun de ces pôles forme une entité compacte divisée en multiples parties, c'est là une organisation du type 1/x. On peut aussi remarquer que l'avant-train d'un lévrier et l'arrière-train du précédent forment un groupe constitué de deux ensembles qui sont à la fois visuellement rassemblés et matériellement divisés sur deux figures séparées, ce qui est une autre façon de faire matériellement du un et du divisé, et donc du 1/x.

Si notre esprit s'intéresse maintenant au fait que ce sont des lévriers qui sont représentés, même si ce type d'animal a normalement un corps très long, il est ici allongé à l'excès et nous ne pouvons pas considérer de façon crédible qu'un arrière-train et un avant-train tellement séparés puisse appartenir à un même animal. Pour notre esprit, il y a une anomalie dans l'addition de ces deux parties qui ne font pas véritablement ensemble un animal possible, et chaque avant-train s'ajoute ainsi en +1 sur l'arrière-train auquel il est associé par un corps beaucoup trop long et d'épaisseur beaucoup trop uniforme. À l'échelle de la frise, on retrouve le même principe qu'avec les échassiers : les lévriers s'ajoutent en 1+1 les uns derrière les autres sans faire ensemble aucun groupe indépendamment de la file qu'ils génèrent en s'ajoutant les uns aux autres. Matérialité du type 1/x quand notre esprit lit une répétition du type 1+1, on est encore dans la filière pré-animiste.

Enfin, plusieurs bouquetins sont répartis autour du boisseau dans sa partie principale. Si l'on considère à nouveau chaque animal comme une forme peinte purement matérielle, on ne peut manquer de lire que cette forme est très unitaire puisque les cornes forment une boucle qui s'enroule et vient se refermer juste au-dessus du dos de l'animal. Cette forme quasi circulaire, globalement compacte, se divise en différentes séquences : la séquence de l'arrière-train dont le dessus participe à la boucle globale, la séquence de l'avant-train dont le dessus participe à la boucle globale, la séquence de la tête dont l'arrière participe à la boucle globale, et les deux cornes qui s'enroulent ensemble pour réaliser la plus grande partie de cette boucle et qui la referment presque. Une forme matérielle divisible en multiples séquences, cela relève du type 1/x.

Si notre esprit s'intéresse maintenant au fait que cette forme représente un bouquetin, il constate que l'étranglement presque complet du corps entre l'avant-train et l'arrière-train n'est pas crédible car c'est en principe l'endroit de l'animal le plus épais, et puisque son avant-train et son arrière-train ne semblent pas former ensemble un même animal, ils s'ajoutent en 1+1 parties incompatibles. La même chose vaut pour les cornes qui sont de dimension excessive et s'ajoutent en +1 sur le corps d'un animal avec lequel elles sont incompatibles. Matérialité du type 1/x quand notre esprit lit un assemblage de 1+1 parties incompatibles entre elles, on est une fois de plus dans la filière pré-animiste.

 

Nous n'examinerons les effets plastiques que pour la frise des échassiers du haut du boisseau. À la troisième étape, l'effet qui porte la matérialité est le rassemblé/séparé : les échassiers matériellement séparés sont rassemblés en file, et si l'on considère chacun individuellement, son corps et sa tête, séparés très loin l'un de l'autre, sont matériellement rassemblés par son très long cou.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le synchronisé/incommensurable : ces corps trop schématiques, aux pattes trop fines et au cou trop long et trop fin, sont incommensurables avec l'apparence réelle d'échassiers, mais notre esprit réussit à les synchroniser avec leur apparence.

L'effet qui prend en charge la relation entre les deux notions est le lié/indépendant : les corps et les becs de tous les échassiers sont matériellement liés puisqu'ils forment ensemble des bandes horizontales, mais pour notre esprit chaque échassier correspond à un animal bien séparé de ses voisins, et donc complètement indépendant. Dans chaque échassier, la tache épaisse du corps et le crochet que forme le bec avec le haut du cou correspondent à des effets visuels que notre esprit repère indépendamment l'un de l'autre puisqu'ils sont très écartés, mais ils sont matériellement liés par le très long trait du cou de l'oiseau.

L'effet qui apparaît d'emblée est le rassemblé/séparé. Il fonctionne comme celui de lié/indépendant pour ce qui concerne le rassemblement en file des corps et des becs des oiseaux. On peut ajouter que chaque oiseau a deux extrémités bien séparées par la grande longueur de son cou, et aussi que chaque extrémité ainsi séparée rassemble plusieurs formes : en partie haute, le bec et le haut du cou, en partie basse, le bas du cou, le corps et les deux pattes de l'animal. Les formes se répandent sur la surface par un effet de synchronisé/incommensurable : le niveau de tous les corps et celui de tous les becs se synchronisent parfaitement et comme par magie pour être identiques pour tous les oiseaux. La forme s'organise en continu/coupé : la frise horizontale des échassiers est continue mais coupée par un écart séparant chaque oiseau de ses voisins, tandis que verticalement chaque oiseau forme un tracé continu coupé par un changement de direction et d'épaisseur à l'endroit du corps, puis coupé par un changement de direction à l'endroit du bec. Ces différents effets sont résumés par celui de lié/indépendant, déjà envisagé.

 

 

15.6.4.  La quatrième étape de la peinture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 


Sumer : Étendard d'Ur - face de la guerre restaurée (vers 2600-2500 avant notre ère)  Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/%C3%89tendard_d%27Ur

 

Nous envisageons la « face de la guerre » de l'Étendard d'Ur, réalisé vers 2600-2500 avant notre ère au moyen d'une mosaïque de nacre et de calcaire rouge sur fond de lapis-lazuli. L'ensemble est collé au bitume sur l'une des faces d'un coffre en bois.

Si l'on s'en tient à son aspect purement matériel, il s'agit d'un rectangle divisé verticalement en trois étages semblables, et chacun de ces étages est divisé horizontalement en de multiples surfaces de mosaïque blanche et rouge écartées les unes des autres de façon semblable et laissant un espace semblable jusqu'au « plafond » au-dessus d'elles, de telle sorte que l'ensemble donne une impression de densité homogène sur l'ensemble de la surface. Un rectangle divisé en trois, et chacune de ses divisions étant elle-même divisée de façon régulière en multiples parties traitées de façon semblable, cela correspond au type 1/x.

Si notre esprit s'intéresse maintenant à ce qui est représenté, il constate qu'il s'agit chaque fois d'une procession, probablement toujours la même procession mais divisée en trois registres, chacun des personnages ou des chars s'ajoutant à la file des autres en allant toujours de la gauche vers la droite, sauf à l'étage supérieur dont les personnages de la moitié droite vont vers la gauche, se rassemblant ainsi autour du roi qui occupe la position centrale et dont la taille est très légèrement supérieure à celle des autres personnages. À grande échelle, ces personnages et ces chars ne font rien de visible à part cette file où ils s'ajoutent en 1+1 les uns à la suite des autres, et même la représentation de cette file n'est pas vraiment réalisée puisqu'elle est brisée par sa décomposition en registres superposés. Matérialité du type 1/x quand notre esprit lit une file générée par l'addition de 1+1 personnages et chars, on est dans une filière pré-animiste.

À la quatrième étape, l'effet qui porte la notion de matière est le synchronisé/incommensurable : la synchronisation est ici celle de l'écartement matériel régulier des figures malgré des formes et des largeurs très différentes qui les rendent incommensurables les unes pour les autres.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le continu/coupé : notre esprit lit une procession continue malgré sa coupure en trois niveaux distincts, et des files continues de personnages coupés les uns des autres.

La notion qui rend compte de la relation entre les deux notions est le même/différent : l'Å“uvre est matériellement organisée sur une seule et même surface rectangulaire divisée en trois compartiments différents, une organisation que notre esprit lit comme celle d'une seule et même procession répartie sur trois étages différents.

L'effet de même/différent est aussi celui qui se perçoit d'emblée. Au-delà de ce l'on vient d'évoquer il est effectivement omniprésent, et on se limitera donc à ses expressions essentielles : les détails de la même procession sont différents à chaque étage ; le fond bleu sombre est partout le même et il forme une même unité continue à chaque étage tandis que les personnages et les chars utilisent plusieurs couleurs différentes et que chacun se subdivise en différentes parties ; à gauche du deuxième étage on trouve différentes fois le même personnage, tandis qu'à droite du même étage et du troisième on trouve des personnages qui sont différents les uns des autres ; le roi est représenté par le même type de figures que les autres personnages mais il a une hauteur différente ; les attelages de chars combinent différentes figures dans un même groupe ; les chevaux attelés à ces chars combinent différents chevaux dans un même bloc visuel, et ces différents chevaux sont à la fois les mêmes et différents entre eux puisque ceux du premier plan sont vus en entier tandis que ceux de l'arrière-plan ne sont vus que de façon très partielle. La forme se répand sur la surface par un effet d'intérieur/extérieur : la vue extérieure du défilé est représentée à l'intérieur du cadre des étages de la représentation, et à l'intérieur de chacun de ces étages l'extérieur de chacune des figures est bien repérable du fait de l'écart qui les sépare. La forme s'organise en un effet d'un/multiple qui a ici beaucoup d'aspects communs avec celui de même/différent. L'effet de regroupement réussi/raté résume les précédents : l'ensemble du défilé est regroupé devant nos yeux, mais sa continuité est ratée puisqu'il est décomposé en trois étages, et sa régularité est ratée du fait de la différence de largeur des personnages et des attelages de chars. Par ailleurs, les personnages isolés sont visuellement regroupés du fait de leurs similitudes, mais ce regroupement est raté du fait de leurs plus ou moins grandes différences.

 

 

 


Stèle de Nytouâ et Nitneb – moitié gauche (vers 2700 avant notre ère)

http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=2954&langue=fr

 

 

En Égypte, cette étape est celle qui voit naître le principe de la représentation humaine combinant une partie du corps vu de face, en général au niveau du torse et des épaules, et une partie du corps vu de profil, les pieds étant à la fois représentés de profil et décalés sur un même plan. On aurait pu évoquer des représentations datant de la période prédynastique, par exemple le verso de la palette de Narmer qui date de 3000 environ avant notre ère, mais on utilisera plutôt une stèle un peu plus tardive, de 2700 environ avant notre ère, qui représente Nytouâ et Nitneb, deux dames assises devant des tables chargées d'offrandes. Les deux moitiés de cette stèle étant similaires, on ne considérera que la figure de sa moitié gauche.

Dans ce type de représentation, puisque tous ses membres sont ramenés sur un même plan, le corps du personnage acquiert une compacité bien visible tout en étant distinctement divisé en différentes parties. Sa matérialité relève donc du type 1/x.

Par contre, puisqu'il s'agit de la représentation d'un personnage doté comme nous d'un esprit, nous sommes tentés de nous projeter imaginairement sur lui. Les distorsions corporelles insupportables qu'impose le rabattement dans un même plan des épaules vues de face, de la tête, des cuisses et des jambes vues de profil, obligent alors notre esprit à décomposer notre perception du personnage en plusieurs parties déconnectées l'une de l'autre puisqu'il est impossible de les ressentir ensemble. Ce qui revient à les ajouter en 1+1 parties incompatibles : 1 tête + 1 torse + 1 bras + 1 autre bras + 1 cuisse + 1 jambe + 1 autre jambe.

Un corps matériellement représenté un et multiple, et donc du type 1/x, mais que notre esprit ne peut pas ressentir en unité globale, seulement comme une série de membres s'ajoutant les uns aux autres en 1+1, cette représentation canonique du corps humain dans l'Égypte ancienne doit donc sa naissance au caractère pré-animiste de l'ontologie de la société de cette époque. Au chapitre suivant, on verra que ce type de représentation se poursuivra pendant toute la phase totémiste, puisque pendant cette phase l'Égypte pharaonique relèvera toujours d'une filière pré-animiste.

Nous évoquons rapidement les deux effets principaux impliqués par cette image, celui de même/différent et celui de regroupement réussi/raté : la femme représentée est la même qu'une véritable femme, mais simultanément différente à cause des rabattements incompatibles de ses différents membres, et si cette femme a bien tous ses membres visiblement regroupés dans un même corps, ce regroupement est raté du fait de ces mêmes incompatibilités.

 

 

15.6.5.  La cinquième et dernière étape de la peinture dans l'ontologie pré-animiste de 2d confrontation :

 

 



À gauche, bas-relief du mastaba d'Isi à Edfou (VIe dynastie, vers 2200 avant notre ère) - À droite, relief funéraire de Methethy à Saqqarah (Ve dynastie, vers 2400 avant notre ère)

 

Sources des images : L'Égypte de D. Wildung aux Éditions Citadelles (1989) et Égypte, de la préhistoire aux Romains aux Éditions Taschen (1997)

 

 

À la dernière étape, la technique dite « du relief incisé » a été une innovation importante pour les représentations humaines peintes sur des surfaces planes. On en donne deux exemples pris sur des monuments funéraires, l'un en grès qui représente Isi donnant la main de tout petits personnages qui sont peut-être ses fils, l'autre, en calcaire, qui représente Methethy, lui aussi en compagnie d'un tout petit personnage, son fils, qui tient avec lui un long bâton.

Le corps des personnages reprend le principe inauguré à l'étape précédente, torse de face, ici amplifié par la présence d'un collier, et tout le reste du corps de profil, sauf le bras gauche de Methethy qui est vu de face. Le creux au fond duquel se trouvent les représentations des personnages contribue à la lecture de leur corps comme unité matérielle divisée en de multiples parties (type 1/x), car en effet le décaissé qui cerne chaque personnage souligne l'unicité de son contour tandis que la partie non décaissée du support sépare complètement les bras du corps et les deux jambes l'une de l'autre. Comme à l'étape précédente, notre esprit ne peut pas se projeter d'un seul coup sur le personnage à cause des distorsions trop importantes que cela impliquerait imaginairement dans notre corps, il le perçoit donc inconsciemment comme suite de 1+1 membres indépendants. Dans ces deux images, on peut aussi faire valoir la différence de taille très excessive entre les adultes et les enfants : matériellement, ils sont ensemble, ils se tiennent par la main dans un cas, dans l'autre ils tiennent ensemble un même bâton, et ils forment donc chaque fois un groupe de plusieurs personnages (type 1/x), mais leurs échelles de représentation sont trop incompatibles pour que notre esprit puisse considérer que les grands personnages sont avec les tout petits : pour notre esprit il y a 1 petit personnage + 1 grand personnage représenté à une échelle complètement distincte + éventuellement 1 second petit personnage représenté aussi à une échelle complètement distincte.

Le plus important n'est toutefois pas cette redondance du caractère 1/x de la matérialité opposé au caractère 1+1 de la lecture que peut en faire notre esprit, il est dans la conséquence du procédé de relief incisé qui place les représentations des personnages dans le fond d'un creux. Ces très grands et très petits personnages, aux représentations incompatibles entre elles pour notre esprit, se trouvent visiblement réunis par la surface de la pierre laissée lisse, car cette surface lisse est la surface commune dans laquelle tous les personnages sont creusés et elle forme donc un lien entre eux. On peut même considérer que c'est l'ensemble de la pierre, avec toute son épaisseur, qui reçoit le creux des différents personnages et qui leur permet d'être ainsi réunis, enfoncés dans le même support, et l'on retrouve ici le dispositif propre à la dernière étape de la filière pré-animiste : les différents aspects qui relèvent de l'esprit s'ajoutent en 1+1 mais ils sont aussi reliés entre eux par un dispositif autonome qui est l'équivalent du dispositif autonome que constitue un sac de billes tenant ensemble les billes d'un paquet de billes.

Et ce qui vaut pour les différents personnages aux tailles incompatibles d'une même image vaut aussi pour les différents membres d'un même personnage : nous ne pouvons pas les rassembler en unité à cause des déformations infligées par leurs rabattements et à cause de leur séparation en niches qui sont coupées l'une de l'autre du fait de leur enfoncement dans la pierre, mais cette pierre est précisément ce qui sert de lien entre les différents membres du personnage, elle leur permet de tenir ensemble dans notre perception puisqu'elles sont enfoncées ensemble dans la profondeur de la pierre.

À la dernière étape, l'effet qui porte la notion de la matérialité est celui de continu/coupé : le corps matériel de chaque personnage forme un ensemble continu dont les différentes parties sont coupées les unes des autres par les reliefs matériels de la pierre dans laquelle ils sont enfoncés.

L'effet qui porte la notion d'esprit est le lié/indépendant : notre esprit lit que les personnages liés par la main ou par un même bâton correspondent à des échelles indépendantes, car incompatibles, et à l'inverse il considère qu'il faut lier dans un même corps les différents membres d'un personnage malgré leurs vues incompatibles, et donc indépendantes, et bien que les creux au fond desquels ils sont enfoncés les séparent les uns des autres et les rendent donc indépendants les uns des autres.

L'effet qui prend en charge la relation entre les deux notions est l'intérieur/extérieur : l'extérieur des personnages dotés d'un esprit est matériellement à l'intérieur d'un creux, et les différents membres que notre esprit considère comme à l'intérieur d'un même personnage sont matériellement à l'extérieur les uns des autres puisque séparés dans des creux écartés les uns des autres.

L'effet de fait/défait est celui qu'on lit d'emblée : le rassemblement des personnages dans une même scène est fait et en même temps défait par l'incompatibilité de leurs tailles respectives, tandis que des reliefs et des détails sont faits à l'endroit des personnages mais complètement défaits à l'endroit des surfaces uniformément planes qui les entourent. La forme se répand par un effet de relié/détaché : le contour creusé des personnages est relié en continuité, tandis qu'il les détachent visuellement, et même pratiquement, de la surface de la pierre laissée lisse. La forme s'organise par un effet de centre/à la périphérie qui nous déstabilise en ne nous permettant pas de savoir à quelle distance sont les corps des personnages puisqu'ils sont simultanément en relief et en creux, et en ne nous permettant pas non plus de savoir à quelle échelle ils sont représentés puisqu'ils nous proposent deux échelles de lecture incompatibles. Enfin, ces effets sont résumés par celui d'entraîné/retenu : quand nous nous laissons entraîner à penser que la taille du personnage le plus grand est bonne, nous en sommes retenus par la perception des tout petits personnages, et inversement ; quand nous nous laissons entraîner à lire que les corps des personnages sont en relief, nous en sommes retenus par la perception du fait qu'ils sont en creux, et inversement ; quand nous nous laissons entraîner à lire que les différents personnages forment ensemble une scène globale, nous en sommes retenus par la présence des surfaces planes et lisses qui les séparent.

 

 


Saqqarah : statue de Mérérouka dans son Mastaba (VIe dynastie, vers 2300 avant notre ère)

Source de l'image : https://www.voyagevirtuel.info/egypt/photo/cairo-saqqara-140.php

 

 

Au passage, on observera le curieux pagne en partie pyramidal du relief funéraire de Methethy. On donne une vue de la statue de Mérérouka qui aide à comprendre le volume exact de ce type d'habit. Par sa sèche géométrie combinée à sa forme rigide, il tranche avec la souplesse du reste du corps, il lui fait comme une prothèse étrangère tout en cassant la perception de son unité puisque notre esprit lit ainsi que le personnage est constitué dans sa partie haute d'un torse portant les bras et la tête, auquel s'ajoutent, dans sa partie basse, deux jambes indépendantes l'une de l'autre et coupées au niveau du genou. Cet habit permet donc de décomposer un véritable corps humain, et pas seulement sa représentation, en 1+1 parties indépendantes, et il permet simultanément de relier ces différentes parties autonomes, de les faire tenir ensemble : il joue ici « le rôle de sac de billes Â».

 

En marge des réflexions concernant l'art de l'époque pharaonique, on peut aussi noter que le système d'écriture par hiéroglyphes a été inventé par les Égyptiens pendant cette phase ontologique, tout comme d'ailleurs le système par pictogrammes des Sumériens. Dans les deux cas, on peut envisager que le caractère pré-animiste de leur ontologie a pu influencer ces deux modes d'écriture dans lesquels la représentation matérielle d'un mot ou d'une phrase du langage parlé pouvait être rendue par l'addition de plusieurs symboles de nature mutuellement hétérogènes, les uns correspondant à des sons (phonogrammes) et les autres à des choses ou à des êtres, ou encore à des idées (idéogrammes). Pour notre esprit qui les assemble mentalement en lisant, un signe correspondant à un son, par exemple, ne peut que s'ajouter en +1 à un signe correspondant à une chose, car il s'agit de réalités complètement incommensurables l'une pour l'autre et ne faisant logiquement rien ensemble, sauf, précisément, construire ensemble la matérialité d'une phrase, voire d'un seul mot ainsi divisé en plusieurs graphiques. Phrase ou mot dont la matérialité est par conséquent du type 1/x.

 

 

Comme pour les formes d'expression précédentes, nous avons donc vu qu'à la dernière étape une mutation dote d'un lien collectif les éléments s'ajoutant en 1+1 et leur permet désormais de « faire ensemble Â» sans toutefois que ce lien ne s'affirme comme correspondant à leur mise en unité globale. Nous avons vu que ce lien affecte :

–         dans le cas de la filière pré-naturaliste, ceux qui correspondent à la notion de matière (les corps des personnages du bloc n°3 du Capo di Ponte, reliés entre eux par des lignes) ;

–         dans le cas de la filière pré-animiste, ceux qui correspondent à la notion d'esprit (les différentes parties des personnages dotés d'un esprit, reliées entre elles par l'épaisseur de la pierre des reliefs incisés égyptiens dans laquelle ils sont enfoncés).

 

 

> Chapitre 16 –  La phase totémique


[1]Les étapes correspondant à la phase de 2d confrontation sont repérées sur le site Quatuor allant de B0-21 à B0-25. On peut trouver les œuvres qui y correspondent aux adresses http://www.quatuor.org/art_histoire_b00_0000.htm et http://www.quatuor.org/art_histoire_b00_0100.htm pour la filière occidentale, http://www.quatuor.org/art_histoire_b00_0500.htm pour la filière chinoise, http://www.quatuor.org/art_histoire_b00_0200.htm pour la Mésopotamie, http://www.quatuor.org/art_histoire_b00_0300.htm pour la Mer Égée, et http://www.quatuor.org/art_histoire_b00_0400.htm pour ce qui concerne l'Égypte et le Soudan.

[2]Les dates admises pour les différentes phases de ce monument sont différentes d'un auteur à l'autre. Celles utilisées ici sont seulement à prendre comme des ordres de grandeur destinés à rendre compte de l'évolution des dispositions dans le temps

[3]On trouvera une analyse plus complète des effets plastiques concernant ces gravures à l'adresse :  http://www.quatuor.org/art_histoire_b21_0001.htm

[4]On trouvera une analyse plus complète des effets plastiques concernant cette gravure à l'adresse :  http://www.quatuor.org/art_histoire_b21_0002.htm

[5]On trouvera une analyse plus complète des effets plastiques concernant cette gravure, ainsi qu'une vue de l'apparence réelle de la plaquette à l'adresse :  http://www.quatuor.org/art_histoire_b21_0003.htm

[6]On trouvera une analyse plus complète des effets plastiques concernant cette gravure à l'adresse : http://www.quatuor.org/Init41cadrant.htm