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14.2.3.  L'évolution de la 3e filière de la phase de 1re confrontation de l'ontologie matière/esprit, filière dans laquelle M est du type 1+1 et e du type 1/x, et dans laquelle la tension entre les deux notions est de faible intensité :

 

Cette filière est certainement celle qui donne la plus claire occasion de distinguer la conception proposée dans cet essai des conceptions habituelles concernant l'art pariétal. En gros, ces dernières reviennent à considérer plus ou moins implicitement que les artistes paléolithiques ont représenté des animaux comme les artistes modernes représentent le monde en le peignant sur leurs toiles. Comme ni la peinture à l'huile ni les toiles sur châssis n'étaient à leur disposition, ils auraient utilisé les parois rocheuses des grottes comme support, et des charbons, des pierres colorées ou le crachis de matière colorée comme pinceaux. Par différence, on fait ici l'hypothèse que la paroi de la grotte n'était pas un support neutre utilisé pour seulement recevoir l'image des animaux, mais qu'elle était perçue comme une surface purement matérielle dépourvue d'intelligence et de volonté, tandis que les animaux peints étaient spécialement là pour lui faire un contraste ontologique dès lors qu'eux étaient pourvus d'un esprit leur permettant de réfléchir et de prendre des décisions.

Avec cette filière, on verra que cet effet de contraste entre la paroi et l'animal représenté n'est pas une conception abstraite, mais qu'il justifie le style graphique utilisé par les artistes et qu'il en explique les diverses particularités.

 


 

Grotte Chauvet-Pont d'Arc : un ourson, un ours et une panthère

Source des images : http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/mediatheque


 

Pour l'expression analytique de la première étape de la 3e filière, on revient à l'époque de l'aurignacien et à la grotte Chauvet.

Sur un panneau, la représentation d'un petit ours, probablement un ourson, seulement matérialisé par un trait de contour rouge, sauf à l'endroit de l'oreille et du museau qui bénéficient d'un effet d'estompe. Sur un autre panneau, la représentation d'un ours adulte et d'une panthère dont le contour rouge est complété par une série de taches rouges parsemant une partie de leur corps. Dans les trois cas, les pattes ne sont pas dessinées et le regard peut circuler librement entre l'intérieur du corps de l'animal et la paroi située en dessous de lui.

Ces contours, ces légères estampes et ces taches parsemées suffisent pour évoquer l'aspect matériel des animaux, et comme ces représentations sont transparentes, qu'elles ne cachent aucunement la roche sur laquelle elles sont dessinées, la présence matérielle de cette roche est toujours bien présente, d'autant que les pattes ne sont pas refermées par des pieds et que la roche s'y continue sans interruption entre l'extérieur et l'intérieur des animaux. Ici nous avons affaire à deux aspects de la matière, celui du corps des animaux et celui de la paroi, chacun bien affirmé et n'ayant rien à voir l'un avec l'autre, ils s'ajoutent donc en 1+1. Ces dessins sont visiblement le résultat de l'esprit de l'artiste qui les a créés, et chacun est une image unitaire qui résulte de ses multiples interventions : de multiples traits contournés, quelques accents d'estompe, à l'occasion de multiples taches pour évoquer la robe de l'animal ou bien ses poils. L'esprit de l'artiste est donc ici du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément le dessin des animaux et la continuité de la paroi, et ce sera le thème de l'expression analytique de la 3e filière que de mettre en contraste, d'une façon ou d'une autre, la représentation d'animaux et la présence de la paroi qui la reçoit. La justification des types 1+1 et 1/x sera similaire à toutes les étapes de la filière, raison pour laquelle elle ne sera pas systématiquement réexpliquée.

À la première étape de la 3e filière, comme dans la 1re filière l'effet prépondérant est celui du centre/à la périphérie, lequel s'exprime ici de plusieurs façons. Il est difficile pour nous de l'imaginer tant nous sommes habitués aux images, mais, pour les humains de la Préhistoire, voir apparaître des figures animales sur les parois des grottes à la faible lueur vacillante de leur lampe à huile, cela devait avoir un effet stupéfiant, déroutant, déstabilisant, ce qui est probablement l'aspect de cet effet que l'on peut considérer comme dominant. Par ailleurs, on peut évoquer le fait que l'équilibre visuel de ces figures est obtenu par la perception de leur trait de contour, et donc qu'il est réparti sur toute leur périphérie. Enfin, dans le cas des taches qui parsèment une partie du corps de deux animaux, de chacune de ces taches on peut dire qu'elle est un centre d'intérêt visuel qui est entouré sur toute sa périphérie de centres visuels semblables. L'apparence de chacun des animaux est regroupée sur la paroi, mais la visibilité de cette paroi à travers leur corps fait échouer ce rassemblement : regroupement réussi/raté. Le dessin du contour fait la représentation des animaux tandis que la visibilité de la paroi à l'intérieur de ce contour la défait : fait/défait. Enfin, le trait du contour se relie en continu et il relie le dessin des animaux à la paroi tout en détachant visuellement leur présence : relié/détaché.

 

 


Grotte Chauvet-Pont d'Arc : trois têtes d'aurochs et trois rhinocéros du panneau des chevaux

 

Source de l'image : http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/mediatheque

 

 

À Chauvet, beaucoup d'animaux ne sont pas représentés par un simple trait de contour, leur corps étant peint à l'aide de nuances de couleur qui font ressortir la texture de leur corps et son volume, comme il en va des trois têtes d'aurochs déjà envisagées pour la 2e filière. Cette technique correspond aussi à l'expression analytique de la 3e filière, et le contraste n'est plus ici entre le contour de l'animal et l'apparence de la paroi à l'intérieur de ce contour mais entre la surface de la représentation animale et la surface de la paroi qui l'entoure. Très souvent, la surface de la paroi autour de la représentation animale a d'ailleurs été raclée, ce qui la rend particulièrement lumineuse tout en soulignant la « pure et simple » matérialité de sa pierre.

On a déjà dit que les artistes de cette époque n'avaient aucun intérêt à représenter les animaux dans un environnement paysager, avec des herbes et des arbres, car il s'agissait pour eux de faire contraster des effets qui relèvent de l'esprit et des effets qui relèvent de la matière, alors que les herbes et les arbres n'étaient pour eux, tout comme la paroi de la grotte, que des manifestations de matière dépourvue d'un esprit. Outre l'absence d'intérêt qu'il y avait pour eux à représenter l'environnement paysager des animaux, on voit bien dans cet exemple combien l'absence de végétation en arrière-plan permettait aussi de produire un contraste simple et direct entre la représentation de l'animal doté d'un esprit et la surface lumineuse purement matérielle de la paroi.

Il s'agit là aussi d'une expression analytique puisqu'on peut considérer séparément la représentation animale et l'apparence de la paroi raclée qui l'entoure.

L'effet prépondérant du centre/à la périphérie joue pleinement ici de son aspect de déstabilisation, car de telles représentations visuellement « réalistes » de l'apparence des animaux devaient avoir un effet stupéfiant sur les humains préhistoriques moins habitués que nous aux images. D'ailleurs, même nos contemporains qui ont eu l'occasion de visiter la grotte Chauvet font état de la stupéfaction qu'ils ont alors ressentie.

 

 




 

Grotte Chauvet-Pont d'Arc : un animal descend verticalement à droite du panneau de la panthère, un ours descend lui aussi verticalement, un cerf mégacéros monte à 45° et un rhinocéros, juste au-dessus de lui, monte verticalement

Sources des images : http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/mediatheque et http://www.bradshawfoundation.com/chauvet/megaloceros.php

 

Pour l'expression synthétique de la première étape de la 3e filière, plusieurs représentations animales dans la grotte Chauvet qui ne tiennent pas compte de l'horizontalité.

Non seulement l'apparence matérielle de ces animaux n'a rien à voir avec la réalité matérielle de la paroi de la grotte et s'ajoute donc sur elle en +1, mais en outre elle est affectée d'une anomalie quant à son orientation qui est sans rapport avec les capacités des animaux représentés, lesquels ne sont certainement pas aptes à monter ou à descendre une paroi à la verticale. Cette anomalie d'orientation qui jure avec leurs possibilités physiques s'ajoute également en +1 à leur apparence matérielle, mais si tous les aspects de leur matérialité s'ajoutent en 1+1, l'esprit de l'artiste, puisque c'est toujours lui qui a mis en place ces représentations, souvent horizontalement mais aussi en biais ou verticalement, relève du type 1/x, x correspondant ici à la multitude des orientations utilisées.

Il s'agit d'une expression synthétique car on ne peut pas comprendre qu'il s'agit de représentations animales sans constater l'anormalité de leurs orientations, et avec ces représentations animales anormales nous avons le thème qui sera celui de l'expression synthétique de toute la 3e filière.

L'effet prépondérant du centre/à la périphérie s'exprime ici en nous déstabilisant dès lors que l'orientation anormale des animaux ne peut que nous dérouter. Le regroupement de la représentation de chaque animal est réussi puisqu'on peut reconnaître quel animal est représenté, mais il est aussi raté dans la mesure où son orientation dans l'espace est irréaliste : effet de regroupement réussi/raté. Pour la même raison, on peut à la fois dire que ces représentations sont faites puisqu'on peut reconnaître les animaux, et défaites puisque les animaux ne sont pas capables de se tenir dans de telles orientations : effet de fait/défait. Enfin, si ces représentations animales sont nécessairement reliées à la paroi qui les portent, elles se détachent visuellement à notre attention par l'incohérence de leur orientation : effet de relié/détaché.

 

 

 


Grotte de Cougnac, Lot : bouquetin aux pattes en stalactites

 

Source de l'image : http://www.baladesetpatrimoine
.com/tourisme-cahors/grotte-ornee-cougnac/

 

 

Pour l'expression analytique de la deuxième étape de la 3e filière, dans la grotte de Cougnac, dans le Lot, un bouquetin spécialement célèbre du fait que le volume de ses pattes est partiellement généré par des bandes de stalactites.

Le contour de l'apparence matérielle du bouquetin laisse les coulures calcaires de la paroi donner leur forme aux pattes et au bas de la toison de l'animal, tandis que l'apparence matérielle de la paroi est inentamée à l'intérieur de ce contour. Du fait de la confusion entre la texture de la paroi et les pattes du bouquetin, nous sommes entraînés à considérer que la granulométrie de la paroi est aussi à prendre, lorsqu'elle est dans le contour du bouquetin, comme représentant les poils de sa toison.

Nous avons là deux réalités matérielles indépendantes qui s'ajoutent en 1+1 : la forme animale et la texture de la paroi. L'esprit de l'artiste est ce qui a unifié ces deux aspects matériels dans une représentation unique : il relève du type 1/x.

Il s'agit d'une expression analytique puisqu'on peut considérer séparément la présence d'une représentation de bouquetin et la présence de coulures ou de granules de calcite sur la paroi. On est dans la continuité du thème de l'expression analytique de la 3e filière puisque cette image met en relation contrastée la représentation d'un animal et les caractéristiques de la paroi qui la reçoit.

L'effet prépondérant d'entraîné/retenu résulte du basculement incessant entre la perception d'un bouquetin et la perception des caractéristiques physiques de la paroi : quand on se laisse entraîner à percevoir l'un on en est retenu par les autres, et inversement. L'effet d'ensemble/autonomie résulte de la complémentarité du contour dessiné et de l'aspect de surface de la paroi, les deux étant des réalités autonomes qui produisent ensemble la forme d'un bouquetin. L'effet d'ouvert/fermé joue de l'ambiguïté entre l'aspect de la paroi et la toison de l'animal : si l'on voit une paroi, alors le contour fermé du bouquetin est comme transparent, et donc ouvert à la vue, et si l'on voit une toison, alors la masse du corps du bouquetin est présente, son volume parfaitement fermé, et pas seulement son contour. Enfin, les parties dessinées par l'artiste et les détails résultant de l'état naturel de la paroi se suivent pour faire ensemble la représentation complète du bouquetin, mais ils ne se suivent pas si l'on prend en compte l'autonomie de ces deux réalités matérielles : ça se suit/sans se suivre.

 

 


Grotte du Pech-Merle, Lot :

À droite, détail de « la Frise Noire » (relevé de M. Lorblanchet)

À gauche, les deux aurochs situés en bas de ce relevé

 

Sources des images : https://www.donsmaps.com/pechmerle.html et
https://digilander.libero.it/ponticellig/_PARTE%20IV
/_ARTEPAL/ARTE%20RUPESTRE/PECH%20MERLE.htm


 

Pour l'expression synthétique de la deuxième étape de la 3e filière, une partie de la Frise Noire de la grotte du Pech-Merle.

En bas à gauche de son relevé on peut reconnaître les deux aurochs de la photographie. Si l'un est horizontal, l'autre est vertical, tout comme un grand mammouth se dirige vers le haut quand un plus petit s'avance vers la droite selon une direction penchée à 45°, voisinant avec un autre auroch un peu moins penché. Dans cet assemblable incohérent d'animaux, se dirigeant vers toutes les directions et selon des échelles de taille incompatibles, on reconnaît le thème de l'expression synthétique de la 3e filière. Ces représentations animales incohérentes ajoutent leur matérialité en 1+1, tandis que l'esprit de l'artiste qui a ainsi divisé le groupe des animaux selon de multiples directions et sur de multiples échelles de représentation relève du type 1/x.

L'effet prépondérant d'entraîné/retenu découle directement de l'incompatibilité entre les diverses représentations : lorsqu'on se laisse entraîner à penser que l'on doit lire selon une certaine orientation et selon une certaine échelle, on en est retenu par les représentations qui contrarient cette lecture et qui nous entraînent à lire plutôt d'une autre façon. Du fait de leurs incompatibilités mutuelles, chaque représentation animale correspond à une échelle et une orientation autonomes qui font ensemble un groupe d'animaux rassemblés sur une même surface : effet d'ensemble/autonomie. N'étant représentées que par leur contour fermé, ces présences animales semblent comme transparentes, laissant ouverte à la vue la présence et la texture de la paroi : effet d'ouvert/fermé. Enfin, si ces représentations animales se suivent en continu sur la roche, elles ne se suivent pourtant pas dès lors qu'on lit séparément chaque contour animal selon son orientation et selon son échelle de représentation propres : ça se suit/sans se suivre.

 

 


Grotte Cosquer, Bouches-du-Rhône, France :

À gauche, bouquetin gravé vu de profil et à la tête vue presque de dessus

 

À droite, bison peint au corps vu de profil et à la tête vue de ¾

 

Sources des images : La Grotte Cosquer, Éditions du Seuil, 1992  et https://marcelle.media/grotte-cosquer-reconstitution-3d-musee-marseille/


 

Pour l'expression analytique de la troisième étape de la 3e filière, une gravure et une peinture de la grotte Cosquer qui représentent toutes les deux un animal vu de profil qui tourne la tête vers nous. La gravure est celle d'un bouquetin, la peinture celle d'un bison.

Dans les deux cas, la présence de la paroi et la présence d'une forme animale se font concurrence dans le corps de ces animaux du fait que la texture de la paroi se continue visiblement à l'intérieur de leurs corps, en particulier à cause de l'absence de peinture sur son flanc dans le cas du bison. En tournant la tête, les animaux semblent faire sortir celle-ci du plan 2D de la paroi et lui donner une présence 3D autonome. Dans le cas du bouquetin, c'est seulement notre lecture qui donne du volume à la tête de l'animal. Dans le cas du bison, les nombreux poils peints de sa tête et de son encolure aident à faire penser qu'à cet endroit-là on n'a pas affaire à une paroi mais à un véritable animal doté d'un volume sortant de la paroi.

La matière plane 2D de la paroi et celle des animaux dotés d'un volume 3D au niveau de leur tête s'ajoutent en 1+1 tandis que l'esprit de l'artiste qui a mis en relation ces deux aspects relève du type 1/x. Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément le corps de l'animal où il se confond avec la paroi et sa tête qui semble en émerger, et l'on est dans le thème de l'expression analytique de la 3e filière qui consiste à mettre en scène le contraste entre la représentation d'un animal doté d'un esprit et la présence purement matérielle de la paroi.

À la troisième étape de la 3e filière comme dans la 1re filière, l'effet prépondérant est l'effet d'ensemble/autonomie : la vue d'ensemble de chaque animal résulte de la combinaison de deux parties autonomes, celle de son corps qui se confond avec la paroi, celle de sa tête qui semble en sortir en se tournant vers nous. Ces deux parties appartiennent de façon homogène à un même animal, mais elles sont mutuellement hétérogènes puisque l'une est 2D quand l'autre se lit en 3D : c'est un effet d'homogène/hétérogène. Le corps des animaux est rassemblé avec la paroi, il s'en sépare au niveau de la tête qui semble en sortir : c'est un effet de rassemblé/séparé. Les parties 3D se synchronisent avec les parties 2D dans une représentation globale des animaux, mais une telle différence de dimension implique qu'elles sont mutuellement incommensurables : c'est un effet de synchronisé/incommensurable. Enfin, le corps des animaux est continu avec la paroi mais il se coupe de sa surface au niveau de la tête qui semble en sortir : c'est un effet de continu/coupé.

 

 

 


Grotte Cosquer, Bouches-du-Rhône, France : un cerf mégacéros peint par son contour sur un plafond

 

Source de l'image : La Grotte Cosquer, Éditions du Seuil, 1992

 

 

Pour l'expression synthétique de la troisième étape de la 3e filière, un cerf mégacéros reconnaissable à son énorme bosse peint sur un plafond de la grotte Cosquer.

Un mégacéros sur un plafond, c'est un mégacéros volant, autant dire une anomalie absolue, ce qui correspond au thème de l'expression synthétique de la 3e filière. On renvoie aux explications données pour la 1re étape.

L'effet prépondérant est celui de l'effet d'ensemble/autonomie qui s'exprime ici par l'association de la représentation d'un cerf avec le support qu'offre le plafond de la paroi pour donner ensemble l'impression qu'il y a là un mégacéros en train de voler, tandis que l'aspect « normal » du plafond au-dessus de nos têtes et la situation « anormale » du mégacéros en font deux réalités autonomes. Le dessin du mégacéros constitue une hétérogénéité sur la paroi homogène du plafond, en l'occurrence homogènement recouverte par des tracés digitaux : c'est un effet d'homogène/hétérogène. La représentation et la paroi support sont rassemblées mais apparaissent comme deux réalités bien distinctes puisque la paroi se fait valoir par sa surface 2D et le contour de l'animal par son tracé linéaire 1D : c'est un effet de rassemblé/séparé. La présence d'un mégacéros en l'air est incommensurable avec la réalité de cet animal, mais elle s'est toutefois synchronisée avec la paroi du plafond qui reçoit sa représentation : c'est un effet de synchronisé/incommensurable. L'apparence de la paroi est continue à travers la représentation qui la coupe : c'est un effet de continu/coupé.

 

 

 


Foz Côa, Portugal : aurochs gravé

 

Source de l'image : https://www.donsmaps.com/coavalley.html

 

 

Pour la quatrième étape de la 3e filière dans son expression analytique, d'abord un aurochs traité par son contour dans une gravure sur une paroi rocheuse en plein air, à Foz Côa, au Portugal.

Comme le veut le thème de l'expression analytique de la filière, cette gravure met en contraste la représentation de l'animal et la texture matérielle de la paroi qui la traverse très visiblement.

À la quatrième étape de la 3e filière, comme dans la 1re filière l'effet prépondérant est l'ouvert/fermé : le contour de l'animal est fermé et il enferme en lui la présence de l'aurochs, mais il est simultanément ouvert et comme transparent puisqu'il laisse voir la paroi rocheuse et ses diverses irrégularités. L'effet de lié/indépendant se réfère à la façon dont le contour de l'animal est fortement lié à la paroi puisqu'il y est gravé, qu'il l'entame donc profondément, tout en s'affirmant comme une figure indépendante puisque clairement autonome de la texture de la paroi qui se continue à travers elle. L'effet de même/différent peut se ressentir de deux façons : d'une part, cette représentation est identique à l'apparence d'un aurochs tout en en étant différente puisqu'il ne s'agit que d'un contour gravé, d'autre part on peut dire que si la paroi rocheuse reste la même à l'extérieur et à l'intérieur du contour de l'aurochs, elle est en même temps différente à l'intérieur puisque là seulement elle entre en concurrence avec la présence virtuelle de l'animal. La surface située à l'intérieur du contour de l'animal correspond à la face extérieure de la paroi rocheuse : c'est un effet d'intérieur/extérieur. L'effet d'un/multiple est ici porté par les multiples circonvolutions et détails du contour qui, du fait de son caractère de contour fermé, possède un caractère unitaire très affirmé. Il vaut aussi pour les multiples détails de la texture de la roche qui n'en reste pas moins unifiée en tant que matériau.

 


 

Grotte de Lascaux, Dordogne : ci-dessus, une tête de taureau et une silhouette de bouquetin.

 

Source des images : http://archeologie.culture
.fr/lascaux/fr/mediatheque


 

 À droite, le deuxième « cheval chinois »


 

Pour la même étape, et dans la même 3e filière analytique, quelques peintures de la grotte de Lascaux.

La tête de taureau et la silhouette de bouquetin peuvent s'analyser comme on vient de le faire pour la gravure de l'aurochs de Foz Côa, avec toutefois la circonstance que leur contour n'est pas fermé, de telle sorte que l'effet d'ouvert/fermé se sert également du contraste entre la partie du contour qui est refermée et sa partie qui est largement ouverte sur la paroi. L'effet d'intérieur/extérieur s'enrichit pour sa part du fait qu'une partie de paroi située à l'extérieur du contour, de son côté laissé ouvert, peut aussi bien être perçue comme située à l'intérieur de l'animal.

Le « cheval chinois » mérite une analyse plus spécifique car il combine les deux techniques envisagées pour la première étape à la grotte Chauvet. La technique par tracé du contour que l'on avait vu pour les deux représentations d'ours de Chauvet est ici utilisée pour le ventre et les pattes, tandis que la surface de la paroi, avec sa couleur et sa texture propre, pénètre très visiblement à l'intérieur du corps du cheval. Très improprement, les préhistoriens ont pris l'habitude de considérer que l'absence de continuité entre le corps de l'animal et les pattes situées sur la face arrière est un effet de perspective. En fait, il n'y a ici aucun point de fuite que l'on puisse repérer et il s'agit seulement de séparer ce qui est à l'arrière-plan de ce qui est à l'avant-plan, mais ce n'est pas rien, toutefois, que cette non-continuité du tracé qui n'existait pas dans les ours de la grotte Chauvet, car c'est un autre moyen par lequel la couleur et la texture de la paroi matérielle se glissent à l'intérieur de l'animal, cette fois entre le profil de son contour et l'attache de ses pattes d'arrière-plan. On en vient à la seconde technique utilisée à Chauvet pour les trois têtes aurochs, une technique par remplissage de peinture qui confronte l'apparence matérielle réelle de l'animal, son opacité et sa couleur, avec la couleur et texture de la matière de la paroi. Cette fois, c'est la moitié haute du cheval qui est traitée de cette façon, avec la couleur brune de son pelage qui forme un dessin en M et avec les détails de sa tête et de sa crinière noire.

L'effet prépondérant d'ouvert/fermé s'appuie sur le contraste entre la partie haute de l'animal qui ferme la vue de la paroi du fait de l'opacité de sa peinture brune et d'autre part sa partie basse qui laisse la paroi complètement ouverte à la vue. L'effet de lié/indépendant s'appuie aussi sur l'indépendance du traitement des deux parties du cheval, par contour dans un cas et par aplat de couleur dans l'autre, ces deux parties n'en étant pas moins liées l'une à l'autre dans la représentation d'un même cheval. Cette complémentarité des deux parties traitées différemment pour former ensemble un même cheval correspond aussi à l'effet de même/différent et à l'effet d'un/multiple. La pénétration de la surface de la paroi à l'intérieur de la moitié basse du contour du cheval et à l'intérieur de l'espace compris entre son corps et les pattes de l'arrière-plan correspond à un effet d'intérieur/extérieur, puisque les deux fois la paroi extérieure à la représentation du cheval pénètre ainsi à l'intérieur de son corps.

 

 

 


 

Grotte de Lascaux : ci-dessus, détail de la rotonde des taureaux ; à droite, le « cheval qui tombe »

Source des images : http://archeologie.culture.fr/lascaux/fr/mediatheque


 

Pour l'expression synthétique de la quatrième étape de la 3e filière, d'autres peintures de la grotte de Lascaux.

On a dit que le thème de l'expression synthétique de cette filière était l'anomalie des représentations animales, anomalies dont on a vu qu'elles correspondaient parfois à des incohérences dans les échelles de représentation des divers animaux et parfois à des incohérences dans leurs orientations. Nous allons envisager ces deux types d'incohérences.

Dans l'extrait de la frise de la rotonde d'entrée, on repère aisément l'anomalie de la taille respective des animaux : le taureau blanc est gigantesque par rapport aux chevaux, qui eux-mêmes ne sont pas cohérents entre eux si l'on compare les petits chevaux en partie basse et le cheval rouge et noir qui les survole, tandis que le cerf situé à droite du taureau est aussi ridiculement petit par rapport à ce cheval bicolore. Quant à l'anomalie de l'orientation, c'est le « cheval qui tombe » qui y correspond le plus clairement, et cette dénomination du cheval aurait probablement été considérée sans pertinence par l'artiste de Lascaux qui l'a réalisé. En effet, il ne tombe pas plus que tous les animaux orientés à la verticale dont on a vu des exemples à la grotte Chauvet et dans la Frise Noire de Pech-Merle, comme eux il est seulement dans une position anormale afin de s'ajouter en +1 à côté des autres, c'est-à-dire sans qu'il puisse faire avec eux une unité d'ensemble du type 1/x que l'on pourrait repérer. Et c'est pour la même raison que, dans l'exemple précédent, les animaux ont des tailles incompatibles entre elles.

L'effet prépondérant d'ouvert/fermé s'exprime par la tentation que l'on a de lire séparément chaque animal, soit parce qu'il a une échelle de représentation incompatible avec les autres, soit parce qu'il a une orientation incompatible avec les autres, car cela ouvre le groupe représenté qui, si l'on s'abstient de les lire séparément, reste un groupe fermé et figé dans sa représentation matérielle. Les animaux sont liés par leur représentation au voisinage les uns des autres sur une même paroi, parfois même par leurs superpositions, mais ils sont indépendants par leur échelle de représentation ou par leur orientation : c'est un effet de lié/indépendant. L'effet de même/différent et celui d'un/multiple s'appuient sur le même principe : un seul et même groupe comporte de multiples animaux différents, représentés à des échelles différentes ou selon des orientations différentes. L'effet d'intérieur/extérieur joue aussi de ces incohérences puisque, à l'intérieur d'un même groupe de représentations, on repère des animaux qui sont incompatibles avec les autres et qui peuvent donc être considérés comme extérieurs à ce groupe.

 

 



Grotte de Niaux, Ariège (fac-similé au Parc de la Préhistoire de Tarascon-sur-Ariège) : un cheval et un bison

 

Sources des images :
http://prehistoart.canalblog
.com/archives/2009/11
/28/15959844.html
et
https://media.joomeo.com
/large/51e8439b47f43.jpg

 

 

Pour l'expression analytique de la cinquième et dernière étape de la 3e filière, un cheval et un bison peints dans la grotte de Niaux.

Tous deux ont pour caractéristique d'être à la fois représentés par un trait de contour et par des hachures qui évoquent leurs poils. Ces poils sont pour partie à l'intérieur du contour et pour partie sur le contour lui-même, faisant alors disparaître la continuité de son trait.

L'usage d'un trait de contour laisse le corps de l'animal transparent, et, parce qu'elles sont franchement écartées les unes des autres, les hachures de son pelage permettent aussi de voir la paroi rocheuse à travers elles. On est donc toujours dans le cas où deux matérialités sans rapport l'une avec l'autre s'additionnent en 1+1 : la paroi matérielle de la grotte, et par-dessus l'apparence matérielle de l'animal.

Par différence toutefois avec les étapes précédentes dans lesquelles les animaux dessinés par leur contour ne laissaient voir que le rocher à travers leur corps, la présence des hachures de poils à l'intérieur de leur corps permet de suggérer son volume. Dans le cas du cheval, l'inclinaison et la densité variable de ces hachures permettent notamment de bien ressentir le volume de son flanc qui s'arrondit sur son dos et donne l'impression que la ligne de son dos est très éloignée en profondeur du pelage qui recouvre son flanc. Dans le cas du bison, c'est l'existence de plusieurs rangées successives de poils, aussi bien dans la partie basse de son flanc que sur son dos, de chaque côté de sa bosse, qui provoque l'illusion visuelle d'un éloignement différent des lignes de hachures, parfois parallèles entre elles et parfois en sens croisés, tel qu'il en va sous la tête et sur le dos de l'animal. Du fait de ces hachures qui suggèrent le volume de l'animal mais qui laissent une transparence suffisante pour qu'on repère aussi la continuité de la paroi, on n'a plus affaire à un contour animal cernant une surface de paroi, mais à la concurrence entre un animal doté d'un volume et une paroi continue. Cet effet de volume est d'ailleurs renforcé par la présence des pattes situées en arrière-plan dont on voit bien qu'elles n'ont pas besoin d'être détachées du profil, comme dans le cheval chinois de Lascaux, pour que l'on comprenne que l'animal s'étage dans la profondeur. Il n'y a donc pas seulement l'ajout d'un profil animal par dessus la paroi, mais la concurrence, au même emplacement, du volume d'un animal et de la présence de la paroi, et cette concurrence de deux réalités matérielles distinctes au même emplacement relève évidemment du type 1/x. Très normalement donc, à la dernière étape de la 3e filière, le caractère 1+1 apporté par l'ajout d'un contour animal sur la paroi rocheuse a trouvé le moyen de relever aussi du type 1/x qui permettra de passer à la phase ontologique suivante.

À la cinquième et dernière étape de la 3e filière, l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre. On peut d'abord le lire dans la continuité visuelle de la paroi qui se poursuit à travers les animaux sans toutefois se poursuivre lorsqu'on considère que sa surface est occupée par la présence des animaux. On peut aussi le lire dans le parallélisme des hachures, qui se suivent selon des alignements bien visibles mais qui ne se suivent pas puisqu'elles sont parallèles entre elles et vont donc côte à côte. Dans le cas des hachures qui dessinent le pelage du dos du cheval, on peut dire qu'elles se suivent parce qu'elles se touchent l'une derrière l'autre, mais aussi qu'elles ne se suivent pas puisqu'elles n'arrêtent pas de changer de direction par rapport à celles qui les précèdent. On peut enfin le lire dans l'alternance des parties de contour réalisées dans un trait continu et des parties de contour réalisées par des hachures : ces hachures suivent ce contour, mais leur orientation ne le suit pas puisqu'elles sont en biais par rapport à lui.

L'effet de même/différent s'exprime de plusieurs façons : la même emprise de la représentation relève de deux statuts différents puisque c'est à la fois un animal et une partie de la paroi ; une même représentation est faite de deux graphismes différents, un contour continu et des hachures parallèles ; enfin, de chaque animal on peut dire qu'il est le même qu'un véritable animal mais aussi différent du fait que sa couleur et sa texture est celle de la paroi. Tout ce que l'on vient d'énumérer vaut aussi pour l'effet d'un/multiple qui s'exprime en outre par la multitude des hachures qui font ensemble une seule texture. L'effet d'intérieur/extérieur utilise le fait que l'extérieur de la paroi se voit à l'intérieur la représentation animale, et que les parties hachurées du contour font librement pénétrer la paroi extérieure à l'intérieur de ce contour. Enfin, le regroupement visuel de chacun des animaux dans un volume corporel est suffisamment bien évoqué pour qu'on le devine, mais il est raté puisqu'on voit que la paroi se poursuit à l'intérieur de l'animal où elle fait valoir son aspect de surface : c'est un effet de regroupement réussi/raté.

 

 


Grotte d'Ekain, Pays Basque espagnol : deux chevaux peints du deuxième panneau

 

Source de l'image : https://www.ekainberri.eus/fr/category/lart-rupestre/

 

 

Toujours pour l'expression analytique de la dernière étape de la 3e filière, ces chevaux peints dans la grotte d'Ekain, au Pays Basque espagnol, caractéristiques des peintures animales de l'époque magdalénienne des deux côtés des Pyrénées. Comme dans le cheval chinois de Lascaux on y retrouve un contour qui laisse passer la paroi et sa couleur dans la partie basse de l'animal, avec d'autre part, sur son avant-train et sur son dos, une surface peinte qui informe au contraire de la couleur de l'animal. Par rapport au traitement de la couleur en aplat assez uniforme dans le cas de Lascaux, ici la couleur est beaucoup plus nuancée, allant par exemple du noir foncé au gris très clair dans le cas du cheval du haut, avec même une bande très claire qui sépare la tête de la crinière. Dans le cas de l'autre cheval, une forte accentuation de l'orangé de son pelage sur le dos et sur l'arrière-train suggère très précisément l'arrondi de son volume.

Comme dans le cas des hachures de Niaux, cette modulation du coloris qui n'existait pas dans le cheval chinois de Lascaux a l'avantage de suggérer le volume des animaux, et comme avec le cheval et le bison de Niaux on se retrouve donc avec un volume animal suggéré qui fait concurrence à la surface de la paroi qui passe à son endroit, et donc avec une expression qui relève simultanément du type 1+1 et du type 1/x.

 

 



 

Ci-dessus, grotte d'Altamira, Cantabrie : plafond des polychromes, dessin en couleur de Gaston Ferre d'après le relevé qu'en avait fait l'Abbé Breuil

Source de l'image : http://kuchka.org/information-ecology/faculty-imagination/ice-age-cave-art

 

À gauche, grotte de Rouffignac, Dordogne : relevé du Grand Plafond

Source de l'image : https://www.researchgate.net/figure/Grotte-de-Rouffignac-Dordogne-Grand-Plafond-emplacement-des-figures-34-1_fig1_308902869

 

 

Pour l'expression synthétique la cinquième et dernière étape de la 3e filière, deux ensembles de représentations animales réalisés sur un plafond de grotte.

Pendant toute la période paléolithique des animaux ont été représentés isolément sur des plafonds, mais c'est seulement à l'époque magdalénienne que l'on trouve de grandes surfaces continues de plafond rassemblant des animaux intensément groupés. On donne ainsi l'exemple du « Grand Plafond » de la grotte de Rouffignac en Dordogne dont les animaux s'organisent en cercles concentriques, les pattes parfois tournées vers le centre du groupe, parfois tournées vers l'extérieur, et parfois suivant un rayon de leur cercle. L'incohérence de leurs échelles de représentations respectives et l'incohérence de leur sens de représentation correspondent parfaitement au thème de l'expression synthétique de la 3e filière, thème dans lequel les représentations animales s'additionnent sans cohérence entre elles, donc en 1+1, tandis que l'esprit de l'artiste qui a réalisé ces multiples représentations de façon groupée, et donc en unité, relève du type 1/x. Ensuite, on revient sur l'exemple du plafond des polychromes d'Altamira, cette fois avec un relevé d'ensemble qui montre bien l'incohérence de la taille des différents animaux et de leurs directions. Là encore, leurs représentations s'additionnent les unes à côté des autres en 1+1.

 

 


Grotte d'Altamira : des visiteurs sous la réplique du plafond des polychromes

 

Source de l'image : http://www.thewalkman.it/scoperte-archeologiche-i-10-ritrovamenti-piu-importanti/neocueva_altamira/

 

 

Deux caractéristiques sont toutefois à prendre en compte. D'une part, l'aspect de « paquet », c'est-à-dire de groupe, que donne l'accumulation serrée de telles représentations sur une surface continue. Par lui-même, cet effet de groupe tend à dire qu'il s'agit d'un groupe fait de multiples unités et relève donc d'une lecture en 1/x. D'autre part, et surtout, toutes ces représentations animales partagent une même particularité très étonnante et très anormale : elles sont peintes sur un plafond, donc en l'air, et donc un peu comme si ces lourds animaux étaient en train de voler. Cette apparition, par exemple, de bisons en l'air, participe à l'aspect +1 de chacun de ces bisons, car cette situation n'a aucun rapport avec l'apparence normale d'un bison dressé sur le sol. Toutefois, comme tous les animaux du plafond partagent cette anomalie, il s'agit d'une anomalie « de groupe », c'est-à-dire une anomalie qui donne une unité à ce groupe. Un peu comme nous l'avions vu à la dernière étape de la 1re filière où l'anomalie d'une grande tache rouge recouvrant tous les animaux en faisait un groupe unitaire, c'est ici l'anomalie de leur situation en plafond qui donne une unité bien repérable à ce groupe d'animaux et qui permet qu'ils se lisent comme autant de parties d'un groupe unifié, et donc dans le cadre d'une expression du type 1/x, laquelle se conjugue ici avec son caractère d'addition d'animaux tous en situation anormale, et donc d'addition de 1+1 animaux.

Inutile de rappeler que cette capacité de combiner le type 1/x avec le type 1+1 signale que l'on est à la dernière étape de la filière et qu'il sera donc désormais possible de passer à la phase ontologique suivante.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre s'exprime évidemment par l'incohérence de la taille et de la direction des animaux qui se suivent sur une même paroi mais sans se suivre puisque leurs tailles et leurs directions sont incohérentes entre elles. De la même façon, on peut dire que les représentations sont assez réalistes puisque l'apparence des animaux est relativement la même que leur apparence réelle, mais elles sont en même temps très différentes car de tels animaux ne s'observent pas normalement en l'air : effet de même/différent. Comme souvent l'effet d'intérieur/extérieur joue sur le fait que l'extérieur de chaque animal est bien repérable à l'intérieur de leur groupe, ce qui résulte ici du fait que les représentations ne se chevauchent mutuellement que très peu. L'effet d'un/multiple va de soi pour les raisons que l'on a données concernant l'effet de groupe unifié que produisent ces multiples représentations animales. Enfin, si l'on ressent bien que les animaux sont regroupés de façon réussie sur le plafond, on ressent aussi que leur regroupement en un tel endroit ne peut être que raté puisqu'ils n'ont rien à y faire : effet de regroupement réussi/raté.

 

 

 

 

14.2.4.  L'évolution de la 4e filière de la phase de 1re confrontation de l'ontologie matière/esprit, filière dans laquelle M est du type 1+1 et e du type 1/x, et dans laquelle la tension entre les deux notions est de forte intensité :

 

 


 

Source des images : http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/mediatheque


 

Grotte Chauvet-Pont d'Arc : à gauche, superpositions sur le panneau des rennes, à droite, superpositions de chevaux sur un profil de lion dans l'alcôve du panneau des chevaux

 

 

Retour à la Grotte Chauvet pour l'expression analytique de la première étape de la 4e filière.

Le thème de l'expression analytique de la 3e filière était le contraste entre la représentation animale et la présence de la paroi de la grotte, celui de l'expression analytique de la 4e filière sera la dégradation mutuelle, du fait de leurs superpositions, des représentations animales.

Nous ne reviendrons pas, à chaque étape, sur la justification de ce thème qui est assez simple : quand une représentation de l'aspect matériel d'un animal vient en dégrader une autre en s'y ajoutant par-dessus, elle le fait nécessairement en 1+1 puisqu'elle la détruit, au moins partiellement ; quant à l'esprit de l'artiste, parce que c'est lui qui combine ces multiples images animales dans un même graphisme, il relève pour sa part du type 1/x. Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément l'unité de la figure que forme chaque animal et le fait que sa représentation gêne la lecture d'une autre forme animale.

Ainsi, sur le panneau des rennes, deux rennes regardant vers des directions opposées se chevauchent partiellement, les pattes avant et le ventre de l'un s'enfonçant profondément dans le dos de l'autre en gênant la lecture des deux animaux. Au dessus, un renne se superpose à un cheval dont le corps devient assez illisible. Dans l'alcôve du panneau des chevaux, plusieurs avant-trains de chevaux se superposent à un profil de lion qu'ils cachent en grande partie, et ce profil passe lui-même devant le poitrail de l'un des chevaux, ce qui occasionne une figure assez embrouillée puisque l'on ne sait plus dire, du lion ou du cheval, lequel est devant l'autre dès lors que cela change selon les endroits : la tête du cheval est devant le lion, son poitrail est derrière.

À la première étape de la 4e filière comme dans la 2e, l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre. Matériellement, les représentations qui se superposent se suivent puisqu'elles sont sur la même paroi dont elles partagent même une partie de la surface, mais les animaux ainsi représentés vont chacun dans sa propre direction ou selon sa propre logique, et donc sans suivre les autres. Ces superpositions regroupent nécessairement les diverses représentations animales mais la gêne mutuelle qu'elles s'occasionnent fait rater la lisibilité de leur regroupement : regroupement réussi/raté. L'effet de fait/défait va de soi puisque chaque représentation est faite mais que, en se superposant à une autre, elle défait sa lisibilité. Les représentations sont mutuellement reliées du fait de leur superposition, mais il faut les détacher visuellement l'une de l'autre pour pouvoir les lire correctement : effet de relié/détaché. Chacune des représentations trouve son équilibre visuel par l'appui de plusieurs endroits de son contour périphérique sur le contour d'un autre animal, ce qui relève de l'effet du centre/à la périphérie, un effet qui nous laisse aussi quelque peu déstabilisés du fait que l'artiste a volontairement dégradé ses représentations en les superposant alors qu'il ne manquait pas de place pour les réaliser les unes à côté des autres, et dans le cas du cheval confronté au lion on est déstabilisé d'être incapable de savoir lequel est devant l'autre à cause des renseignements contradictoires qui nous sont donnés à ce sujet.

 

 

 


Grotte Chauvet-Pont d'Arc : pendant dit « de la Vénus »

 

Source de l'image : http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/mediatheque/pendant-venus

 

 

Pour l'expression synthétique de la première étape de la 4e filière, nous revenons sur le pendant dit « de la Vénus » de la grotte Chauvet.

De façon injustifiée les préhistoriens envisagent souvent cette image comme la combinaison d'une femme et d'un bison. C'est négliger la présence du lion qui est bien arrimé au bison, et c'est aussi négliger le mammouth dont le profil du dos continue à l'évidence celui du lion et du bison. En fait, ces quatre représentations partielles, animales et humaine, ne fusionnent pas mais s'ajoutent en 1+1 les unes à la suite des autres sans faire ensemble une réalité globale que l'on pourrait saisir autrement que sous cette forme de file. L'esprit de l'artiste, puisqu'il a ici conçu ce groupe de multiples figures autonomes, relève du type 1/x.

Il est instructif de comparer cette image peinte avec la sculpture de l'homme/lion de la grotte de Hohlenstein-Stadel correspondant à la même étape (voir chapitre 14.1.1) : autant cet homme/lion apparaît comme un être qui fusionne en lui des éléments humains et des éléments félins, autant, par comparaison, sur le pendant de la Vénus on peut seulement constater l'échelonnement sans mélange de quatre morceaux d'êtres qui se suivent en file les uns à côté des autres.

Une nouvelle fois, la différence entre sculpture et peinture mérite d'être rappelée : dans la sculpture, l'esprit de l'artiste et la matière qu'il transforme en sculpture forment un couple unitaire, ce qui aide la matière animale du lion et à la matière humaine de l'homme à également s'assembler en couple, et donc à relever de la 1re filière. Dans le cas de la peinture, celle-ci forme une réalité autonome qui se plaque sur la matière de la paroi, de telle sorte que chaque représentation animale s'ajoute à une autre en 1+1 sans aucunement fusionner, et cela de façon d'autant plus évidente si elle est de type différent.

Avec ce groupe composite mais non fusionné du pendant de la Vénus, nous avons introduit ce qui sera le thème de l'expression synthétique de la 4e filière : l'association de réalités partiellement humaines, partiellement animales, ou même partiellement étranges ou monstrueuses. Il s'agit d'une expression synthétique car on ne peut pas considérer le regroupement de ces réalités différentes sans s'affronter à l'anomalie de leur regroupement puisqu'elles n'ont rien à faire l'une avec l'autre et qu'elles ne devraient donc pas être ainsi mélangées.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre va de soi puisque, si des réalités qui n'ont rien à faire l'une avec l'autre se suivent l'une derrière l'autre dans la représentation, elles ne se suivent pas réellement puisqu'elles ne font rien ensemble et que chacune reste donc bien indépendante. L'effet de regroupement réussi/raté s'appuie sur le même principe : les différentes réalités sont physiquement regroupées les unes à côté des autres mais, puisqu'elles ne fusionnent pas dans une réalité plus haute qui les rassemblerait, on peut également dire que leur regroupement est raté. Leur regroupement est physiquement fait, mais il est aussi défait du fait de l'absence de signification de leur mise ensemble : c'est un effet de fait/défait. Les trois parties animales et la partie féminine sont reliées ensemble par leurs tracés mais elles se détachent les unes des autres dès lors qu'on prend en compte leurs réalités autonomes : c'est un effet de relié/détaché. Enfin, nous sommes désarçonnés par la mise ensemble graphique de ces réalités qui n'ont rien à voir les unes avec les autres : c'est un effet du centre/à la périphérie.

 

 

 


Grotte de Cussac, Gironde, France : gravures d'animaux superposées

 

Source de l'image : https://www.sudouest.fr/2017/11/08/un-fac-simile-pour-cussac-3929729-6204.php

 

 

Pour l'expression analytique de la deuxième étape de la 4e filière, on revient dans la grotte de Cussac avec, sur son « grand panneau », une superposition intensive de représentations qui se nuisent mutuellement, ce qui est conforme au thème de l'expression analytique de cette filière. En particulier, dans la partie gauche de la photographie, on a affaire à des représentations très emmêlées qu'il est très difficile d'isoler visuellement pour comprendre ce qui est représenté.

À la deuxième étape de la 4e filière, l'effet prépondérant est toujours le ça se suit/sans se suivre : matériellement les représentations qui se superposent se suivent puisqu'elles sont sur la même paroi dont elles partagent même une partie de la surface, mais pour être lu chaque animal doit être séparé de ceux qui lui sont superposés ce qui implique de faire comme s'ils ne se suivaient pas sur la gravure. L'effet d'entraîné/retenu est lié à la difficulté de lecture imposée par cette superposition intensive : chaque fois que l'on se laisse entraîner à lire le contour d'un animal, on est retenu d'en continuer la lecture à cause des autres contours imbriqués qui la contrarient. L'effet d'ensemble produit par ces gravures superposées est précisément un effet de superposition, tandis que chaque contour animal se fait aussi valoir de façon autonome : effet d'ensemble/autonomie. Cet ensemble de superpositions enferme tous les contours dans une trame dense de tracés interconnectés, mais on ouvre cette trame à chaque fois que l'on décrypte le contour d'un animal en particulier : effet d'ouvert/fermé.

 

 



Grotte de Roucadour, Lot, France : relevé d'un panneau gravé et peinte, et ordre de ses superpositions

 

Source des images : Art Pariétal – Grottes ornées du Quercy, de Michel Lorblanchet aux Éditions du Rouergue

 

 

Toujours pour l'expression analytique de la deuxième étape de la 4e filière, un panneau de la grotte de Roucadour dont les relevés de Michel Lorblanchet ont montré de quelle façon les gravures et les peintures de mains négatives s'étaient superposées dans le temps.

Que les superpositions soient intenses dans la partie basse du panneau ou qu'elles plus aérées dans sa partie haute, les représentations de l'apparence matérielle des animaux réalisées ici sont souvent difficilement déchiffrables, impossibles même à repérer pour certaines. Les rayures, les figures abstraites et les mains négatives sont par contre des marques de l'esprit qui sont pour la plupart bien repérables et bien lisibles. Avec les représentations animales, elles forment globalement un tapis de graphismes fait d'une multitude de marques d'interventions de l'esprit qui donnent à l'ensemble de ces interventions de l'esprit un type 1/x.

Dans ses commentaires, Michel Lorblanchet souligne que, à plusieurs reprises, des gravures recouvertes par des peintures ont été rénovées, ce qui implique que les superpositions n'étaient pas destinées à nier les gravures antérieures, mais que l'effet même de superposition avait un sens qui impliquait que les gravures recouvertes restent visibles. Cela conforte l'attribution du caractère d'addition 1+1 pour les figures représentant l'apparence matérielle des animaux rendues le plus souvent illisibles par ces superpositions.

Il s'agit d'une expression analytique, car on ne peut considérer séparément qu'il y a une superposition de formes et que cette superposition est une gêne pour leur lecture.

Les effets impliqués s'analysent comme dans l'exemple précédent.

 

 




 

Grotte de Cussac, Gironde, France : gravures d'animaux fantastiques   Source des images : Grotte de Cussac – 30 000, éditions confluences (2020),

 

Pour l'expression synthétique de la deuxième étape de la 4e filière, des représentations très bizarres, voire monstrueuses, comme le veut le thème de l'expression synthétique de cette filière. Dans la grotte de Cussac, trois gravures d'êtres fantastiques, c'est-à-dire ne se rapportant à aucune réalité que les humains préhistoriques auraient pu observer mais dont l'apparence matérielle est obtenue par d'étranges déformations appliquées à l'apparence de certains animaux.

Dans la grotte du Pech-Merle, des animaux chimériques dont Michel Lorblanchet a montré qu'il s'agissait d'animaux composites, entièrement imaginaires, fabriqués à partir de mégacéros sur lesquels ont été ajoutés des morceaux de bouquetin et de cheval ([1]). La créature située à l'avant peut être lue comme un animal à deux têtes ou comme deux animaux décalés partageant leur dos, quant à l'autre créature, son dos n'est pas continu et elle semble l'assemblage volontairement raté de deux corps distincts. Toujours au Pech-Merle, des créatures que Leroi-Gourhan avait qualifiées à tort de « femmes-bisons ». Leurs énormes fessiers et ce qui pourrait être des seins tombants peuvent éventuellement faire penser à des femmes, mais leur long cou, leur absence de tête et leur démarche très penchée n'ont rien d'une apparence féminine. Là aussi il faut penser qu'il s'agit de créatures fantastiques entièrement imaginaires et ne correspondant à rien de réel.

 


À gauche, Le Combel de la grotte du Pech-Merle, Lot : animaux chimériques (relevé des peintures)   Source de l'image : https://www.donsmaps.com/pechmerle.html

 

À droite, Grotte du Pech-Merle, Lot : panneau dit des « femmes-bisons »   Source de l'image : https://www.hominides.com/html/lieux/grotte-pech-merle.php


 

Dans les prochaines étapes de cette filière synthétique on retrouvera d'autres créatures bizarres ou fantastiques obtenues à partir de l'apparence d'un animal ou d'un humain sur laquelle des anomalies ont été ajoutées. Comme il s'agit d'anomalies, cette addition de propriétés physiques, et donc matérielles, relève d'une addition du type 1+1, et là encore l'esprit de l'artiste qui mélange ces divers aspects relève pour cela du type 1/x. Il s'agit d'une expression synthétique car nous ne pouvons pas percevoir l'aspect anormal d'une telle créature sans être sensible à ses aspects qui rappellent l'apparence d'une créature normale.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre est lié à l'ambiguïté de ces créatures : pour partie, elles suivent l'apparence de créatures normales, pour partie, elles ne la suivent pas. L'effet d'entraîné/retenu est également lié à cette ambiguïté : lorsqu'on se laisse entraîner à reconnaître quelque aspect évoquant une créature réelle on en est retenu par l'impossibilité qu'il puisse s'agir d'une telle créature. L'effet d'ensemble/autonomie s'appuie sur l'amalgame des aspects réalistes et des aspects irréalistes, des aspects autonomes qui chaque fois génèrent ensemble l'apparence d'un être fantastique. L'effet d'ouvert/fermé joue également de cet amalgame : soit on ferme la figure en lisant la figure fantastique dans sa globalité, soit on l'ouvre en détachant les uns des autres les aspects qui rappellent des formes réelles et ceux qui ne correspondent à rien de possible.

 

 

 


Grotte Cosquer, Bouches-du-Rhône, France : gravure d'animaux superposés (relevé)

 

Source de l'image : La Grotte Cosquer, Éditions du Seuil, 1992

 

 

Pour l'expression analytique de la troisième étape de la 4e filière, nous retrouvons la filière dans laquelle les représentations animales se superposent et se gênent mutuellement quant à leur lisibilité. Dans la grotte Cosquer, nous avons ainsi la superposition d'un cheval, d'un bouquetin, et de deux animaux indéterminés qui correspondent à des créatures fantastiques relevant de l'expression synthétique que l'on envisagera plus loin : à l’extrémité gauche, un animal qui ressemble à un oiseau sans tête, au centre un animal à quatre pattes dont le museau et les oreilles (ou cornes) ne ressemblent à rien de connu.

À la troisième étape de la 4e filière, comme dans la 2e l'effet prépondérant est l'homogène/hétérogène : les animaux, qu'ils soient normaux ou fantastiques, sont tous représentés de façon homogène au moyen d'une gravure de contour, mais la superposition de ces contours gêne la lecture de chacun et les rend ainsi mutuellement hétérogènes. L'effet de rassemblé/séparé va de soi puisque les superpositions rassemblent des représentations d'animaux distincts que l'on peut lire de façons séparées. L'effet de synchronisé/incommensurable utilise la combinaison d'animaux normaux et d'animaux fantastiques : ce sont des réalités mutuellement incommensurables qui se sont synchronisées pour se retrouver superposés au même endroit de la paroi. Cette superposition de contours animaux forme une figure gravée continue obtenue par l'intersection des contours, ce qui correspond évidemment à un effet de continu/coupé.

 

 

 


Grotte Cosquer : gravure d'un animal fantastique (relevé)

 

Source de l'image : La Grotte Cosquer, Éditions du Seuil, 1992

 

 

Pour l'expression synthétique de la troisième étape de la 4e filière, nous retrouvons des figures fantastiques dérivant de l'apparence matérielle d'animaux réels. Nous venons d'en évoquer deux dans la grotte Cosquer, en voici une troisième, gravée dans la même grotte.

Son corps peut faire penser à un bouquetin auquel il manque toutefois les pattes arrière, mais son museau est muni d'un énorme bec dont on ne peut imaginer qu'il résulte d'une maladresse de l'artiste. La matérialité de ce large bec s'ajoute en +1 sur celle du corps de l'animal auquel elle n'est pas compatible, et l'esprit de l'artiste qui a conçu cette figure imaginaire mélangeant deux réalités incompatibles relève, pour cette raison, du type 1/x.

L'effet prépondérant d'homogène/hétérogène résulte de l'apparence de cet animal qui est homogène à celle d'un bouquetin mais qui présente l'hétérogénéité bizarre d'un bec pour terminer son museau. L'effet de rassemblé/séparé s'exprime par le rassemblement, dans un même profil, d'un aspect réaliste et d'un détail irréaliste qui se perçoivent séparément. L'effet de synchronisé/incommensurable correspond également à la synchronisation improbable, dans une même figure, de deux aspects incommensurables entre eux. Enfin, et de la même façon, l'effet de continu/coupé est lié à la continuité de la figure malgré sa coupure en deux parties bien tranchées l'une de l'autre, puisque le corps du bouquetin est réaliste et que son bec est irréaliste.

 

 

 


Grotte de Lascaux : dans la rotonde des taureaux, superposition d'un grand taureau blanc, d'une vache rouge et d'un cerf rouge

 

Source de l'image : https://mixcity.fr/grottes-de-lascaux-la-chapelle-sixtine-de-la-prehistoire/

 

 

Pour l'expression analytique de la quatrième étape de la 4e filière, nous retrouvons le thème des superpositions de représentations animales qui se nuisent mutuellement.

Comme exemple, une superposition de figures rouges sur un taureau blanc dans la rotonde d'entrée de la grotte de Lascaux. On peut encore assez bien distinguer la figure de cerf superposée aux pattes avant du taureau, mais la figure bovine qui se superpose à ses pattes arrière est assez illisible. Outre la dégradation mutuelle de leur lisibilité, la différence de leurs échelles de représentation, et donc l'incohérence de leur « mise ensemble », est également évidente.À la quatrième étape de la 4e filière, comme dans la 2e l'effet prépondérant est le rassemblé/séparé : ces superpositions rassemblent dans un même graphisme des animaux visibles de façons séparées et correspondant à des couleurs et à des échelles de représentation séparées.

L'effet de lié/indépendant s'exprime ici de façon similaire au rassemblé/séparé. L'effet de même/différent et celui d'un/multiple correspondent à l'assemblage, dans une seule et même figure, de multiples animaux différents représentés de différentes couleurs et selon des échelles différentes. L'effet d'intérieur/extérieur se réfère à l'inclusion du cerf et du bovin rouge à l'intérieur du corps du taureau blanc, tandis que nous percevons bien qu'il s'agit d'animaux qui lui sont extérieurs.

 

 


Vallée du Côa, site de Penascosa, Portugal : gravures superposées

Source de l'image : https://www.wikiwand.com
/fr/Sites_d%27art_rupestre_pr
%C3%A9historique_de_la
_vall%C3%A9e_de_C%C3%B4a

 

 

Comme exemple de gravure, dont les effets plastiques peuvent s'analyser comme pour la peinture de Lascaux, ce panneau de gravures superposées du site de Penascosa dans la vallée du Côa, au Portugal.

Sur l'avant d'un grand cheval se superpose un petit bouquin, tandis que, sur son dos, se superpose un cheval de plus petite taille et un autre bouquetin. Les lectures de ces deux dernières figures, croisées par le dos et l'arrière du cheval, se gênent particulièrement.

 

 




 

De gauche à droite, Lascaux, Dordogne : détail de la scène du puits – Gabillou, Dordogne : relevé schématique du « Sorcier » – Pergouset, Lot : relevé du « panneau des monstres » par Michel Lorblanchet

Source des images : http://archeologie.culture.fr/lascaux/fr/mediatheque, https://www.wikiwand.com/fr/Grotte_de_Gabillou et Art Pariétal – Grottes ornées du Quercy, de Michel Lorblanchet aux Éditions du Rouergue

 

Pour l'expression synthétique de la quatrième étape de la 4e filière, nous retrouvons des figures fantastiques imaginaires, peintes à Lascaux ou gravées à Gabillou (Dordogne), ainsi que sur le « panneau des monstres » de la grotte de Pergouset (Lot).

Les monstres de Pergouset n'apportent rien par rapport aux créatures fantastiques déjà envisagées pour l'expression synthétique de cette filière, et nous allons davantage porter attention à l'homme à tête d'oiseau de « la scène du puits » de Lascaux et au « Sorcier » de Gabillou, un être composite qui a un corps humain mais une tête cornue au mufle animal et qui semble pourvu d'une queue. Tout comme dans l'image peinte sur le pendant de la Vénus de la grotte Chauvet, on a affaire ici à l'assemblage de parties d'animaux et d'humains incompatibles entre elles qui s'ajoutent donc en 1+1. Par différence toutefois, ces différents morceaux de réalités matérielles incompatibles sont ici fusionnés en un corps unique, exactement comme il en allait pour la sculpture de l'homme/lion de Hohlenstein-Stadel, de telle sorte que, de la même façon, on peut parler d'un homme/oiseau dans le cas de Lascaux et d'un homme/bovidé dans le cas de Gabillou. Cela veut dire que le caractère 1+1 de ces assemblages insolites y a également acquis le caractère 1/x caractéristique de la dernière étape. Si ces deux images correspondent effectivement à la période du solutréen, cela veut dire que, dans quelques cas, cet objectif a été atteint une étape avant le terme normal de cette évolution, ce qui n'est pas sans rappeler le procédé de la sculpture en ronde bosse qui avait commencé à s'observer à l'avant-dernière étape de la 3e filière de la sculpture (voir chapitre 14.1.3) avant de se développer pleinement à sa dernière étape par des œuvres de beaucoup plus grande dimension. De la même façon, on verra à la prochaine étape que ce principe de fusion dans un même corps de parties humaines et de parties animales donnera lieu à de plus riches combinaisons.

L'effet prépondérant de rassemblé/séparé va de soi puisque différentes parties incompatibles entre elles, et donc relevant de réalités séparées, sont rassemblées dans un même corps. L'effet de lié/indépendant s'appuie sur le même principe, tout comme l'effet de même/différent et celui d'un/multiple, puisque différentes/multiples parties indépendantes sont réunies dans un même corps. L'incompatibilité entre elles de ces différentes parties produit également un effet d'intérieur/extérieur puisqu'elles correspondent à des réalités qui sont perçues comme extérieures les unes pour les autres alors qu'elles sont toutes réunies à l'intérieur d'un même corps.

 

 


Grotte des Trois-Frères, Ariège, France : relevé du panneau gravé sur le mur de droite      Source de l'image : https://www.donsmaps.com/troisfreres.html

 

Nous arrivons à la cinquième et dernière étape de la 4e filière et à son expression analytique, celle dont le thème est la superposition de représentations animales qui se nuisent mutuellement du fait de leurs intersections. À cette dernière étape, c'est la construction d'une véritable trame d'animaux superposés qui est à considérer.

C'est dans les ensembles gravés de la grotte des Trois-Frères, en Ariège, qu'on peut le ressentir le plus fortement cet effet de trame regroupant dans une unité plastique homogène une multitude de représentations animales se superposant plus ou moins.

Certes, ces animaux gravés dans tous les sens et selon des échelles incompatibles s'ajoutent de façon chaotique les uns à côté des autres et les uns au-dessus des autres, et donc en 1+1, toutefois, comme on pouvait s'y attendre pour l'évolution de ce thème des superpositions animales à la dernière étape, à grande échelle ces enchevêtrements chaotiques génèrent une trame gravée continue et assez homogène dans laquelle chaque représentation animale apparaît aussi comme une partie de cet ensemble, et donc une trame qui peut également se lire en 1/x.

À la dernière étape de la 4e filière, l'effet prépondérant est le synchronisé/incommensurable : ces différentes représentations animales sont incommensurables entre elles puisqu'elles ont des directions qui s'ignorent mutuellement et qu'elles ont parfois des échelles de représentation sans rapport les unes avec les autres, pourtant elles savent se synchroniser en s'étalant sur la paroi pour former un tapis de gravures assez homogène. Une même texture gravée contient différents animaux, c'est là un effet de même/différent. L'effet d'un/multiple se lit aussi dans cette trame unique qui regroupe de multiples animaux et de multiples détails gravés. Chaque représentation animale est à l'intérieur de cette trame, mais l'extérieur de chacune peut se repérer : c'est un effet d'intérieur/extérieur. Enfin, si toutes ces représentations animales ont réussi à se regrouper dans une trame gravée commune, la fusion de ces représentations est simultanément ratée puisque chacune peut aussi se lire isolément, n'ayant ni la même direction, ni parfois la même échelle que les autres : c'est un effet de regroupement réussi/raté.

 



 

Vallée du Côa, site de Fariseu, Portugal : panneau de gravures intensément superposées et son relevé

Sources des images : https://otempotemhistorias.files.wordpress.com/2018/01/gravuras-rupestres-foz-coa.jpg  et https://comum.rcaap.pt/bitstream/10400.26/23631/1/Fernandes2018b.pdf

 

 

Autre exemple de trame gravée assez homogène obtenue par la superposition de multiples figures animales sur le site de Fariseu dans la vallée d'une Côa, parmi un ensemble de gravures en plein air déjà envisagé pour l'étape précédente. Soit que ces gravures correspondent à une réalisation un peu postérieure à celle des exemples donnés pour l'étape précédente, incorporant éventuellement par superposition des représentations plus anciennes, soit que les artistes de ce panneau aient anticipé l'objectif de la phase ontologique, tout comme il en a été pour l'homme/oiseau de Lascaux et l'homme/bovin de Gabillou. Il semble impossible de négliger, ici, l'effet de trame gravée unifiée qui réunit en elle de multiples représentations animales.

 

 


 


 

Grotte des Trois-Frères, Ariège, France : à gauche, relevé par l'Abbé Breuil du « Sorcier » peint et gravé – ci-dessus, trois êtres hybrides extraits du panneau gravé sur le mur de droite

Source des images : https://www.donsmaps.com/troisfreres.html

 

 

Pour l'expression synthétique de la cinquième et dernière étape de la 4e filière, nous retrouvons des êtres composites similaires à l'homme/oiseau de Lascaux et à l'homme/bovin de Gabillou, avec deux exemples provenant de la Grotte des Trois-Frères. D'abord, le « Sorcier » peint et gravé dans cette grotte, mais qu'il vaut mieux qualifier d'être hybride, car rien ne permet de dire qu'il ait pu y avoir quelque chose qui ressemblait à des sorciers à l'époque préhistorique, et encore moins que de tels éventuels sorciers aient pu se déguiser de cette façon. Il a un corps et des jambes empruntés à l'apparence d'un humain mais il marche presque à quatre pattes, il a un sexe d'homme mais placé à l'arrière des fesses, comme celui d'un félin, il a aussi la queue d'un cheval, des mains que l'on pourrait croire palmées, un drôle de visage qui s'apparente à celui d'une chouette, avec une longue barbe, et il a des bois de cervidés ainsi que les oreilles et les épaules d'un renne ou d'un cerf.

Ensuite, trois créatures hybrides qui font partie de l'ensemble de gravures correspondant à l'expression analytique et que l'on peut donc retrouver en tant que détail du relevé d'ensemble donné plus haut. En tête de ce groupe, un renne femelle dont les pattes avant sont palmées et qui ont la forme de bras humain, suit un autre animal femelle qui a le corps d'un renne mais la tête d'un bison, enfin, une créature une nouvelle fois qualifiée à tort de « sorcier » : elle a les jambes arrière de type humain, des sabots à ses pattes avant, une queue animale et une tête cornue de bison.

Comme à toutes les étapes précédentes de cette filière, les différentes parties animales ou humaines qui s'assemblent le font de façon très anormale, ce qui relève d'une addition du type 1+1. Tout comme pour l'homme/oiseau de Lascaux, ces parties sont parfaitement fusionnées pour générer un être qui est sans doute très bizarre, mais qui n'en est pas moins apparemment unifié et relève donc également du type 1/x dès lors que ses multiples composantes sont intégrées à l'intérieur d'une seule et même entité. Comme on l'avait laissé entendre à l'occasion de l'étape précédente, l'accumulation des détails contradictoires que l'on trouve dans les exemples que l'on vient de donner, spécialement dans le cas de l'être hybride à bois de cervidés, est d'une complexité bien supérieure à celle des exemples donnés à cette étape précédente, ce qui suffit peut-être à justifier leur décalage d'étape.

L'effet prépondérant de synchronisé/incommensurable se traduit par la synchronisation, à l'intérieur d'un même être imaginaire, d'aspects qui appartiennent à des réalités complètement étrangères les unes des autres, et donc incommensurables les unes pour les autres. L'effet de même/différent correspond à l'intégration, dans un même être imaginaire, de différents composants provenant de réalités humaines et animales différentes. L'effet d'un/multiple correspond également à l'intégration de multiples aspects autonomes dans un même être imaginaire. Ces aspects, puisqu'ils relèvent de réalités complètement différentes, sont perçus comme extérieurs les uns pour les autres, mais ils sont simultanément à l'intérieur d'un même être, ce qui correspond à un effet d'intérieur/extérieur. Enfin, ces aspects étrangers les uns pour les autres ont réussi à se rassembler à l'intérieur d'un même être imaginaire, mais leur caractère d'étrangeté les uns pour les autres fait rater leur rassemblement, ce qui correspond à un effet de regroupement réussi/raté.

 

> Chapitre 15 – Du magdalénien final au début du bronze


[1]Voir le détail de son explication dans « Art Pariétal – Grottes ornées du Quercy » de Michel Lorblanchet aux Éditions du Rouergue