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Sommaire Art
tableau historique
 
tableau des 16 paradoxes
avant :  
généralités sur l'art gothique
suite :  
la nef de CHARTRES

 les piliers à colonnettes
de LAON
 
 
 
 
 

Pour aller aux autres exemples d'architecture gothique classique analysés :

    à la rosace de la cathédrale de LAON (cet exemple vous envoit dans une autre partie du site)
    à l'élévation intérieure de CHARTRES
    à la voûte sur croisées d'ogives de SENS
    à la façade de l'église SAINT-MICHEL de LUCQUES
         (cet exemple correspond aussi au style de la tour penchée de PISE)

   le tableau qui résume l'évolution de la musique et de l'architecture pendant le moyen-âge
   les généralités sur les effets paradoxaux que l'on trouve dans l'architecture gothique classique
 
 

Pour charger l'image de l'exemple analysé :   les piliers à colonnettes de la Cathédrale de LAON (France) - 1180 à 1190  (s'ouvre en principe dans une autre fenêtre)

Source de l'image utilisée :
Photographie de l'auteur
 

Ce type de pilier flanqué de colonnettes a été utilisé à Laon dans les premières travées proches du transept, puis il fut abandonné dans les travées suivantes au profit d'un simple pilier rond. L'abandon des colonnettes latérales provient à mon sens du fait que cette disposition nuisait à l'effet d'ensemble de la nef.
Malgré son abandon à Laon même, cette disposition est spécialement intéressante car elle préfigure les piles cylindriques flanquées de colonnes engagées que l'on trouvera par exemple dans la cathédrale de Chartres [voir son analyse], de Reims, d'Amiens ou de Beauvais. Alors, une solution aura été trouvée pour rendre compatible cet effet local des piliers avec l'effet d'ensemble de l'élévation de la nef, cette solution consistant à le rendre plus discret. Mais c'est précisément parce qu'il n'est pas encore atténué à Laon, qu'il y est au contraire très franc et très affirmé, que le style gothique encore tâtonnant de ces piliers est commode pour notre analyse.
 
 
 


Le  1er paradoxe : synchronisé / incommensurable

Le pilier est constitué d'un très gros fût central possédant un chapiteau à feuillage, entouré de colonnettes qui reprennent exactement la même forme que celle du fût central et qui disposent d'un chapiteau similaire au sien. On a donc la même forme (fût + chapiteau) à différentes échelles, et cela aura un sens lorsqu'on en viendra au paradoxe "même / différent".
Pour le moment, on se contente de s'apercevoir que l'énorme pilier central et les fluettes colonnettes latérales se synchronisent parfaitement pour arrêter simultanément l'épanouissement de leurs chapiteaux en venant buter ensemble sur le même tailloir horizontal.
Mais si nous pouvons clairement voir qu'ils savent s'arrêter ensemble, nous sommes incapables de ressentir comment leur parcours précédent a permis d'obtenir cette synchronisation finale : leurs tailles sont trop différentes pour que nous puissions les ressentir simultanément dans notre corps et ainsi les comparer, et leurs points de départ sont trop décalés en hauteur pour que nous puissions les apprécier l'un relativement à l'autre. La dimension même de notre champ de vision ne nous permet pas de commodément voir simultanément le bas du pilier et l'anneau qui sert de base à une colonnette et la relie à sa voisine du dessous.
L'impossibilité de ressentir simultanément dans notre corps des points de départ aussi décalés et des formes aussi différentes en taille, nous empêche de comparer leurs évolutions afin de comprendre comment ces évolutions parviennent progressivement à se synchroniser. Cette impossibilité, c'est ce que nous appelons l'incommensurabilité, c'est-à-dire l'impossibilité de mesurer ou d'apprécier une évolution par rapport à une autre.
Nous ne pouvons pas apprécier le trajet des colonnettes par rapport à celui du fût central, mais nous constatons que le résultat de ces trajets incommensurables est de se terminer en parfaite synchronie : c'est donc de l'incommensurable / synchronisé. Et puisque les formes sont ici réellement synchronisées et réellement incommensurables, c'est que nous avons affaire à l'expression analytique de ce paradoxe.
 

 
expression analytique du paradoxe synchronisé / incommensurable :
le gros fût central et les fines colonnettes périphériques synchronisent leur arrivée au même instant sur le chapiteau,
mais leurs tailles tellement différentes et leurs points de départ complètement décalés ne nous permettent pas de comprendre "d'où" vient se synchronisme, c'es-à-dire comment il s'est préparé
 

L'expression synthétique est dans la façon dont les extrémités déroulées des feuillages de tous les chapiteaux "pointent" parfaitement ensemble.
Ils n'ont aucune raison de "clignoter" de façon ainsi coordonnée, puisqu'ils sont sur des supports de tailles très différentes : certains sur le gros chapiteau central, les autres sur les petits chapiteaux périphériques. Ils sont en outre sur des supports isolés les uns des autres, parfois même sur des faces opposées du pilier. C'est l'étonnement que provoque en nous la simultanéité de "l'éclosion" des feuillages malgré la diversité de tailles et de positions de leurs supports qui devrait plutôt s'accompagner d'une diversité d'évolutions, qui correspond à la notion de synchronisation malgré l'incommensurabilité.
 

 
expression synthétique du paradoxe synchronisé / incommensurable :
tous les feuillages pointent, éclosent en même temps (croquis de gauche),
pourtant rien ne prépare ce synchronisme puisqu'ils partent d'endroits séparés et naissent sur des supports de tailles tellement différentes qu'ils devraient plutôt générer des évolutions différentes
 
 


Le 2ème paradoxe :  continu / coupé

Ce paradoxe est plus aisé à ressentir clairement (et pour moi à expliquer !) que le précédent.
Dans chaque hauteur de pilier, deux colonnettes empilées l'une sur l'autre forment un cylindre continu que coupe un anneau qui les attache au fût central.
De la même façon, le cylindre des colonnettes se continue dans les colonnes adossées au mur du dessus, et le tailloir du chapiteau coupe cette continuité verticale qui se poursuivra d'ailleurs jusqu'au somment de la voûte.
À chaque fois c'est vraiment continu et c'est aussi vraiment coupé : il s'agit d'une expression analytique.
 

 
expression analytique du paradoxe continu / coupé :
le cylindre des colonnettes est continu, mais coupé par un anneau très saillant (à gauche),
et les colonnettes se prolongent à l'étage au-delà de la coupure horizontale du chapiteau
 

Dans l'expression synthétique du paradoxe ses deux aspects ne sont pas aussi nettement séparables : il s'agit cette fois de considérer le mouvement ascensionnel d'ensemble qui fait se transformer le gros pilier arrondi en mur, et  qui font se transformer les colonnettes isolées en faisceau de colonnes groupées qui s'appuient sur le chapiteau pour monter jusqu'à la voûte.
Il y a bien une continuité visuelle de massivité entre le gros pilier et le mur du dessus, et une continuité visuelle de trajet vertical entre les colonnettes isolées et les faisceaux de colonnes, mais la lecture même de cette continuité implique de lire en même temps les différences qui existent entre ces deux étapes :
- le pilier est rond et il se transforme en un épais mur à la surface plane,
- les colonnettes sont groupées par trois, sont séparées par des vides, et elles se transforment en colonnes presque accolées groupées par cinq.
Donc c'est continu, mais c'est aussi coupé en étapes que l'on peut bien différencier.
Il est à remarquer que cet effet synthétique (mutation d'une forme en une forme différente qui la prolonge) se combine étroitement avec l'effet analytique, puisque ces deux étapes qui s'enchaînent verticalement sont également nettement coupées l'une de l'autre par la tranche horizontale du chapiteau.
 

 
expression synthétique du paradoxe continu / coupé :
la continuité visuelle de l'ascension qui mène du pilier au mur du dessus, s'accompagne de sa coupure en deux étapes différentes, celle du pilier rond à colonnettes isolées, et celle du mur plat à colonnes groupées en faisceau compact
 
 
 


Le 3ème paradoxe : lié / indépendant

Le tailloir horizontal du chapiteau relie tous les chapiteaux des colonnettes et les attachent ainsi l'une à l'autre par le dessus. Par ailleurs, les colonnettes sont bien écartées par un grand vide qui les sépare l'une de l'autre : elles sont donc indépendantes l'une de l'autre malgré le lien qui les attache en tête.
De la même façon, chacune est bien séparée du gros fût central par un vide continu, mais par un anneau elles s'attachent à lui à mi-parcours de leur trajet.
Une forme sert à faire le lien (le tailloir ou l'anneau) et d'autres formes (celles des colonnettes) affirment leur indépendance : c'est donc à l'expression analytique du paradoxe que nous avons à faire.
 

 
expressions analytiques du paradoxe lié / indépendant :
le tailloir du chapiteau fait un lien horizontal continu entre les colonnettes séparées (à gauche),
et les colonnettes bien écartées du fût central sont attachées à lui par des anneaux
 

Tous les chapiteaux ont la même forme, et par conséquent nous les lions ensemble dans notre perception, "dans un même paquet de formes" peut-on dire. Mais par leurs tailles ces chapiteaux restent nettement indépendants, le gros central ne pouvant pas être confondu avec les petits périphériques. C'est une expression synthétique, car on ne peut pas séparer la perception de l'identité de leurs formes de la perception simultanée de la différence de leurs tailles, mais dans ce cas aussi l'expression analytique vient se mêler à l'expression synthétique, puisque ces chapiteaux indépendants par leur taille sont aussi liés entre eux par leur commune attache au tailloir horizontal qui les recouvre tous.
Les fûts cylindriques provoquent aussi un effet synthétique de lié / indépendant : sur toute leur longueur ils restent liés entre eux par le trajet vertical qu'ils suivent ensemble, mais les colonnettes restent bien isolées l'une de l'autre, et le gros pilier central reste bien indépendant par sa taille et par la position centrale qui lui est propre.
 

expression synthétique du paradoxe lié / indépendant :
dans notre vision nous lions ensemble tous les chapiteaux parce qu'ils sont de même forme (à gauche),
mais nous les distinguons aussi par leurs tailles très différentes
 
 
autre expression synthétique du paradoxe lié / indépendant :
la grosse colonne centrale et les colonnettes sont liées au même axe vertical qu'elles suivent en commun,
mais elles restent bien isolées les unes des autres
 
 


Le 4ème paradoxe : même / différent

Pour faire un seul et même pilier, il faut grouper différentes colonnettes qui ont la même forme.
C'est l'expression analytique.
 

 
expression analytique du paradoxe même / différent :
pour faire un seul et même pilier il faut différentes colonnettes
 

Le pilier central et son chapiteau proposent la même forme d'ensemble que celle des colonnettes périphériques, mais à une échelle qui est complètement différente de la leur. C'est une expression synthétique.
 

 
expression synthétique du paradoxe même / différent :
le fût central et les colonnettes avec leurs chapiteaux respectifs ont la même forme, mais sont d'échelles très différentes
 
nota : il est utile ici de signaler que le paradoxe "un / multiple" aura un rôle important au stade rayonnant du gothique qui succèdera à son stade classique. Or, ce paradoxe fait notamment retrouver l'unité de la forme d'ensemble dans chacune de ses divisions, ce qui engendre des formes qui sont similaires à elles-mêmes sur toutes leurs échelles. Le gothique rayonnant pourra donc reprendre les formes produites pour faire "du même / à différentes échelles" pour retrouver cette fois "la forme qui fait l'unité de l'ensemble / dans ses multiples divisions". Cette reprise possible du même jeu de formes, explique que le gothique rayonnant ait pu se former par de simples modifications d'équilibres dans les formes qu'il a héritées du gothique classique, et non par une refonte aussi importante du langage plastique que celle qui a marqué le passage du roman au gothique.

 

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