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La Vénus de Lespugue

Attention, page d'archive :
 
Comme il est expliqué dans le Post-scriptum de l'Essai sur l'art (au chapitre 19.3.3, au passage concerné par sa note 9), l'explication qui était initialement proposée pour expliquer la nature et la fonction de l'art, telle qu'elle est schématisée dans la présentation ci-dessous, s'est révélée erronée. Ma conception est maintenant présentée de façon complète dans un nouveau volet du site accessible par ce lien
La présente page, qui résume ma conception devenue obsolète depuis que j'ai compris comment lire dans l'art la relation ressentie entre matière et esprit, ainsi que son évolution au fil des millénaire, est seulement laissée à titre d'archive
Prélude initiatique
 
Mais à quoi sert donc une poivrière ?
C'est une petite tourelle à toit conique et en encorbellement accrochée à un mur.
poivrière sur une maison ancienne de Saumur - France
         En architecture, on l'appelle une "poivrière".
         Certainement vous en connaissez. En France, la formule est fréquente dans l'architecture domestique aux alentours du XVème siècle. Du  XVIème siècle et plus fastueuses, celles du château d'Azay-le-Rideau (image de gauche) et du château de Chenonceaux sont spécialement célèbres. 
à gauche, château d'Azay-le-Rideau - à droite, Disneyland Paris

À Euro-Disney près de Paris (image de droite), il en pousse au sommet du château de la Belle au Bois Dormant : la poivrière s'est trouvée une nouvelle jeunesse.

         Chacun connaît sa forme, mais qui connaît son nom ? Et quel autre nom bien à elle pourrait-on lui donner, plutôt que d'employer celui d'un ustensile de ménage ?
         Sur une table, une poivrière sert à contenir du poivre. À partir de cette fonction, sans difficulté on lui donne ce nom. Mais une petite tourelle à toit conique, en encorbellement et accrochée à un mur, à quoi cela sert-il ?

         À quelque chose certainement, sinon pourquoi tout le mal de cette solution malcommode à construire et à soutenir ?
         Une coupole, un pilier, une fenêtre, cela possède un nom en propre. Mais ce sont des ustensiles de construction, exactement comme une salière et une poivrière sont des ustensiles de cuisine. Sans ambiguïté on peut dire à quoi ils servent : à abriter, à porter, à éclairer. Une poivrière par contre, ce n'est pas un ustensile de construction : c'est un mot du vocabulaire de l'architecture, c'est-à-dire une forme qui nous frappe, qui nous reste en mémoire, et qui ne sert à rien d'autre qu'à nous frapper de cette façon si particulière, à s'inscrire de cette façon si particulière dans notre sensation et dans notre mémoire.

         Une poivrière s'accroche à un mur et s'y suspend. Elle lui doit tout de sa solidité, et son existence dépend donc entièrement du soutien qu'il lui procure. Mais dans le même temps, on voit bien qu'une poivrière se dresse toute seule hardiment sur le vide qu'elle surplombe. Ses flancs ne prolongent pas le mur, ils s'enveloppent en arrondi autour d'un axe qui lui est propre. Bien que complètement portée par le mur, elle existe donc comme à côté de lui, presque en face de lui, comme indépendamment de lui.

         Complètement dépendante du mur, et complètement indépendante de lui : voilà bien un paradoxe ! Mais voilà aussi ce que fait la poivrière : elle fait "l'indépendance dépendante".
         Et voilà aussi pourquoi la poivrière n'a pas de nom : elle sert bien à quelque chose, mais on ne peut nommer ce qu'elle fait, car ce qu'elle fait est littéralement innommable. Si l'on était capable de dire ce qu'elle fait avec des mots, alors on pourrait tout aussi bien parler de blancheur noire, d'ouverture fermée ou de minuscule immensité. Les mots seraient insensés s'ils n'avaient pas un sens et s'ils disaient aussi bien une chose que son exact contraire. On ne peut nommer en un seul mot deux faits contraires l'un à l'autre, on ne peut donc nommer l'indépendance dépendante que fait la poivrière, par conséquent on ne peut lui donner un nom à partir de ce qu'elle fait.

         Mais pourquoi spécialement l'indépendance dépendante nous tiendrait-t'elle à coeur ? Pourquoi se donner spécialement le mal d'en faire une figure d'architecture ? Parce qu'elle est rien de moins que la contradiction majeure qui fonde notre existence : chacun de nous est une personne totalement indépendante, ou du moins se vit comme tel, et pourtant chacun n'est qu'une parcelle de la société humaine et dépend donc entièrement des autres.
         Notre vie étant fondée sur cette contradiction de l'indépendance dépendante, il serait curieux que l'on ne cherche pas à comprendre par tout moyen possible la particularité de ce rapport aux autres : la façon dont notre existence se raccroche à celle des autres comme la poivrière se raccroche au mur, et la façon dont notre indépendance s'élance en s'appuyant sur l'existence même des autres, comme la poivrière se sépare du mur et s'élance seule dans le vide en s'appuyant précisément sur ce mur dont elle se dégage.

         Pour comprendre et pour dire le paradoxal de notre existence indépendante/dépendante, le langage verbal nous fait défaut, parce qu'il ne permet pas de traiter commodément des situations qui sont en même temps une chose et son contraire. Le langage des formes lui, en traite très aisément. Pour donner juste un exemple, on peut considérer deux feuilles de papiers de même couleur séparées par des feuilles d'une autre couleur : ces deux premiers papiers sont à la fois parfaitement rassemblés dans une même couleur et absolument écartés par les autres feuilles qui les séparent. Ils sont donc simultanément rassemblés et écartés, ce qui est une situation parfaitement contradictoire. Aisément on peut la complexifier en dessinant une ligne qui soit dans le même prolongement sur l'une et sur l'autre des deux feuilles. La ligne est alors parfaitement continue par l'un de ses aspects, celui de sa direction, et complètement coupée par un autre de ses aspects, celui de son tracé qui se répartit sur deux feuilles disjointes.
         Rien qu'avec ce petit exemple, on a pu traiter d'une complexe situation à la fois rassemblée/écartée et continue/coupée, ce qui montre comment, très naturellement et très aisément, avec des formes ou des couleurs, on peut évoquer et même combiner des relations qui sont contradictoires entre elles. Lorsque le langage verbal nous abandonne, qu'il se dérobe et se refuse à dire commodément l'indépendance dépendante de notre existence, tout naturellement nous usons donc de cet autre langage à notre disposition : le langage des formes. Un langage qui sait dire en même temps, et pourtant sans ambiguïté, une chose et son contraire. Le langage des formes qui sait lui, dire l'indicible.
         Et c'est pour cette raison qu'elle existe la poivrière : parce que l'indépendance dépendante nous tient à coeur, et parce sa forme sait dire simplement cette indépendance dépendante. Parce que nous ne pouvons employer l'impossible expression "indépendance dépendante", nous employons la possible forme de poivrière.

         Le rapport qui existe entre l'unité de chaque personne et l'unité que forme son groupe, n'est pas toujours aussi clair et aussi contrasté que ce qu'évoque une poivrière. Car bien entendu ce rapport varie selon les époques, et il varie selon les sociétés.
         L'idée proposée ici est que l'art - le langage des formes - aurait été inventé par les humains, très précisément pour comprendre la relation contradictoire et donc indicible verbalement, que chaque humain entretient avec les autres membres de son groupe et avec les autres membres de l'humanité toute entière.
         Les humains n'ont pas eu besoin de tous temps de recourir à l'art. Si l'on en croit les paléontologues, la lignée qui deviendra "sapiens" a commencé à fabriquer des outils il y a plus de 2 000 000 d'années, ses plus anciennes sépultures ne datent que de 70 000 ans environ, et l'art ne serait apparu qu'un peu plus tard encore.
         Notre hypothèse est que les humains d'avant l'art étaient tout autant et tout pareillement humains que vous et moi, mais que la complexité de leur société n'avait pas encore atteint le stade où le recours au langage des formes était indispensable pour l'appréhender. Toute cette période humaine précédant l'art, correspondrait à l'invention du langage verbal, alors parfaitement adapté - mais tout à fait indispensable, d'où son invention - pour comprendre et pour dire le rapport que chacun entretenait avec les autres membres de sa société. Ce qui, d'après nos réflexions précédentes, signifie donc que ce rapport n'aurait pas encore atteint alors le stade d'une situation contradictoire à l'excès, stade qui n'aurait été atteint que vers 70 000 ans avant notre ère.
         Nous allons proposer ici un déchiffrement du langage des formes. Pour cela, nous allons suggérer la façon dont la complexité de la société humaine a évolué au long des siècles et des millénaires, nous allons suggérer pourquoi la société fut un temps insuffisamment complexe pour être non radicalement contradictoire, et comment sa complexité a ensuite superposé couche par couche des contradictions telles que seul le langage des formes a pu en rendre compte. Dont lui seul a pu rendre compte, parce que lui seul peut superposer commodément des effets contradictoires qui savent s'imbriquer, se répondre, et établir entre eux des relations significatives.

         En fait, il n'y a pas de difficulté particulière à déchiffrer le langage des formes de l'art. Le tout est d'en avoir la clef. Selon nous, cette clef réside dans la notion d'évolution de la complexité. Mais qu'est-ce donc que la complexité dont on parle ici ? Comment se génère-t'elle, et qu'est-ce qui en elle évolue dans le temps ?
         Nous proposerons les réponses à ces questions, mais que l'on ne s'y trompe pas, si l'on va envisager l'évolution de la complexité de la société humaine, nos réflexions vaudront tout aussi bien pour comprendre l'évolution de n'importe lequel des phénomènes de l'univers et dans l'univers : comment se crée par exemple la complexité d'un tourbillon à partir du mouvement d'une eau calme, ou comment se crée la complexité d'un être vivant autonome à partir d'une simple cellule qui se recopie et se multiplie jusqu'à former un organisme tout entier.
         Quel scientifique ne rêverait de pouvoir se transporter au sein même d'une goutte d'eau, pour observer et noter de l'intérieur même de la masse d'eau comment s'y forme un tourbillon ? Ou ne rêverait de pénétrer, minuscule, dans un foetus pour y observer de l'intérieur, au niveau même de chacune de ses cellules, comment elles s'organisent entre elles pour parvenir à fonctionner de concert et à former à terme un être vivant et autonome ?
         Et bien nous allons être ce scientifique heureux. Car non seulement l'humain a lui aussi été de tous temps comme une parcelle individuelle immergée dans un ensemble social qui s'est  progressivement complexifié au fil des siècles, mais encore il nous a fait l'amabilité de laisser chaque fois des graphiques précis décrivant chaque stade de cette complexité, de noter scrupuleusement et à chaque évolution comment se transformait en lui la perception qu'il avait du rapport de lui-même à son groupe.
         Cet inouï et irremplaçable témoignage de la complexité en marche, vue et décryptée de l'intérieur d'elle-même, par conséquent déjà possède un nom : c'est l'histoire de l'art.
 


 

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