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fiche de synthèse : 2ème ligne, 1ère colonne
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L'idée :      (vaut pour les 4 étapes de la 2ème ligne du tableau) 
Lorsqu'augmentent dans un fluide les différences de vitesses entre ses diverses molécules, il parvient de moins en moins à rester homogène. Lorsque les différences de vitesse sont encore faibles, le mouvement brownien et comme aléatoire des molécules qui s'agitent en tous sens suffit à assurer son homogénéité. Lorsque les différences de vitesses augmentent, d'abord il se délite en couches laminaires dont les vitesses moyennes sont différentes, puis ces couches se fragmentent au contact l'une de l'autre, puis l'ensemble des conflits se résout dans l'organisation à grande échelle d'une forme en spirale. Cette forme parvient à satisfaire les contradictions internes au fluide car elle distribue les gradients de vitesses dans deux directions croisées : radialement elle hiérarchise d'abord les vitesses de façon tranchée par le moyen de couches laminaires empilées depuis son centre vers la périphérie, puis à l'intérieur de chacune de ces couches empilées elle réalise l'organisation du gradient de manière cette fois régulière et sans à-coups sur toute la longueur de l'enroulement de la spirale. 
L'idée est que dans certaines circonstances historiques, le même type d'évolution peut s'observer dans les relations humaines : à un moment donné la société se ressent bien homogène, puis progressivement elle se délite en couches sociales hétérogènes les unes aux autres, puis ces classes ou ces couches sociales trouvent le moyen de s'interpénétrer et de se supporter ponctuellement en diverses circonstances, puis elles organisent une dynamique d'ensemble spiralante capable de prendre en charge en tous sens la cascade d'écarts qui séparent désormais ses différents membres. 
L'histoire de l'art garde la trace de cette évolution, car chaque étape de cette évolution repose sur une situation contradictoire (paradoxale) qui est l'enjeu principal que l'artiste s'efforce de saisir à travers son art : afin de se comprendre lui-même, et afin de comprendre sa place dans la société et par rapport à l'ensemble de l'univers.
 
Les 4 étapes de l'évolution du phénomène physique qui conduit à la naissance de la turbulence, du fait de l'augmentation progressive des différences de vitesses internes au fluide :
0
1
2
3
Le brassage incessant du fluide par le mouvement d'uniformisation brownien de ses molécules 
Ne parvenant plus à s'uniformiser de façon progressive, le fluide se tranche en couches laminaires aux vitesses différentes
Les couches laminaires en contact vont à des vitesses maintenant incompatibles : elles s'en accommodent par des interpénétrations locales répétées
L'interpénétration des couches laminaires se régularise et se généralise à grande échelle sous la forme d'un enroulement collectif en spirale
 
Le phénomène physique caractéristique de la 1ère étape de cette évolution :
La situation est celle d'un fluide dont les molécules s'agitent en tous sens et comme aléatoirement. Ce mouvement appelé "brownien" brasse et homogénéise continuellement le fluide, ce que lui permet d'égaliser progressivement sa température si elle est localement différente, ou de répandre par diffusion un colorant dont la concentration s'égalisera progressivement dans tout le volume.
Ce fluide homogène nous sert de point de départ pour analyser comment évolue la situation au fur et à mesure qu'augmentent les différences de vitesses internes au fluide.
 
le mouvement brownien d'une particule microscopique en suspension dans l'eau
[d'après un dessin de Jean Perrin - document de la revue Pour la Science]
Dessin du bas : diffusion progressive et très régulière d'un colorant dans un liquide par l'effet du mouvement brownien de ses molécules. Dessin du haut : la concentration du colorant à un instant donné est portée en fonction de la distance 
[figure extraite d'un article de Bernard Lavanda "Le mouvement brownien" dans la revue Pour la Science]
 
 
Quel est le remarquable de cette situation ? :
À la différence de ce que l'on observait lors des quatre étapes précédentes (1ère ligne du tableau), le sort individuel de chaque atome ou de chaque molécule est maintenant indéterminable et inintéressant. Ce qui peut maintenant utilement s'observer, et cela sera valable pendant quatre étapes, c'est la façon dont se résolvent les différences de vitesses internes au fluide. Pour cette raison, nous dirons que les 4 étapes précédentes relevaient d'un fonctionnement "de type ponctuel" (on observait les déplacements d'un atome considéré comme une entité ponctuelle en mouvement), tandis que les quatre étapes de cette nouvelle série relèvent d'un fonctionnement "en classement", entendu ici dans le sens de "classement des vitesses".
Le fait qu'avec un fluide on quitte le fonctionnement de type ponctuel a une conséquence très claire pour les scientifiques : pour étudier le comportement d'un liquide ou d'un gaz ils ne peuvent plus avoir recours à des calculs selon les lois de la dynamique qui s'appliquent aux déplacements des corps que l'on peut isoler ponctuellement, et ils doivent avoir recours à une méthode de calcul de type probabiliste et statistique qui se contente de prendre en compte le mouvement moyen de milliards de molécules.

Le nom donné au paradoxe qui caractérise cette situation :   ça se suit sans se suivre
Pourquoi ? : Puisque l'effet du mouvement brownien est de classer statistiquement le fluide de telle sorte que la vitesse (ou la température ce qui revient au même) de l'ensemble de ses molécules soit toujours rangée en ordre bien progressif, il permet que les molécules se suivent toujours en bon ordre de vitesse. Mais puisque ce classement statistique n'est obtenu que par un mélange hasardeux perpétuel, c'est-à-dire par le dérangement perpétuel du classement des molécules qui ne cessent de se brasser, il implique par conséquent que les molécules sont perpétuellement déclassées et ne se suivent donc et jamais en bon ordre de vitesse. Ainsi, dans cette situation toujours cela se suit (considéré de façon statistique à grande échelle) sans se suivre (à tout instant et en tout endroit, considéré à petite échelle).

On peut remarquer que, sur le fond, ce phénomène était déjà présent à l’étape précédente où les molécules, déjà, se dirigeaient en tous sens, selon qu’elles se faisaient très fugitivement et aléatoirement happer par tel ou tel réseau, puis par un autre. Cependant, nous ne regardions alors que ce qui survenait aux molécules prises individuellement, tandis que, maintenant, nous prenons du champ et nous considérons le divorce qui apparaît dans le fluide entre ce qui se produit à petite échelle (le désordre complet des vitesses) et ce qui se produit à grande échelle (l'uniformité statistique des vitesse).

 
 
 

Dans certaines situations, le fonctionnement de la société humaine présente des analogies avec celui de ce phénomène physique. Cela peut se lire dans l'art, car les artistes se sont alors efforcé de mettre à nu les relations paradoxales qu'il implique entre chaque individu et le reste de sa société : chacun aspire à un classement permanent et stable des membres de la société selon leurs mérites personnels, tout en ressentant ce que cela implique comme profonde remise en cause perpétuelle des différences acquises, car irrémédiablement celles-ci tendent à creuser des écarts dans la société. Un classement stable selon le mérite et non selon les acquis par héritage, implique donc un déclassement et reclassement perpétuel, ce qui est l'inverse de la stabilité.
 
Comment ce paradoxe  "ça se suit sans se suivre" se manifeste dans les arts visuels et dans l'architecture :
Expression analytique (ses 2 aspects incompatibles sont séparés dans notre perception) :
On perçoit que les éléments et les espaces se succèdent par un certain aspect de leurs dispositions, tandis que par un autre aspect on ne les perçoit pas à la suite les uns des autres. Par exemple, deux morceaux de courbes se prolongent dans un mouvement continu, mais un élément interrompt brutalement le premier de telle sorte que le suivant ne le prolonge pas.
l'escalier de l'Opéra Garnier à Paris : les rampes des deux volées se suivent dans un même arrondi, mais la main courante de la volée du bas s'interrompt sur un tambour qui l'empêche de se poursuivre
le plafond de la salle de lecture de la Bibliothèque Nationale à Paris : l'axe des corolles ne les fait pas porter visuellement sur les nervures, mais sur le vide entre nervures. Les corolles sont au-dessus du vide qu'elles franchissent, pas à la suite des nervures qui les portent et qu'elles prolongent
 
Expression synthétique (ses 2 aspects incompatibles sont inséparables dans notre perception) :
Très souvent cet effet est obtenu par une impossibilité à trancher entre deux modes de lectures tels que, dans chaque cas l'ordre des éléments n'est pas le même. Par exemple, une organisation pyramidale range des formes en ordre d'importance croissante du bas vers le haut, tandis que la taille des formes ainsi placées contredisent cet ordre et suggère un classement différent.
Une forme peut aussi être lue à la suite de deux autres formes, de telle sorte que notre perception ne parvient pas à décider laquelle des deux elle suit vraiment, par exemple :
les marches de l'escalier de l'Opéra Garnier à Paris : par un aspect la seconde volée suit la première,
mais on peut aussi la lire comme venant plutôt depuis la volée symétrique tandis que la première volée se poursuit dans le vide de l'axe central

L'exemple caractéristique d'architecture à garder à l'esprit pour se souvenir du paradoxe ça se suit sans se suivre :
Labrouste - les corolles du plafond de la salle de lecture de la Bibliothèque Nationale à Paris, qui ne suivent pas les nervures qu'elles prolongent, mais se dressent dans le vide situé entre les nervures
 
 

Comment ce paradoxe se manifeste dans la musique, où il signifie "grande agitation / équilibre" :
Effet analytique (qui s'entend par l'évolution au fur et à mesure que le temps passe) :
Alternance de moments où les notes bougent à toute vitesse entre le grave et l'aigu, et de moments d'équilibre où la musique se stabilise et reste constante.

Effet synthétique (qui s'entend à chaque instant) :
Sans arrêt la musique ondule comme aléatoirement, mais comme elle monte et descend sans arrêt, elle se maintient en permanence autour d'une position moyenne d'équilibre. Cet équilibre moyen est produit par l'agitation constante de la musique, exactement comme l'homogénéisation régulière d'un fluide est produit par la constante agitation frénétique de ses molécules.
Cette position moyenne (représentée par un trait d'axe sur le croquis ci-dessous) peut être matérialisée par une ligne mélodique qui martèle une note fixe, ou qui forme une couche qui s'installe à hauteur continue tandis que le reste de la musique ondule. La musique de Beethoven en particulier présente cette structure : écoutez par exemple sous cet angle le début du premier mouvement de sa symphonie Pastorale ou de sa symphonie Héroïque.

 

Pour davantage de développements sur ce fonctionnement paradoxal qui produit la continuité la plus régulière à l'aide du plus complet désordre :
- dans les phénomènes physiques et dans l'évolution de la société occidentale
- en architecture (le style "Napoléon III" en art  - milieu du XIXème siècle) :
        Garnier - l'escalier de l'Opéra de Paris
        Labrouste - la  salle de lecture de la Bibliothèque Nationale à Paris
- en musique :
        dans le chant grégorien (jusque vers le Xème siècle)

Pour des exemples d'architectures où ce paradoxe se combine avec d'autres :
avec 3 autres paradoxes associés à égalité, relativement mélangés sur les mêmes formes (fonctionnement en classement) :
- dans l'architecture romane (environ de 1000 à 1150 après JC), il est le 2ème paradoxe analysé

dernière mise à jour de cette fiche : 18 octobre 2007

 

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